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Maison Saint-Augustin
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MÉMOIRES
L'ACADÉIIE D'ABEAS,
SOCIÉTÉ ROYALE,
DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES ARTS. |
oies publique L 25 «Haut 1635.
BIBLIOTHÈQUE S y
Les Fontaines
60 - CHANTILLY
ARRAS,
CHEZ JEAN DEGEORGE , IMPRIMEUR,
RUE DU BLOC, N° 88,
TOPINO, LIBRAIRE.
1836.
MÉMOURLES.
SD tance publique du 25 août 1835.
DISCOURS D’OUVERTURE,
Par M. LAMARLE, vice-chancelier.
Messieurs ,.
Elle est belle autant qu'honorable, la tâche ré-
servée à votre président lorsque, devant vous et en
présence de l'élite de vos concitoyens, il vient ren-
dre compte de vos laborieuses études et recueil-
ir, dans l’assentiment public, la sanction de vos
travaux et la digne récompense de vos généreux
efforts. C’est aujourd’hui surtout, c’est lorsque cette
solennité puise un nouvel éclat dans l’encourage-
ment (1) qui vient de vous être décerné que cette
*_ (1) C'est dans cette séance que l’Académie d'Arras sæçut la médaille
qui lui était offerte par la Société française de statistique universelle.
ñ
Ke
= d
tâche était douce à remplir. Mais c’est en vain,
Messieurs, que vous chercheriez ici celui que vos
suffrages ont appelé à l’honneur de vous présider.
Un accident imprévu le retient loin de nous. Vous
n'entendrez pas une voix qui vous est chère, etcelle
qui la remplace, impuissante à combler ce vide , ne
peut adoucir vos regrets. nn
Vous n'attendez pas de moi, Messieurs, que je
me livre à l'examen des nombreux travaux que vous
avez accomplis dans le cours de cette année. Ce
travail, si je l'avais entrepris, eut porté l’empreinte
de la précipitation que j'aurais mise à le faire; je
n'aurais pu vous rendre qu’un compte incomplet
ou inexact et, malgré l'indulgence à laquelle j’ai
des droits, le manque de temps ne m’eut pas suffi-
samment justifié.
Espérons , Messieurs, que le succès qui vient de
couronner vos efforts et le rang distingué qui vous
est assigné par la Société Française de statistique
universelle, viendront suppléer dignement à la ré-
serve que les circonstances m'imposent et au silence
que je suis forcé de garder.
Le haut témoignage d'estime que vous avez reçu
vous place en effet, Messieurs, au nombre des cinq
sociétés de France qui ont le plus puissamment
contribué au développement de la science statis-
tique. A ce titre déjà, vous pourriez vous présenter
avec confiance devant cette imposante réunion,
mais ce n’est pas seulement vers ce but qu'ont été
dirigés vos travaux et les rapports que vous allez
a —
entendre prouveront assez que vous avez su appeler
l'attention publique sur d’autres questions non
moins importantes, |
: Je me bornerai à tracer ici une- esquisse rapide
età prouver, par quelques aperçus, que l’Académie
d'Arras, utile jusqu'à présent, ne doit pas cesser
de l'être et que ce serait une erreur de croire sa
mission accomplie.
Il est incontestable sans doute que 4 lumières
émanant du centre social trouvent maintenant un
moyen fécond de propagation dans la publicité de
la presse et qu'il n’est plus nécessaire, comme au-
trefois, de les rassembler en faisceaux sur un grand
nombre de points, pour les faire diverger ensuite,
et arriver, sans être trop affaiblies, partout où la
vie doit se répandre avec elles. Mais suit-il de là que
_-les sociétés savantes soïent devenues impuissantes et
inutiles ? Suit-il de là, que vous deviez vous laisser
aller au découragement et abandonner cette. voie
de progrès où vous marchez depuis si long-temps?
Non, Messieurs, nous ne ke pensons pas et nous
répondrons par des faits.
S'il s'agissait pour vous d’une destinée qui s’a-
chève et qui touche à son terme, en analysant les
derniers de vos actes, nous ne tarderions pas à le
‘reconnaitre, à la vue de ces symptômes de décré-
pitude qui dénotent la faiblesse d’un corps qui s'é-
puise et se désorganise.
Il y a deux ans, et pour le but que je me propose,
je ne dois pas remonter plus haut, il y a deux ans
ne —
ous avez mis au concours la question de la réforme
andustrielle de l’armée et les routes stratégiques de
l'Ouest sont là pour justifier de l'opportunité de
gette grave question.
L'année dernière la constitution de l’armée vous
a fourni une question nouvelle et non moins im-
portante. Il s'agissait des remplacemens militaires,
On jugera par la lecture du rapport que vous allez
-entendre de la profondeur de la plaie hideuse que
vous ayez sondée. De nombreux renseignemens vous
sont parvenus; vous avez trouvé dans votre sein de
précieuses lumières, et si le concours n’a pas en-
tièrement satisfait aux conditions du programme,
si vous n'avez pas décerné le prix proposé, l'effet
utile que vous aviez en vue n'en sera pas moins at-
teint et nous pouvons espérer que vos études vous
-auront mis.à même de rédiger et de présenter au
gouvernement les bases d’une législation nouvelle
et meilleure. | NZ
Aujourd'hui enfin, fidèles à vos antécédents,
vous venez, après avoir lutté contre la mendicité,
combattre un des fléaux qui l’engendrent : vous
voulez extirper cette lèpre qui rend l’homme sem-
blable à la brute et naturaliser parmi nous les s0-
giétés de tempérance, cette institution si féconde
en résultats heureux sur le sol américain. Je pour-
rais encore mentionner ioi l’étude à laquelle vous
yenez de vous livrer sur un projet d'utilité départe-
mental. Je pourraisdire que vous avez recueilli d'im-
portants documentssur l'ouverture d’un canal entre
5
Arras et Boulogne, et que ces documents qui seront
“bientôt Evrés à la publicité sont de nature àéclairer le
conseil général et à le guider dans la décision qu'il
doit prendre. Mais je m’arrête etsije ne parle pasde
vos travaux agricoles, de vos études littéraires, c’est
-que je crois avoir suffisamment prouvé que votre
-marche n'a pas cessé d'être progressive,
Prétendra-t-on que le champ où vous avez semé
-des germes si fertiles vous est interdit désormais
-et que si des améliorations sont possibles, le besoin
en est assez généralement senti pour que votre ac-
tion soit surabondante ? je ne puis l’admettre. Les
données seules de l'expérience ne produisent en gé-
néral que de faibles résultats. Gene sontpas les obser-
vations isolées, les découvertes faites sur différents
-points qui font avancer rapidement dans la voie du
progrès. C'esten réunissantles faits analogues, en les
comparant entr'eux, et en les considérant das l’or-
dre des rapports qui les enchaîne que l’on marche à
pas sûrs et sans jamais rétrograder. Maïs 11 n'est
donné de procéder ainsi qu’à des esprits préparés
-pour l'étude, mûris par l'habitude de la réflexion,
-et accoutumés à saisir les points de contact qui unis-
sent les faits entr'eux. C’est dire assez, Messieurs,
que votre concours ne cessera pas d’être utile : c’est
dire en même temps que quels que soient les progrès
de l'esprit d'investigation, vous saurez marcher avec
le siècle et y marquer votre place.
Ainsi, Messieurs, tandis que les intérêts matériels,
prenant chaque jour une nouvelle importance, me-
re
nacent d’envahir bientôt notre civilisation moderpe,
votre mission est. clairement tracée; vous devez sgns
doute défendre et conserver le précieux dépôt que
vous ont légué vos prédécesseurs, mais vous dgvez
aussi suivre et favoriser l'essor de l'mdustrie.
Que de questions d’un haut intérêt pratique gur-
giront pour vous dans ce riche et vaste domaine. Aux
préjugés aveugles de la routine vous opposerez le
flambeau de la critique et de la théorie. Aux taton-
nemens craintifs et hasardeux de l’homme :1solé,
vous substituerez ces heureuses tentatives que le suc-
cès justifie, parce qu’elles reposent sur des données
nombreuses et certaines, rassemblées et discutées
avec soin. Libres de toute préoccupation étrangère,
vous porterez partout vos investigations et lorsque,
après un mûr examen, vous aurez reconnu la possi-
bilité de certains perfeetionnemens, vous en assure-
rez le bienfait au pays en provoquant ou en dirigeant
vous-mêmes les expériences dont vos recherches au-
ront fait ressortir l'opportunité.
Telle est, Messieurs, l’immense carrière ouverte
devant vous. Elle suffirait déjà à votre avenir, lors
même que des questions d’un ordre plus élevé, pro-
duit nécessaire du temps, ne devraient pas encore
en augmenter indéfiniment l'étendue.
HISTORIQUE
L’ACADÉMIE D’ARRAS,
Par M. CORNILLE , secrétaire-perpétuel.
Messieurs,
Vous avez désiré que je fisse, dans cette séance,
l'historique de l'académie depuis sa formation jus-
qu’au moment de sa dissolution, et depuis son ré-
tablissement jusqu’à nos jours. Votre intention n’a
pasété de m'en voir retracer tous lestravaux, vousavez
voulu seulement que j'en saisisse l’ensemble et l’es-
prit, en indiquant ceux qui ont dû avoir quelqu’in-
fluence sur le bien-être matériel et moral du pays.
Je dois d'abord et en peu de mots vous rappeler
quel était l’état de la province d'Artois. Je dois vous
dire aussi quelles sont les circonstances qui ont
donné lieu à la création d’une académie.
Vous savez, Messieurs, qu'il n'existait pas dans
à
les Gaules de contrée plus civilisée que l’Artois. Sa
conquête avait été enviée longtemps avant que Jules
César s'en fût rendu maître ; les richesses qu’un
sol fertile et bien cultivé, qu’un commerce étendu
y avsient attirées devaient être convoitées par les
dominateurs du monde.
Cependant l'antique cité des Atrébates croyait au
plus brillant et au jilus durable avenir. Il en fut au-
trement, elle éprouva les vicissitudes de la plus
grande prospérité , et des plus cruels revers ; tour-à-
tour les sciences et les arts y fleurirent, y jetèrent
le plus vif éclat, et disparurent.
L’Artois fut pendant plusieurs siècles le théâtre
de guerres sanglantes qui lui devinrent si funestes
que la renaissance des lettres ne s’y fit nullement
sentir, Aucune langue n'avait pu s’y fixer par la
raison qu'ayant appartenu tantôt à l'Espagne ,
tantôt à la maison de Bourgogne , tantôt à la France,
son idiôme était devenu un composé de ceux des
nations qui l'avaient successivement possédé et les
arts n'y faisaient aucun progrès.
Sous Louis XV son sort ayant été définitivement
réglé , le goût des lettres commença à y renaître.
Descitoyens dévouésauxquels on doit de la recon-
naissance comprirent combien la réunion d'hommes
érudits et laborieux devaient avoir d'influence sur
la destinée de leur pays, et ils résolurent de former
à cet effet une association. Parmi eux nous devons
ciler le prince d’Ysenghein, gouverneur de la pro-
vince, qui se mit à la lète d’une aussi honorable en-
RIRES, D
treprise, et l’aida de tout son savoir et de tout son
crédit.
L'association se réunissait pour lire à frais com-
muns les écrits périodiques les plus intéressans,
publiés dans les divers états de l'Europe, et elle
s’efforçait d’en répandre tout ce qui pouvait éclairer
le pays.
Elle avait déjà produit d’heureux effets lorsque
le 13 mai 1757, elle fut autorisée sous le ütre de
société littéraire. Elle prit à cette époque une forme
régulière et eut un réglement.
Le sceau dont elle fit choix représentait deux jeu-
nes aiglons , essayant leurs aîles sur le bord de leur
nid avec cette devise : Vecdum volatu audaci.
Elle tenait ses séances tous les samedis dans un
local qui lui avait été affecté dans le palais du gou-
verneur.
La société se livrait principalement à des recher-
ches sur l’histoire de la province, et à des discussions
sur les principes et le génie de la langue française,
ce que nous avons dit sur l'état de la langue dans
le pays, vous a déjà fait sentir qu’elles étaient l’im-
portance et l'opportunité de ces recherches.
Le 14 juin de chaque année, elle tenait une
séance publique; la première eut lieu le 14 juin
1758, sous la présidence du prince d'Ysenghein.
Les espérances qu’elle avait fait concevoir se réa-
lisèrent bientôt : par ses soins, le goût des lettres se
répandit davantage; l’idiôme s'améliora sensiblement
2.
2 A0
et dés mémoires historiques furent publiés; on re-
marque plus particulièrement ceux de MM. le baron
Deslions et Hardhuin, (secrétaire perpétuel), deux
de ses membres les plus distingués. :
Les services que la société littéraire avait rendus
tant sous le rapport de l'histoire que sous celui de
Ja langue étaient si réels qu'ils fixèrent l’attention
du gouvernement qui crut, au mois de juillet 1753,
devoir l’ériger en académie royale des belles-lettres
dans les termes les plus flatteurs.
Ces lettres-patentes réduisaient le nombre des
membres ordinaires à trente, et leur accordaient
les honneurs, privilèges , franchises et liberté dont
jouissaient les académiciens de Paris, à l'exception
du droit de committimus.
__ Les États d'Artois qui connaissaient les besoins
de la province et savaient si bien y pourvoir, ne se
contentèrent pas d'avoir accordé un local à l'aca-
_démie , ils voulurent s'associer à ses travaux pour
leur donner une direction plus utile encore : ils
votèrent tous les ans des fonds destinés à offrir des
prix aux auteurs qui traitaient des questions
dont la solution importait le plus au bien général ;
ils fondèrent même spécialement un prix de cinq
cents francs pour être décerné aux meilleurs ou-
vrages sur des sujets d'histoire, d'économie rurale,
ou de commerce.
L'académie ne manqua pas de suivre l'impulsion
donnée, elle reconnut que cette direction devait
avoir d'immenses avantages. Ses travaux seront
4 —
donc tivsormais consacrés principalement aux F quesr
üons d'utilité générale.
Nous voyons qu’une : des premières dont elle
s'occupe est celle de savoir si toutes les terres de
l'Artois étaient propres à être ensemencées chaque
annéc et quelle était la meilleure méthode à suivre
pour faire produire tous les ans des récoltes avec.
avantage à celles qu'on jugerait utile de dessoler.
À cette époque, l'académie adopte une idée fé-
conde en résultats ; elle déclare que toutes les terres
de l'Artois sont susceptibles d’un rapport annuel,
et provoque un système de culture que l'expérience
a du reste confirmé.
Plus tard, nous la voyons rechercher avec soin
quelles étaient autrefois les différentes branches du
commercé dans la province d’Artoïs, en remontant
même au temps des. Gaulois, et quels étaient les
moyens de les rétablir, notammeent les manufac-
tures de la ville d'Arras; elle rassemblait sur ce sujet
des documens précieux dignes d’être consultés au-
jourd’hui. Nous la voyons, à une autre époque, s’oc-
cuper des chemins et examiner s'il était avantageux
d'en réduire le nombre pour donner, à ceux que
l'on conserverait, une plus grande largeur, elle con-
tribuait ainsi par ses recherches à l'amélioration des
chemins dont les États d’Artois faisaient un “objet
principal d de leur administration.
, Dans un temps plus rapproché, elle étudiait une
Te question d’une grande importance; celle de
— 19 —
savoir s'il était utile en Artois de diviser les fermes,
et quelles seraient les bornes qu’il conviendrait
d'apporter à cette division.
En 1787, elle recherchait quelle était la meilleure
méthode à employer pour faire des pâturages pro-
pres à multiplier les bestiaux.
En 1788, les meilleurs moyens de multiplier les
bêtes à laine et de procurer aux laines une qualité
plus parfaite,
Elle recherchait encore, à la même époque, le
meilleur moyen de rendre invariables les bornes
champètres,
L'académie s’occupait ainsi à rassembler tous les
élémens de progrès lorsqu'un décret du 8 août 1793
supprimant les sociétés savantes vint tarir pour
l'Artois les sources de prospérité quelle s’efforçait
d'ouvrir,
Telle fut la cause de la dissolution de cette an-
cienne association qui se composait alors d'hommes
dont plusieurs sont généralement connus soit par
leurs actes, soit par leurs travaux.
Nous voulons parler de MM, Briois père et fils,
magistrats d’un grand savoir; Dubois de Fosseux,
connu par sa vaste érudition et son amour du
bien public; Enlart de Grandval qui a consacré
toute sa longue existence à l'étude, et dont les lu-
mières ont été si utiles à l'académie ; Buissart,
savant laborieux , autant versé dans les lettres que
dans les sciences ; Lenglet, publiciste et littérateur
distingué; Carnot, ministre, citoyen savant au-dessus
_— 13 —
de tout éloge; de Marescot, une des illustrations
du génie militaire; Jacquemont, que des ouvrages
philosophiques ont placé si haut. Il avait un fils,
digne espoir de sa famille et de son pays. Comme
Duvancelle, entraîné sous un ciel brûlant par l'a”
mour des recherches scientifiques, il y fut comme
lui, surpris par une mort prématurée. Quel deuil
pour ses amis, quelle perte pour les sciences!
| {1 était un autre homme qui s'était fait connaître
comme avocat ; ik était auteur d’un ouvrage remar-
quable, couronné par l'académie de Metz en 1785,
sur le préjugé qui étend sur tous les individus d'une
même famille, une partie de la honte attachée aux
peines infämantes que subit un coupable. L'acadé-
mie d'Arras lui avait ouvert ses portes. Depuis...
l'histoiré: a buriné son portrait. i |
On comptait lors de la dissolution parmi les
membres honoraires, MM. Delaplace, Droz, de
Sacy, Filassier, de Pastoret, de Courset, M! Le-
masson-Keralio et Duchaillie. .
Ici finit la première époque.
Toute une révolution va s’opérer et donnera le
jour aux idées les plus généreuses et les plus libé-
rales; après les premières crises on verra, de toutes
parts et dans tous les gènres, se former des imstitu-
tions utiles, et cependant l'académie d'Arras ne
cherchera pas à profiter dé tant de circonstances
favorables pour se reconstituer.
Comment s'est-il fait qu’au milieu de l'élan im-
primé de tous côtés aux sciences et aux arts et qui
—_ Ah —
assuraient à notre patrie, sous ces rapports, auiz:+
de gloire quelle en avait acquise par les armes,
Ja ville d'Arras soit restée, pour ainsidire, sta-
ionaaire dans ce mouvement général, et ait sem-
blé se contenter de quelques améliorations apportées
à l’agriculture, et de l’extension donnée à la fabri-
_calion des huiles, et au commerce de grains?
Quoiqu'il en soit, la nécessité de ramener le pays
au niveau des connaissances du siècle, fut enfin
sente, on comprit aussi qu'il fal' sit rendre l’exis-
tence à cette ancienne association dont on avait
retiré de grands avantages.
Le vœu de son rétablissement fut émis par de
conseil d'arrondissement; en 1816 le magistrat qui
administrait le département l'accueillit avec em-
pressement,, 1l s’en empara et le fit valoir auprès
du ministre de l’intérieur qui, le 23 mai1818,
autorisa le rétablissement de l'académie, en ap-
prouvant les nouveaux statuts qui différent peu de
ceux de 1773.
Les anciens membres qui existaient ençore se
réunirent à ceux désignés par le ministre et firent
des nominations qui la complétèrent,
L’académie ne pouvait être abandonnée à ses
propres ressources ;. nous rappelons, avec recon-
naissance, que le conseil général du département,
ne voulant pas faire moins que les États, d'Artois,
vote tous les ans une partie des fonds qui lui sont
nécespaires.
- Le conseil municipal de la ville d’ réa qui fait
—
tout pour l'instruction, les arts et Pindustrie, n'a
pas voulu de son côté rester étranger à cette insti-
tution, et il lui vote aussi une allocation annuelle,
C'est avec ces ressources et les cotisations de cha-
cun de ses membres résidans que l'académie a pu
suivre le cours de ses travaux.
Ainsi reconstituée et encouragée , elle n’a jamais
perdu de vue l’exemple de ses prédécesseurs, ellké .
a toujours été pénétrée de cette vérité que si les
lettres et les arts libéraux contribuent à la gloire
et au bonheur des nations, les sciences et les arts
utiles ont une influence plus grande et plus directe
sur sa prospérité; elle a donc porté principalement
ses encouragemens sur tout ce qui regardait le com:
merce , l'industrie, l'agriculture, et sur tout ce qui
tenait à l’économie publique. Nous allons donc la
voir s'attacher sous ces rapports à la solution des
questions du plus haut intérèt.
D'abord elle jette les yeux sur l’industrie existante
à Arras; elle y voit deux établissemens encore dans
l'enfance, mais dirigés par des hommes doués de
ce génie et de cette persévérance qui créent, fon-
dent les industrics, et les font prospérer au profit de
tous ; elle en étudie aussitôt le régime et le méca-
nisme, se rend compte de tout ce qui les concerne,
entrevoit leurs développemens futurs, et cherche à
allüirer sur eux l'attention publique , en imprimant
des rapports que naguères on consultait encore
pour avoir une idée précise et exacte de l’une de
er dsetries, | L
__ A6 —
L'imrnense accroissement, que les établissements
de MM. Crespel-Dellisse et Hallette ont pris, justifie
toutes les prévisions de l’académie, elle peut au-
jourd’hui les montrer à la France, elle peut dire
voilà les hommes que j'ai encouragés et dont j'ai
soutenu les prodigieux efforts, elle peut dire à la
ville d'Arras, voilà deux causes principales de votre
nouvelle prospérité ; je les avais devinés, je ne suis
pas restée étrangère à leur développement.
Lorsqu'il y a seize ans la fabrication du sucre in-
digène trouvait tant d’incrédules et même des dé-
tracteurs, l’académie en publiaitlesbienfaits. À une
autre époque, elle la défendait contre les projets
d'impôts ou de réduction de droits sur les sucres
étrangers.
La même sollicitude s’étendit aux autres bran-
ches d'industrie : l’établissement de MM. Catez et
Dantin fut aussi visité, examiné, apprécié dans ses
résultats.
La confection des dentelles et la fabrication des
huiles appelaient des améliorations qui furent si-
gnalées.
Le rétablissement de nos anciennes et si floris-
santes manufactures fut démontré possible pour
quelques-unes et avec des chances de plus grands
succès.
En agriculture, que n’a pas fait l'académie pour
provoquer et obtenir des progrès; il suffit de rap-
peler les mémoires qu’elle a publiés sur l'état ac-
tuel de l’agricultare dans le département du Pas-de-
Calais et les meilleures méthodes à suivre.
SR | pee
Sur les avantoges et inconvéniens de la vaine
pâture.
L'état positif de nos troupeaux de moutons, la
perfection et l’imperfection des races indigènes.
Les erreurs, les habitudes routinières et les pré-
jugés qui entravent les progrès de l’agriculture.
Sur la multiplication et le bon emploi des engrais,
et les avantages du nouveau système de cultiver les
assolemens raisonnés.
Sur l’action des engrais sur les plantes et de
celles-ci sur les engrais dans la végétation.
Sur les impôts et leurs effets; s'ils sont plus
marqués que chacun des composant employés sé-
parément.
Sur les avantages que Tintroduction des instru-
tramens aratoires perfectionnés a apportés à l’agri-
culture depuis quinze ans dans le département.
Sous le rapport de l’économie publique, il est
peu de questions importantes que l'académie n'ait
traitées.
Dès 1819, elle rappelait cette vérité que tous les
citoyens avaient indistinctement le droit d'éclairer
leur raison et de s’instruire, que parmi les droits
sacrés contre lesquels nulle puissance ne peut pres-
crire, il n’en était pas de plus précieux, puisqu’une
trisle expérience apprend qu'il n'existe d'égalité
réelle qu'entre les hommes.
Elle a indiqué également les réformes qu'elle ju-
geait nécessaires dans le mode d'enseignement des
collèges.
3.
«
18. —
Dans le régime des prisons, dans le soit des con-
damnés qui, après avoir subi leurs peines, ne
savent où reposer leurs têtes.
Dans les monts-de-piété , leurs frais d’administra-
tion intérieure et le taux des intérêts.
Si la mendicité, cette lèpre des états civilisés
désole encore notre cité, il ne faudra pas s’en pren-
dre à l'académie, qui depuis douze ans, en sollicite
avec persévérance l'extinction , indique les moyens,
en développe les conséquences pour le bien-être
général.
Il suffit sans doute que toutes les améliorations
soient connues pour qu’enfin elles s’opèrent. C'était
son devoir de les signaler, il faut maintenant s’en
reposer sür l'amour de l’humanité qui doit animer
ceux qui sont encore mieux placés pour les bien
apprécier.
Pendant que l'académie suivait le cours de ses
recherches, elle éprouva une marque d’estime et de
confiance qui dût la flatter : elle fut reconnue par le
gouvernement le 2/4 septembre 1828, sur le rapport
du ministre de l’intérieur et l’avis du conseil-d’état.
C’était la plus honorable approbation qu’on put
donner à ses travaux; c'était le plus grand encoura-
gement qu'elle püt espérer.
J] lui a fait renouveler et avec plus de force peut.
être le vœu qui n’a cessé de l’animer et qui n'a d’au-
tre but que le développement de tout ce qui est
utile et les progrès de la civilisation.
Ce vœu n’est fondé sur aucune prétention aca-
— 19 —
démique , il a pour unique base l’ardent amour que
chacun de ses membres porte à son pays, et le vif
désir de le voir lorsqu'il est déjà si favorisé par la
nature, ne rester en: arrière dans aucune des con-
naissances, humaines.
| RAPPORT
sur
LE CONCOURS D'’AGRICULTURE ,
Par M. THIBAULT, membre résidant.
Messieurs,
Une question toute palpitante d'intérêt en agri-
culture et qui, par son actualité était digne de fixer
l'attention de tous les agronomes amis du bien-être
de leur pays et jaloux des progrès de cet art si utile,
a été proposée par vous au concours de cette année.
Le sujet de cette question était d'indiquer quels
seraient , dans l'arrondissement de St.-Pol, les
moyens de supprimer les jachères et de substituer
avec avantage à la culture par sole la culture alterne,
avec introduction de prairie artificielle? 2°. Quels
obstacles cetie contrée oppose à cette amélioration ?
La société avait lieu de s'attendre que sur un
sujet aussi important, une foule de cultivateurs ins-
truits se seraient empressés d'entrer dans la lice et
de vous soumettre le résultat de leurs lumières et
de leur expérience : aussi a-t-elle vu avec regret
— JU —
que son appeln’ait point été entendu et qu'il n'y ait
eu qu’un seul mémoire susceptible de pouvoir figurer
au concours; je dis un seul parce qu'on ne peut consi-
dérer comme tel quelques notes sommaires qui
vous ont été adressées en forme de lettre et dont
l’auteur s'étant d’ailleurs fait connaître, contraire-
ment à votre réglement, ne peut-être admis à con-
courir. Le rapport que votre commission m'a chargé
de vous présenter, n’aura donc pour objet que l’exa-
men du mémoire portant pour épigraphe : Sed
tamen alternis facilis labor.
L'auteur de ce mémoire débute par nids
les anciens comme n'ayant eu aucune connaissance
en physique, et dès-lors il attribue l'établissement
du principe des jachères à la croyance où ils étaient
que la terre qui, au bout d’un certain temps, deve-
nant pour ainsi dire stérile à leurs yeux, avait
comme les animaux besoin de repos.
Nous sommes loin de partager le jugement que
l’auteur porte sur les anciens et qui constituerait à
les déshériter de toute connaissance en physique,
mais nous dirons que si la croyance qu’il leur impute
a pu être l’une des causes de l’origine de la jachère,
elle n’est assurément point la seule et que d’autres
motifs encore ont pu et dû nécessairement contribuer
à son introduction. Nous pensons et notre opinion à
cet égard n'est point isolée, que dans des tems re-
culés, lorsque les moyens d'exploitation n'étaient
point en rapport avec l'étendue des terres mises en
culture : par exemple dans des tems d’invasion, de
— 29 —
guerres civiles ou de troubles, lorsqu'une multitude
de bras employés au métier des armes, étaient dé-
tournés des travaux de l’agriculture , il a bien fallu,
par nécessité et par la force des circonstances, res-
treindre la culture et abandonner à l’état d’impro-
duction une partie plus ou moins étendue des ter-
rains que le manque de iravailleurs ne permettait
pas d'exploiter. Si l’on joint à ces circonstances le
peu d'instruction et de connaissances agricoles dans
les campagnes, le peu de succès qu'ont pu obtenir
des essais et des innovations mal combinés ou irré-
fléchis, l'insuffisance ou le manque de végétaux
nécessaires pour pouvoir alimenter tous les terrains
susceptibles d’être soumis à une culture régulière,
enfin l'impossibilité de trouver dans le peu de res-
sources que pouvaient offrir certaines localités, les
moyens de réparer par des engrais les pertes de la
terre et de lui restituer les sucs que les récoltes
auxquelles elle était annuellement soumise avaient
pu lui enlever, on se convaincra facilement que le
système des jachères consacré d’ailleurs par la force
de l’habitude et préconisé par l'ignorance et la rou-
tine , se soit, à l’aide de l'erreur et des préjugés,
peu à peu enraciné dans les esprits comme une
nécessité et se soit d’âge en âge perpétué jusqu à
nous. Telles sont, selon nous, les principales cau-
ses qui ont pu puissamment contribuer au maintien
de cette pratique vicieuse que nous combattons et
qui doit un jour disparaitre devant les progrès de
la science el les efforts réunis de tous les hommes.
99 =
qui, par amour du bien public, tendent à propager
les vrais principes et à bien pénétrer les masses de Ia
nécessité de substituer aux anciennesroutines les mé-
thodes et les pratiques qui sont seules susceptibles
de produire des résultats avantageux et d’heureuses
améliorations.
L'auteur signalant ensuite d’une manière rapide
les inconvénients et les désavantages que présente le
système des jachères, dit que les terres de l’arron-
dissement de St.-Pol peuvent facilement se prêter à
un mode de culture beaucoup plus productif, c’est-
à-dire, la culture alterne, basée sur l'aptitude de
la terre à donner des productions continuelles, en
employant les moyens propres à la féconder et en
lui confiant les plantes convenables à sa nature. Il
indique comme seul moyen de faire porter cons-
tamment à la terre de bonnes récoltes, sans toute-
fois trop l’épuiser, de varier ses produits. Il propose
aussi comme moyen de remplir le même but qué
la jachère, la méthode de faire succéder à une
plante qui cherche sa nourriture à la surface
de la terre, (le scourgeon par exemple) , une autre
plante telle que l’avoine qui va la chercher dans une
terre plus profonde; dans son opinion, ces deux
plantes auront une végétation aussi brillante que
s'il y avait eu entre elles une jachère qui n’aurait pu
servir à augmenter le suc destiné à la végétation de
la seconde récolte. De même, si après une récolte
remplie d'herbes nuisibles, il en vient une autre
(œillettes, fèves, pommes de terre) qui demande
op =
d’être sarclée, ne remplissez-vous pas alors, dit-il,
le but de la jachère, qui est de purger la terre des
mauvaises herbes qu’elle renferme ?
L'auteur professe qu'il y aurait économie d’en-
grais à faire succéder à une plante épuisante telle
que l’avoine, d’autres plantes propres à rendre à la
terre les sucs qu’elle a perdus, telles seraient les
prairies artificielles qui peuvent, par leur variété,
convenir à toutes les terres de l’arrondissement de
St.-Pol. Il] passe ensuite rapidement à la descrip-
tion des différentes natures de terrains qui compo-
sent particulièrement cet arrondissement et des
espèces de prairies que leur sol demande. Il distin-
gue dans cette contrée quatre espèces principales
de terres qu'une simple inspection suffit pour faire re-
connaître : 1° les terres crayeuses, dans lesquelles
domine la craie que l’on reconnaît facilement à la
couleur blanchâtre du sol; dans ces terres se plaisent
le trèfle jaune, la luzerne, le sain-foin, les œillettes.
2°, Les terres glaiseuses, dans lesquelles on trouve
une grande quantité d’argile qu’on peut reconnaitre
au tact, par leur composition gluante et visqueuse
et à la vue par les crevasses que la chaleur occa-
sionne à [eur surface ; — à ces terres conviennent
le trèfle blanc, le trèfle jiune, la luzerne, le sain-
foin, les colzats, les œillettes et camelines.
5°. Les terres quartzeuses dans lesquelles domine
le silex que la vue seule suflit pour découvrir. Ces
terres demandent les mêmes plantes que les terres
glaiseuses.
— 95 —
4. Les terres franches ou bonnes terres, dans
lesquelles il entre en plus ou moins grande quantité
de l'argile, du gypse, du sable et de la terre végétale ;
c’est-à-dire, des matières animales ou végétales en
décomposition; on s'assure qu’une terre est franche
quand elle n’est pas assez compacte pour faire sé-
_journer l’eau à la surface , ni assez friable pour per-
mettre à la chaleur de dessécher son sein ; — à ces
terres conviennent particulièrement le trèfle rouge,
le trèfle incarnat, le ray-grass, le lin, les colzats, les
œillettes et la cameline,
\
L'auteur termine cette première partie de son
mémoire en proposant un mode d’assolement qu'il
suppose applicable à l'arrondissement de St.-Pol.
Le mode qui, selon lui, devrait être adopté à cet
égard consisterait dans l’assolement quatriennal. Je
suppose, dit-il, une culture de 200 mesures de terre
dont chacune des espèces citées plus haut formerait
“un quart — les 200 mesures doivent être divisées
en 4 lots formés chacun par un quart de chaque
espèce de terre, de sorte que chaque année les lots
fournissent successivement les terres qui conviennent
à toutes les espèces de prairies, de céréales et de
graines grasses et facilitent par ce moyen la régu-
larité des produits. — Voici l’ordre qu’il propose de
suivre, sans parler des terres qui conviennent aux
grains d'automne et de mars.
PREMIÈRE ANNÉE.
Bonnes terres — ray-grass, incarnat — faire
h.
_ 96 —
après sa récolte parquer des moutons pour lui faire
succéder du plant de colzat — trèfle rouge retourné
après une 2° coupe,
1° lot. Terres crayeuses — trèfle jaune, sain-foin,
Terres quartzeuses et glaiseuses — trèfle blanc, trèfle
jaune, luzerne.
Les terres qui ont porté, toutes ces prairies doi-
vent être fumées après leur récolte.
_ 2% Jot. Bonnes terres —lins, cameline. \
Terres crayeuses — œillettes.
Terres quartzeuses et glaiseuses,
— colzats, œillettes.
3° lot. Blé, scourgeon, seigle. Fumer la terre
après leur récolte.
4° lot. Avoines, hivernaches, fèves. }sarclécs.
Et ainsi successivement, dit l’auteur, en chan-
geant pendant quatre ans les produits de chaque
lot de sorte que les graines grasses se trouvent à la
place des prairies artificielles et quelles soient elles.
mêmes remplacées par les grains d'automne à qui
les grains de mars doivent succéder et ainsi de suite.
Telle est l'analyse de la première partie du mé-
moire qui n'est lui-même, à proprement parler,
qu'une simple analyse. En effet, dans toute cette
partie, l’auteur n’a fait qu'aborder et effleurer son
sujet sans le creuser ni l’approfondir. Il ne l’a point
traité à fond — son travail n’est qu’une légère es-
quisse qui manque des investigations nécessaires
pour porter la conviction dans les esprits. C'est vai-
nement qu’on y chercherait une discussion des
sarclées.
97
différentes méthodes de culture entre-elles ; c’est
vainement qu’on y chercherait également une dé-
monstration raisonnée des différents obstacles que
la jachère eppose journellement aux progrès de l’a-
griculture et des influences que la routine exerce
sur les cultivateurs pour les maintenir à rejeter loin
d’eux les pratiques nouvelles que la science et l’ex-
périence leur signalent comme plus profitables et
et plus avantageuses. C'est encore vainement enfin,
qu'on y chercherait une série de raisonnements
susceptibles de justifier les conséquences qu'il veut
faire découler des moyens qu’il indique. En un mot,
il n’y a point d’argumentation, chose cependant
nécessaire et même indispensable pour parvenir à
convaincre et surtout à faire revenir de leur erreur
des esprits prévenus et imbus de préjugés. H eût
fallu que l’auteur, pour bien démontrer ses propo-
sitions, entrât dans des détails ct des développe-
mens plus étendus; qu’il démontrât surtout la su-.
périoritéet les avantagesdu système de culture alterne
qu’il propose, sur celui qu’il combat; qu'il fttoucher
du doigt, pour ainsi dire, par des calculs bien. éta-
blis la réalité des. bénéfices que le cultivateur doit
recueillir d'un changement de méthode. Cela était
d'autant plus essentiel que l'intérêt seul peut ame-
ner les habitans des campagnes à des innovations.
Cette partie est donc incomplète et insuffisante.
Elle ne peut. pas être considérée comme ayant at- :
teint le but de la question ni justifié l’attente de la
société.
__ 98 —
Quant à l’assolement quatriennal que l’auteur
propose d'introduire dans l'arrondissement de
St.-Pol, nous pensons que ce mode ne pourrait être
adopté par les cultivateurs qui n’ont point de mar-
ché à eux. En effet, la position dans laquelle ces cul-
tivateurs se trouvent d’après leurs baux ne nous
semble pas pouvoir leur permettre de le pratiquer.
La plupart d’ailleurs n’en auraient peut-être pas les
moyens ni les facultés. Au surplus, comme les baux
n’embrassent ordinairement qu’une période de
neuf années, comment pourraient-ils faire eoncor-
der un assolement quatriennal avec une jouissance
ainsi déterminée et aussi restreinte. Supposons
qu’au commencement d'un bail de neuf ans, un
cultivateur adoptât l’assolement quatriennal; que
ferait-il dans la dernière année qui lui resterait à
exploiter après la révolution des deux assolements
qu'il aurait utilisés? on ne peut le prévoir. Il fau-
drait done qu'il laissät ses terres en friche et renon-
càt à toute espèce de récolte ou il faudrait qu'il
rompit l’assolement ; mais alors ce serait agir contre
le but mème que l’on veut atteindre, ce serait intro-
duire le désordre dans la culture. Dans cet état des
choses cet assolement ne paraissant pas convenable,
il n’y aurait donc que l’assolement triennal quisem-
blerait susceptible de pouvoir être introduit et mis
pratique, parce qu'il pourrait se concilier avec la po-
sition des fermiers non propriétaires de leur marché;
position à laquelle l’auteur n'a peut être pas pensé.
ou sur laquelle il n’a sans doute point assez réfléchi.
— 99 —
Arrivons maintenant à la deuxième partie du mé-
moire dans laquelle l’auteur s’est occupé de signaler
les obstacles qui, selon lui, s'opposent à l’introduc-
tion de la culture alterne. Cette partie ne comporte
en tout qu'environ 35 lignes. C'est assez dire que
l'auteur n’a fait que les indiquer d’une manière on
ne peut plus succincte. Il cite en première ligne
celui qu’apportent les propriétaires par la courte
durée des baux qu'ils accordent et par la dé-
fense qu'ils font de dessoler les terres. Vient ensuite,
dit-il, la grande division des propriétés et par consé-
quent leur éloignement des chemins, et leur encla-
vement ; enfin à ces causes il se borne à ajouter le
mauvais élat des chemins qui ôte aux cultivateurs
la facilité de se procurer au dehors des engrais par-
fois nécessaires à leur culture.et de transporter en
temps et saison convenables ceux qu’ils ont faits chez
eux. |
Cette partie, comme on le voit, laisse encore plus
à désirer que la première et elle est loin de pouvoir
être considérée comme ayant été traitée — non-seu-
lement elle est veuve d’argumentation, de discus-
sion, de démonstrations et de raisonnements, mais
elle est encore incomplète en ce qu’elle omet d’in-
diquer la majeure partie des obstacles qui existent
et parmi lesquels nous nous bornerons à signaler le
manque d'instruction et de connaissances agricoles
dans les campagnes; le défaut d’aisance qui ne per-
met pas le plus souvent aux cultivateurs de pouvoir
entreprendre les travaux nécessaires pour réaliser
Ld
— 30 —
des améliorations: l’habitude de suivre les ancien-
nes pratiques et l'attachement des cultivateurs à la
routine de leurs pères; la coutume de la vaine pà-
ture qui ne doit son origine qu'à cette même rou-
tine et qui est aujourd'hui aussi abusive que nui-
sible aux progrès de l’agriculture; l’absence d’un
code rural sagement coordonné et approprié aux
besoins actuels et dans lequel se trouveraient des
dispositions propres à préserver les propriétaires
aisés et éclairés des entreprises de la malveillance.
enfin les essais infructueux qu'ont pu faire une foule
de cultivateurs qui ont été mal dirigés ou qui se
sont livrés, sans le savoir, à des erreurs qui ne leur
ont offert que des résultats désavantageux.
La double question proposée n’ayant point été
traitée d'une manière satisfaisante, votre commis-
sion a été d'avis unanime qu’il n'y avait pas lieu de
décerner le prix à l’auteur; toutefois elle a pensé
qu’il était juste de lui tenir compte de son zèle
et de ses efforts, mais elle a été partagée sur la
question de savoir si l’on devait lui accorder une
médaille d’encouragoment ou seulement une men-
tion honorable. — C’est à vous maintenant, mes-
sieurs, qu'il appartient de prononcer.
FABLE.
L'ÉPI DE ELÉ LRU LB BLEUE,
_Par M. THIBAULT, membre résidant.
Au sein d'un champêtre héritage,
Un épi de froment, au corps grèle et fluet ,
Coulait des jours heureux, lorsqu’en son voisinage,
Vint se fixer un Jeune et vaniteux bluet.
Par les habitans du village,
Soir et matin soins assidus,
Etaient à notre épi rendus.
De ces soins et de cet hommage,
Sire bluet devint bientôt jaloux.
Il n’en fallait pas davantage,
Pour exciter sa haine et son courroux.
Ces bonnes gens, disait-il, sont bien fous,
De s’engouer ainsi d’un pareil personnage ;
Voyez-le, rien en lui ne parle en sa faveur.
Quel mauvais ton, quelle tournure!
_— 39 —
Quel air gauche et commun ! ah, certes la nature,
Ne pouvait le traiter avec plus de rigueur.
Moi, du moins , moi, je plais par ma délicatesse,
L’azur qui me colore enchante tous les yeux,
Chacun admire ma souplesse
Et qui peut me cueillir s’estime très heureux.
Notre bluet se tut , ayant dit de la sorte ;
L'épi qui jusqu'alors avait , de ce marmot,
Mébprisé les discours , lui dit, mon pauvre sot :
Se peut-il que l'orgueil qui toujours vous escorte,
Vous aveugle jusqu’à ce point ?
Vous blämez mes défauts , mais n’en avez vous point ?
Vous nous vantez votre souplesse,
Etre souple, sans doute, est un très grand bonheur ,
Et puis avec votre couleur,
Vous nous faites valoir votre délicatesse,
Tout cela, j'en conviens, vous fait beaucoup d'honneur.
Je n'ai point, il est vrai, de formes élégantes ,
Et ne puis, comme vous par des grâces brillantes,
Enchanter et ravir les regards des mortels;
Mais je sers à leur existence,
Et c’est pour ce bienfait que par reconnaissance,
Rome m'éleva des autels.
Quant à vous dont le sort le plus brillant, je pense,
Est de servir souvent de jouet à l'enfance,
Un peu plus d'équité, beaucoup moins d’arrogance ,
DS. ue
Sire Bluet vous irait mieux;
Car enfin qu’êtes-vous ? une herbe parasite;
Votre inutilité, voilà votre mérite,
À nos guérets toujours vous fûtes odieux,
Et lorsque des humains le mépris en tous lieux,
Sans cesse vous poursuit, leur respect m’environne,
Vous ne fûtes jamais d’aucun prix à leurs yeux,
Et sur la terre il n’est personne,
Qui, pour me posséder ne donne,
Ce qu'il a de plus précieux.
Si je viens à manquer, plus de ris, plus de jeux ;
Partout chez les mortels règne alors la tristesse ;
Mais quand le ciel propice, en exaucant leurs vœux,
Des champs par ma présence augmente la richesse,
Rien n’égale leur allégresse.
Produisez-vous sur eux la même impression ?
Non, car à votre azur, comme à votre souplesse,
On pe fait guëre attention. |
Partout on me chérit, partout on vous réprouve,
Vous ne savez où fuir pour être en sûreté,
Cela, je crois, assez vous prouve,
Qu un mépris Juste et mérité,
Sera toujours le seul hommage,
Qu'obtiendra l'arrogant qui n’a pour apariage
Que sot orgueil et vauité.
/
ÉCONOMIE PUBLIQUE.
DE L'ÉCLAIRAGE AU GAZ,
Par M. LARZILLIERE, membre résidant.
On s'étonne quelquefois que la Grande-Bretagne
jouisse presque exclusivement depuis plus d’un
quart de siècle, de l'immense bienfait de l'éclairage
au gaz, qui procure une lumière à la fois si bril-
lante et si économique ; et, qu’en France, au con-
traire, l’usage de cette magnifique découverte, qui
nous appartient, semble être encore un privilège
réservé à la capitale, et à un petit nombre d’autres
localités ?
Pourquoi donc, se demande-t-on avec raison, la
plupart de nos villes du Nord, où la houille revient
notablement moins cher qu’à Paris, en sont-elles
réduites encore aujourd'hui, sur ce point, à des
vœux et à des espérances ?
Notre tâche n’est pas d'examiner ici pour quelle
cause le Français est loin de posséder à un si haut
degré le mérite de l'application et du perfectionne-
ment que le génie de l'invention mème: nous ha-
sarderons seulement quelques réflexions sur les
trois modes ordinaires d'éclairage en grand, savoir :
à l’huile, au gaz de la houille , et au gaz de l'huile.
La question de l'éclairage en général, serait sans
doute nettement posée, si on la subdivisait en ces
trois propositions.
Dot-on préférer 1° l'éclairage aw gaz de la houille
à l'éclairage à Fhuile? Wu
2° L’éclairage au gaz de l’huile à l'éclairage à l'huile?
, 8° L’éclairage au gaz de la houille à l'éclairage au
gaz de l’huile ?
Mais comme il n’est probablement pas possible
de résoudre le problème en général, tächons du
, Moins de discuter les différents points de la ques-
ton , et de découvrir quelques résultats approxima-
tifs qui pourraient intéresser en particulier le Nord
de la France.
1° L’éclairage au gaz de la houille est-il pr érable
à l'éclairage à l'huile?
En grand, la question nous paratt résolue en fa-
veur du gaz.
En effet, il n’y a guère que cinquante a ans s que
l'ingénieur Français Lebon, imagina d'appliquer la
lumière des gaz inflammables à l'économie publi
que. C'est ainsi qu il créa en même temps, et pres-
que sans le savoir, comme il arrive souvent, les arts
si remarquables de la fabrication du vinaigre de bois
et de l'éclairage au gaz. Vingt ans plus tard, des ate-
= 56 —
liers, des filatures étaient éclairés en Angleterre
par le gaz de la houille : peu à peu ce mode d’éclai-
rage s’est étendu à presque toute la Grande-Breta-
gne et à un grand nombre de villes du continent :
preuve incontestable .des avantages de ce procédé.
Il est important de remarquer que des villes où la
houille est assez chère y ont trouvé de l’économie.
Nous citerons entr’autres Paris, où les houilles que
l’on consomme généralement, c’est-à-dire les houil-
les de St.-Etienne et du Creusot reviennent moyen-
nement à 4 fr. 5o cent. l’hectolitre ( de 80 kilo-
grammes environ.) L'avantage cest encore moins
contestable pour les départements au nord de la
France où la houille revient à bien meilleur mar-
_ ché. D'ailleurs, le commerce des huiles souffrirait
à peine de cette heureuse innovation, puisqu'on ne
consomme sur les lieux qu’une très faible partie des
huiles fabriquées.
Voici effectivement les bases de la solution de
cette grande question. La lumière artificielle est dûe
à la combustion avec flamme du gaz hydrogène plus
ou moins carboné. Tantôt ce gaz est dégagé à me-
sure qu'il brûle, comme dans l'éclairage par les
corps hydrogénés, solides ou liquides; tantôt il est
préparé d'avance comme dans le procédé d’éclai-
rage dont nous voulons parler spécialement. Or, les
houilles à gaz peuvent se diviser en trois grandes
classes : 1° la houille dite cannel-coal (1) qu’on trouve
dans le Lancashire, en Angleterre. Distillée en grand
(1) Chandelle-Charbon, à cause de sa longue cl belle flamme.
>
=,
elle fournit 320 litres de gaz par kilogramme ( ou
environ 270 hectolitres de gaz par hectolitre de
houille.) C’est pour cette raison qu’on la consomme
sur les lieux presqu’en entier pour l'éclairage. 2°
Les houilles ordinaires anglaises qui donnent 230
litres de gaz par kilogramme (ou près de 200 hec-
tolitres de gaz par hectolitre de houille }; 3° les
houilles médiocres, comme les houilles du Nord de
Ja France, qui sont les moins avantageuses. Elles
donnent encore environ 210 litres de gaz par kilo-
gramme (c’est-à-dire près de 180 hectolitres de gaz
par hectolitre. } Or, le calcul et l'expérience cons-
tatent qu'avec 106 à 110 litres de gaz de la houille,
on produirait pendant une heure autant de Îu-
mière qu'avec une bonne lampe de Carcel, brû-
lant un once 1/9 (42 grammes) d'huile. Mais la
consommation par un jet ordinaire est d'environ
140 litres de gaz par heure. Ce volume est fourni
par deux tiers de kilogramme, à peu près, qui coùû-
tent dans le Nord de la France environ 2 centimes.
Le prix du bec de gaz par heure n'irait pas beau-
coup plus haut, en raison de ce que les frais de
distillation seraient à peu près compensés par les
produits qu’elle donne, et notamment par le coak.
Au lieu qu’à Paris, le gaz revient beaucoup plus
cher.
Voici à quoi tient la différence.
La houille à coak ou à gaz revient, à Paris, à 4 fr.
0 cent. environ par hectolitre , tandis qu'à Arras,
par exemple , elle revient à 2 fr, 4o cent. Le coak
_— 38 —
produit par la houille se vend à Paris 2 fr. 85 cent.,
à Arras, 2 fr. Ainsi, tandis que la houille qui pro-
duit le gaz coûte dans nos départements frontières
environ deux fois moins cher qu'à Paris, d’un autre
côté, le coak, qui est avec le gaz, un résultat fort
important de la distillation de la houille , est bien
loin de se vendre proportionnellement dans les deux
localités.
Il faut faire attention , en outre, que dix hectoli-
tres de houille donnent, après la distillation, qua-
torze hectolitres de coak ; que, si les houilles à coak
sont celles qui donnent le plus de gaz, il y a néan-
moins avantage encore à faire venir des houilles or.
dinaires qui reviennent moins cher, et dont on
prend soin de faire deux parts : l’une de moindre
qualité pour le chauffage, l’autre qu’on distille au
moyen de la première, et qui donne le gaz et le
coak. Ordinairement, il faut un hectolitre pour en
distiller deux.
. On sait que le coak est employé dans les arts,
par les affineurs de métaux, les fondeurs en cuivre
et en fer ; par les brasseurs. pour le touraillement
des grains, etc. ; puis, dans l'économie domestique,
au lieu de la houille ordinaire, sur laquelle il a l'a-
vantage de brûler sans flamme, ni fumée, ni odeur.
Il doit dunc y avoir économie sensible dans nos.
provinces du Nord à s’éclairer au gaz de la houille.
2° Doit-on préférer l'éclairage au gaz de lhule a
l'éclairage à l'huile ?
La préparation du gaz de l'huile est aussi | simple
— 39 —
que celle du gaz de la houille est compliquée. La
main - d'œuvre et l'entretien sont à peu près les
mêmes que pour éclairage à l'huile. Il ne resterait
donc qu’à comparer l'intérêt de l'appareil , le prix
de l'huile et celui de la houille qu’exige la produc-
tion du gaz , avec l’intérèt du prix des lampés, et la
valeur de l'huile qu’elles brûlent.
Les huiles ordinaires fournissent par kilogramme
au moins 800 litres d’un gaz dont la densité est un
peu moindre que celle de l'air, c’est-à-dire moyen-
nement double de celle du gaz donné par une houille
de qualité médiocre , la seule dont il soit ici ques-
tion. Ce gaz éclaire trois à quatre fois autant que
l'autre, attendu que le pouvoir éclairant croît dans
un rapport bien plus grand que la densité. Soit trois
fois et demie : alors 800 litres de gaz de l’huile équi-
valent à 2800 litres de gaz de la houille. Car, à
raison de la grande densité du gaz de l'huile, le
diamètre des becs à gaz de houille peut être dimi-
nué proportionnellement pour fournir la même lu-
mière en gaz de l'huile.
Un bec ordinaire au gaz de l'huile brüûlerait, en
dix heures environ, la quantité de gaz fournie par
un kilogramme d'huile. D'où il suit évidemment,
d’après le prix des huiles, qu’on n’emploiera avec
avantage que des huiles à très bon marché. En An-
gleterre on se sert d’huiles de poisson brutes. Dans
nos départements, où on se livre à la culture des
graines oléagineuses, on pourrait consommer l'huile
de graines également brutes; probablement, mème
— 0 —
les résidus d’huile de colza qui reviennent de 14 à
16 fr. l’hectolitre, et dont le poids est tel que le ki-
logramme coûte de 15 à 20 centimes. Plus des trois
quarts de la matière qui les composent sont sus-
ceptibles de fournir du gaz éclairant. On pourrait
encore mélanger ces résidus avec d’autres en quan-
tités convenables. Dans tous les cas, ces huiles ou
résidus propres à l'éclairage au gaz ne reviendraient
certainement pas dans notre localité à 25 cent. le
kilogramme. Eh bien! même en admettant ce maxi-
mum, ilest permis de penser que l'éclairage au gaz
de l'huile ne reviendrait pas plus cher que l’éclai-
rage ordinaire.
Il est bien entendu que le diamètre des becs se-
rait réduit de manière à donner la même lumière
que le gaz de la houille.
Cette lumière, donnée par un jet moyen, est en-
viron trois fois plus belle que celle d’une lampe or-
dinaire. Elle surpasse encore d’un quart en inten-
sité celle d’une lampe de Carcel, c'est-à-dire qu’un
pareil bec éclaire à peu près autant que 12 _.
delles de six à la hivre, ou 9 bougies de cinq à
livre. Qu'on la compare, s'il est possible, à la pe
lueur d'un réverbère! _
Abordons enfin la troisième question. :
5° L’éclatrage au gaz de l'huile est-il préférable à
l'éclairage au gaz de la houille?
Cette question intéresse au plus haut degré le
commerce des huiles de notre contrée. Car, si l’on
était unc fois convaincu, par des essais convenables,
= Ni —
de l'avantage qu’il y aurait dans notre pays à s'é-
clairer au gaz de l'huile, même de préférence au
ga de la houiïlle, il est évident qu il jaillirait de cette
conviction une nouvelle source de prospérité com-:
. merciale. Or, nous sommes persuadé que les rés-
dus d'huiles de colza épurées ne peuvent pas trou-
ver de meilleur emploi que l& décomposition en
gaz, prapres à l'éclairage, après qu'on en aurait
séparé l'acide salfurique. Si l'on demande des faits:
à l'appui de nos assertions, nous citerens entre tous
les essais quiont été pratiqués sur les graisses et les
huiles de mauvaise qualité, les expériences de M.
Darcet, en France, sur les résidus des dégraissages
de drap et des eaux de savon qu ont servi dans les
fabriques, et surtout l'établissement de M. Taylor,
& Londres. Car, encore une fois, ce sont principa-
lement nos voisins qui ont la persévérance néces-
saire pour appliquer et perfectionner.
Dans cette usine, on prépare le gaz avec de l'huile
de morue dont l'odeur insupportable ne permet
guère d'autre usage. I} était difficile de croire à la
possibilité d'obtenir un bénéfice en employant le
gaz de l'huile, dans un pays où la houïlle est à si
bas prix ; aussi cette usine a-t-elle été fondée en quel-:
que sorte aux cris de la désapprobation h plus géné-
rale. Eh‘ bien! malgré les plus sinistres prédictions, en
dépit des objections dont plus d’une paraissait très
sohde, elle a prospéré avec un incroyable succès.
£a comparaison des deux modes d'éclairage au
gaz est aisée à faire pour chaque localité, en cher-
6.
«
ha —
chant les prix respectifs des deux gaz dans les
mêmes circonstances.
Si l’on tient compte des quantités de gaz four-
nies par la houille et huile, et des durées de leur
combustion, on trouve qu’un kilogramme d’huile
équivaut à 14 kilogrammes de houille. Le prix de
cette quantité est, à Arras, de 42 centimes envi-
ron. Il en faut moitié en sus pour le chauffage.
D'où 21 kilogrammes, soit un quart d’'hectolitre coù-
tant 63 centimes. Les 14 kilogrammes (ou + d’hec-
tolitre) distillés donnant 2 décalitres de coak, ven-
dus 4o centimes. Restent 23 centimes pour le prix
du gaz, sans compter la main-d'œuvre.
D'un autre côté, un kilogramme d'huile, demande
pour sa décomposition, la moitié de son poids de
houille, coûtant 1 cent. 12. Pour équivaloir dans
ces circonstances, à la houille, le kilogramme
d'huile ne devrait donc pas coûter plus de 21 c. 172.
Mais à ce prix, l'huile serait infiniment préférable
à la houille, car les frais de main-d'œuvre, d'ap-
pareils et d'entretien sont incomparablement moins
coûteux. Si donc l'huile employée ne coûte pas plus
de 50 c. par kilogramme , le gaz de l'huile pourra
même encore être préférable au gaz de la houille.
En résumé, si l'éclairage au gaz n’a pas eu jus-
qu’alors en France, un succès aussi général et aussi
décisif que chez nos voisins, cela tient principale-
ment au prix de la houille qui est assez élevé, au
bas prix relatif des huiles, et à la perfection des
A]
lampes, comparativement à l’Angleterre. Néan-
— 3 —
moins, déjà dans ces derniers temps, nous avons
vu surgir un grand nombre d'établissements qui
trouvent plus ou moins d’économie. dans ce mode
brillant d'éclairage. Pour donner une idée de l’a-
vantage qu'il offre, nous nous bornerons à un exem-
ple dont l’authenticité est incontestable.
L'hôpital St.-Louis, à Paris, paie la houille en-
viron deux fois plus cher quelle ne coûte dans nos
départements limitrophes. Il s’éclaire cependant au
‘gaz depuis une quinzaine d’années. Or, il est trois
fois mieux éclairé pour 11000 fr. qu'il ne l'était à
l'huile dans le même temps pour 8000 fr, c'est-à -
. dire qu'ila pour 11000 fr. l’équivalent de 24000 f.
de lumière d'huile.
Plusieurs villes du Nord de la France sont aujour-
d’hui éclairées par le gaz de la houille. D'autres sont
en instance à ce sujet auprès des entrepreneurs ou
de l’administration.
La ville de Boulogne, parexemple, payait jusqu'à ce
jour 12000 fr. pour un millier d'heures d’un faible
éclairage à l'huile. Aujourd’hui, elle va jouir, du-
rant chaque nuit de l’année , sans exception, depuis
le coucher du soleil jusqu’à son lever, d'une vive
lumière, dont l'intensité sera triple de celle des
lampes ordinaires, et la durée plus que triple de la
durée de l'éclairage à l'huile. Et cette lumière qui, à
l'huile, coûterait plus de cent mille francs s obtient
au gaz pour quinze mille!
Aussi est-il mdubitable que ce mode d'éclairage
se mullipliera en France : 1°. à mesure que les
= ft —
moyens de communication devenant plus prompts
et plus faciles, les recherches de houillères plus
actives et mieux raisonnées, rendront à la fois
moins coûteux les frais de transport ainsi que la
matière première ; 2°. lorsque les essais auxquels
on se livre à l’envi dans plusieurs villes du Midi,
auront pleinement convaincu les plus incrédules de
la possibilité de produire un gaz économique par les
bitumes, les résines, etc., etd’utiliser en lumière les
résidus considérables d’huiles, eaux de savons, et
aulres matières grasses, qui ont été jusqu'alors
presque sans valeur.
FABLE.
LE PAUVRE ET LE TRESOR.
SUJET TIRÉ DU RUSSE.
Par M. THIBAULT, membre résidant.
Besace au dos un pauvre hère,
Aux passants demandait son pain ;
Bien profonde était sa misère !
Et tandis que sur son chemin
Equipages de toute:sorte,
Roulaient avec le plus grand train,
Ce nouveau Job allait de parte en porte,
Déplorant son triste destin ; |
Pourquoi comme çes gens n’ai-je point chère lie?
Pourquoi comme eux assis au banquet de la vice,
Me pèse-t-elle , hélas ! comme un fardeau ?
| Pourquoi d'amertumes remplie,
Vais-je à lui préférer le néant du tombeau?
Ah ! si du moins un jour un destin plus prospère
— 6 —
Pouvait enfin naître pour moi,
Simple et modeste dans ma sphère
Frugalité serait ma loi.
Cette profession de foi,
Etait-elle franche et sincère ?
À dire vrai j'en doute fort ;
Mais du reste cela ne fait rien à l’affaire,
Voici le point... un jour que notre Bélisaire,
À jeûn.… peut-être aussi plus malheureux encor,
Ou plus souffrant qu’à l’ordinaire,
Par des accents plaintifs gémissait sur son sort.
Il vit du haut des cieux descendre la fortune ;
Eh ! bien me tiendras-tu comme toujours rancune,
Lui dit-il, veux-tu que la mort
Seule termine ma misère ?
Ne pourrai-je jamais goûter sur cette terre,
Les délices du coffre-fort ?
Ce sont là tes vœux lui dit-elle,
Aisément , mon ami, je puis te contenter;
Mais de ta richesse nouvelle,
Je doute qu’à propos tu saches profiter.
Vois-tu la bas cette escarcelle ?
Elle est pleine et regorge d'or ;
Tu peux à ton loisir puiser en ce trésor ,
Autant que tu voudras , mais si de ta besace
Un seul ducat s'échappe et toinbe sur la place,
— 7 —
Tu verras tout , soudain, disparaître à tes yeux ;
Y consens-tu ? j'accepte... oh! qu'à cela ne tienne,
Je suis bien sûr de moi... tout ira pour le mieux
Je ne suis point ambitieux... |
Cotimençcons..…. lors sans plus attendre,
Le pauvre en son bissac verse l’or à souhait ;
Mais plus noire homme en prend plus il voudrait en prendre.
Ainsi l’esprit humain est fait,
Cela ne doit point nous surprendre.
En voyant son ardeur la fortune lui dit :
Quelle convoitise est la tienne ?
À tes désirs crois-moi donne un peu de répit;
Vois, ta besace est presque pleine :
N’en as-tu pas assez)... non certes pas encot,
Lui répond notre avare on n’a jamais trop d’or ;
Pour une fois permets au moins que j'en amasse
Tout mon saoul... aussi bien je n’aurai plus si beau
Profitons du moment... cela dit : de nouveau
Il prend force ducats qu'avec son il entasse ;
Enfin il se dispose à charger son fardeau ;
Mais il était trop lourd, trop vieille la besace
Elle crève et soudain tombant sur le carreau
Le trésor disparaît rien ne reste à sa place.
Au même instant aussi la fortune s'enfuit
Et des yeux en pleurant le pauvre en vain la suit :
De son sort et de sa disgrâce
Pensez-vous qu'il va s'accuser ?
Non ce n’est point à lui ce n'est qu'à sa besace
Qu'il s'en prend: j'aurais dù, se dit-il, en changer ;
Elle était peu solide aussi sans plus tarder
J'en veut mettre une autre à sa place,
Mais de cuir, cette fois, il faut que je la fasse.
Vaine précaution , hélas! soins supertlus
La fortune à ses yeux ne se présenta plus.
Faibles mortels à notre convoitise
Sachons à propos mettre un frein
N’accusons pas toujours notre destin,
Souvent notre malheur c’est notre gourmandise.
RAPPORT
SUR LES
REMPLACEMENS MILITAIRES,
Par M. SERVATIUS , membre résidant.
Messieurs,
La commission que vous avez chargée d'examiner
les mémoires qui vous ont été adressés sur la ques-
tion que vous avez mise au concours, relativement
au remplacement, a lu avec l'attention que méritait
un sujet aussi important tous les écrits qui lui sont
parvenus et elle a bien voulu me charger de vous
soumettre ses observations et de vous développer les
motifs du jugement qu'elle a porté. Vos momens
étant comptés, je le ferai aussi brièvement que pos-
sible.
Douze mémoires ont été présentés ; sur ces douze
trois doivent être écartés, parce qu'ils sont signés
ou imprimés contrairement aux statuts de votre
Sogiété, et un quatrième ne paraît pas prétendre au
7.
— 50 —
concours. Restent donc huit mémoires , lesquels
présentent trois systèmes différents, qui consistent :
l'un à confier le monopole du remplacement à l’É-
at, l'autre à en laisser le soin aux compagnies, et le
troisième à l’abandonner à l'administration particu-
lière des corps.
‘Cinq des auteurs ont écrit dans le sens du pre-
nier mode, deux dans le sens du second, et un dans
le sens du dernier.
Les innovations proposées par les cinq premiers
auteurs sont possibles , 1] n'y a point d'innovation
dans les observations soumises par les deux auteurs
des mémoires compris dans la deuxième catégorie,
et les innovations présentées par l’auteur du dernier
mémoire, nous ontparu d’une exéculion impossible,
Messieurs, c’est une question grave et également
digne des méditations de l'homme d'état et du phi-
Jantrope que celle qui a rapport au recrutement ;
et si jamais sujet a mérité d’être étudié avec soin et
traité avec conscience, c’est celui qui, tout à la fois,
intéresse si vivement l'honneur et l'indépendance
d’une grande nation, qui exerce une imfluence di-
recte sur l’avenir de chaque jeune citoyen, et qui
touche d’aussi près à ce qu'il a de plus cher, la li-
berté individuelle, pour la restreindre au profit de
. la liberté publique. | |
Nous le disons à regret, Messieurs, aucun des
auteurs des mémoires ne nous a paru suffisamment
pénétré de l’importance de la question qu'il agitait.
+ On a tourné autour de cette question, on en a pres-
+, de
senti l’immensité ; mais personne ne l’a osé aborder-
de front.
. Tous, ik est vrai, ont reconnu les inconvéniens du
système actuel; mais peu sont entrés dans. la voie vé-
ritable de salut, et on s’est borné, en général, à appli-
quer des calmants, sans s'attacher à extirper le mal.
Pleins de la législation qui existe, la plupart des
auteurs ont cherché à la mettre en rapport avec les
idées d'améliorations dont ils avaient le sentiment
On a signalé les abus, les vices ; on a indiqué la
nécessité d’une réforme, mais on en est resté là parce
qu’on ne s’est pas placé assez haut pour en apprécier
et en indiquer les points principaux.
Je parle ici, Messieurs, de la majorité des écrits
soumis à votre jugement. Tout à l'heure, je ferai la
part de ceux qui ont le plus franchement abordé les.
difficultés du sujet. |
Aiesi on a généralement déroute que le défaut
de la loi actuelle était dans le remplacement, qu'a-
bandonné au monopole des compagnies intéressées
à se procurer des hommes au meilleur compte poss
sible, il ne tendait à rien. moins qu’à introduire dans
l'armée tout ce que la société avait de moins bon et,
en quelque sorte, ee qu’elle repoussait de son sein.
On a prouvé que le cachet de réprobation imprimé
au front du remplaçant empèchait les vieux soldats
d'accepter une position déconsidérée, que l'État se
trouvait ainsi privé de leurs services, et qu insensi-
blement l'armée arriverait à n’être plus. composée
que de mercénaires et d’élémens impurs.
. — 92 —
Pour échapper au danger d’un pareil état de cho-
ses, on a compris la nécessité de retirer aux compa-
gnies particulières le monopole qu’elles exploitent
d'une manière funeste pour l’armée, et de confier
la. direction du remplacement au Gouvernement.
C'est l'opinion reproduite dans Ja majorité des
écrits dont nous vous rendons compte; et les cinq
mémoires sous les n° 8, 9, 3, 1*, et 2, qui ont
traité la question dans ce sens, nous paraissent s’être
le plus rapprochés du vœu émis par votre Société.
Les auteurs de ces mémoires ont plus ou moins
bien présenté leurs projets dans le cercle de cette
idée première et l'ont fécondée avec plus ou moins
de talent. Mais il a semblé à votre commission
qu'aucun des habiles candidats ne s’était placé au
centre du cercle, et que dès-lors il n’avait pu en
distinguer également tous les rayons,
. Sans doute il a été parfaitement établi que l'État
seul avait dans la question tout l'intérêt nécessaire
pour vouloir des résultats satisfaisants; que lui seul,
dans une semblable matière, réunissait les condi-
tions et les moyens pour être un agent éclairé,
fort et capable; mais en cherchant à réunir dans
sa main puissante tous les élémens d’action et de
concentration, s‘est-on suffisamment attaché à les
mettre d'accord avec les principes du droit et d’une
sage égalité ? Nous ne le croyons pas.
Ensuite a-t-on bien pesé s’il était de la dignité du
* On présente iciles mémoires dans l’ordre oùils ont été placés
par Îles décisions de Ja commission.
— 53 —
Gouvernement d'une grande nation d’être l'agent
direct d’un semblable monopole; et, en supposant
qu’en n'eût pas trouvé plus d’inconvenance à lui en
déférer la direction qu’on n’en a trouvé à lui aban-
donner celle d’une quantité d’autres services qui ne
sauraient être plus dignes de l'intérêt du pays: il
faudrait voir encore si l’État en dirigeant directement
le remplacement pourrait empêcher les abus que
ce système ferait naître sans doute,
Ces questions n’ont point été soumises au logis-
me d’une discussion consciencieuse , et nous le re-
grettons vivement. |
On s’est contenté d'avoir à peu près Rss les
trois points établis dans la proposition mise au con-
cours par l’Académie d'Arras et on n’a pas cherché
à agrandir une sphère qui a paru déjà bien vaste,
Nous aurions souhaité, qu’en conciliant dans
leurs projets les intérêts des pères de famille, de
l'État et de l'Armée, les concurrents ne perdissent
pas de vue l’article 2 de la Charte , qui veut que
. toutes les charges soient également réparties entre
tous les citoyens, et qu’ils restassent bien convain-
cus que dans cet artiele sont consacrés les seuls et
vrais principes que doivent renfermer tous les projets
de loisqui ont pour base une répartition quelconque.
Et puisque votre Société avait soulevé cette question
si palpitante d'intérêt, dans l'intention qu’elle recçüût
tout le développement dont elle est susceptible,
nous aurions voulu qu'on se trainât moins dans les
erremens des lois existantes sur la matière, qu’on
— 5h —
lui présentât non plus des projets tronqués, des
systèmes recousus aux vicilles routines, mais bien
qu'on lui fournit l'occasion de donner son appui à
des idées vierges , justes, grandes et vraiment utiles
à l'État et aux citoyens; nous aurions voulu, qu’en
reprenant la proposition d'en haut, on relevât ce
qui existait de défectueux dansle mode du tirage au
sort, et qu’en se pénétrant de ce qu’il y a d’injuste
à imposer sans compensation toutes les charges du
service à celui qui n’a contre lui que la bisarrerie
du sort, on s’attachât aux moyens de faire contri-
buer, dans une proportion sage, indistinctement
tous les hommes libérés au bien-être des hommes
appelés. I nous paraitrait juste que chaque citoyen
qui ne satisferait pas au service personnel, versât ,
selon qu'il serait classé, en raison de sa fortune ou
de ses facultés physiques, une somme déterminée ,
dans une caisse du recrutement, dépendante d'une
agence générale qui aurait sa spécialité et qui serait
soumise au contrôle de l’État comme la banque de
France, la caisse des consignations, les caisses d’'é-
pargnes, etc. , etc. Cette caisse aurait pour objet de
pourvoir au bien-être de tous les citoyens qui rem-
pliraient les cunditions du service personnel. et on
voit qu’elle agirait sans peser sur le trésor ou sur
les contribuables et qu'elle trouverait des moyens
d'action dans la chose même.
Dans cette idée mère est le principe d'une armée
bien composée , sûre ct nationale, le principe
d’un remplacement bon et facile, le principe d’une
| — 909 —
égalité aussi parfaite qu'il est raisonnablement
permis de l’attendre parmi les hommes, est peut-
être le seul moyen de concilier l'intérêt de l’armée,
des contribuables, des pères de famille , et ceux
du gouvernement constitutionnel. :
Je ne fais qu’indiquer ici les bases d'un s:stème
que j'aurai l'honneur de vous soumettre fort pro-
‘chainement pour satisfaire au désir qui en a été
manifesté par votre Société et lorsqu'il aura reçu
tous les développemens dont il est susceptible.
Nous le répétons, plusieurs des concurrens ont
fait preuve d’une connaissance exacte du sujet,
d’une intelligence entière de la législation, mais
ils s’y sont trop attachés et, pour remplir les lacunes
qu’ils entrevoyaient, ils ont trop vite recouru aux
moyens les plus prompts, sans s'inquiéter assez des
moyens d'établir une chose fixe et durable. Or,
il n’est donné à aucune des lois ou institutions
humaines d’être durables si elles ne renferment en
elles-mêmes le germe bienfaisant d’une justice
large, également répartie, et des principes d’inté-
rêt commun. Nous avons trouvé dans plusieurs des
mémoires tout le talent et le mérite d'hommes
spéciaux, et, dans une question aussi élevée,
nous aurions voulu rencontrer plus souvent la por-
tée et les vues de l'homme d'état.
En conséquence, votre commission a unanime-
ment décidé qu'aucun des mémoires n'avait entiè-
rement remph les intentions de bien public el de
0 —
philantropie que la Société avait eues en mettant la
question du remplacement au concours.
Toutefois, elle a été d’avis que les concurrens
qui s'étaient livrés à un travail utile et qui présen-
taient des vues d'intérêt général, ou qui avaient
fait des recherches laborieuses, avaient mérité un
témoignage de reconnaissance de la part de [a
société, bien qu'ils n'eussent pas complètement
atteint le but proposé; et, l’Académie , adoptant
les propositions de la commission, a décidé qu'une
médaille d’or serait accordée, à titre d'encourage-
ment, à l’auteur du mémoire n° 8, qui porte cette
épigraphe tirée de l’article 2 de la Charte:
« Les Français contribuent indistinctement dans la pro-
» portion de leur fortune aux charges de l'État. »
Des pensées claires, un style aisé, correct, facile,
des aperçus justes, des considérations générales
bien développées, voilà ce qui distingue cet écrit.
L'auteur expose les motifs d’une manière grande
et logique et déduit ses conséquences avec méthode;
il relève par fois ses propositions d’une teinte de
philosophie qui plait parce qu'elle est sage et vraie :
il s’est le plus rapproché du système propre à rem-
plir le vœu émis par votre Société , système sans le-
quel tous les moyens ne seront toujours que d’im-
puissants palliatifs. Il a en partie compris ce qui
manquait, ce qui était nécessaire, mais il n’a pas
osé descendre sur le terrein de l'application. Votre
commission n’a pas approuvé qu’il se servit du mot
EE
impôt pour représenter les mesures de participation
qu’il a voulu établir entre tous les jeunes citoyens
atteints paï la loi du recrutemént, elle a pensé que
ce mot ainsi employé, pourrait faire naître une idéd
fâcheuse, qui n'était ici ni méritée ni exacte; elle
n'a pas compris pourquoi tet impôt; pour me servir
de l'expression de l’auteur, ne s’attaquait qu’à cer-
taines classes des mêmes jeunes citoyens, etnon pas
à toutes ; elle a blâmé d’autres mesures que les
bornes de ce discours ne me permettent pas de si-
gnaler ici,
Votre commission a encore pensé et la Société a
décidé que les auteurs des mémoires présentés sous
les numéros suivants étaient également dignes d’être
mentionnés honorablement pour le mérite de leur
travail et des idées d'amélioration qu'ils ont pré-
sentées. Et tel est l’ordre qui a été établi :
‘1, mention. , . . , . . n° 7:
RU fie dre 'e à 5.
Didi his Es 1,
Enfin, et en outre, la Société a décidé qu'une
inention particulière serait faite du mémoire n°, 5.
Elle a entendu par là donner à l’auteur une preuve
de satisfaction pour l'importance des recherches
auxquelles il s’est livré,
Tel est l’avis, Messieurs, de votré commission
êt tels sont les motifs sur lesquels votre Société
s'est basée pour établir son opinion et fixer ses
décisions. |
8.
MÉMOIRE
SUR
LA QUESTION MISE AU CONCOURS
ET POSÉE EN CES TERMES S
PAR L'AGADÉDMIE D'ABRBAS 8
« Indiquer les ‘bases d’une législation spéciale sur les
» Remplacemens militaires, qui concilie à la fois la
» sécurité des pères de famille, l'organisation de“l'ar-
» mee et les intérêts des vieux soldats. »
Par M. CARETTE, avocat à Paris,
Les Francais contribuent indistinctement, dans ta
proportion de leur fortune, aux charges de l’état.
Charte const , art 3.
Jamais question, je crois, n’a été posée avec plus
dé netteté que celle dont l’académie d'Arras de-
mande la solution. Assurer tout à la fois la sécurité
des familles, la meilleure organisation possible de
l’armée , et les intérêts des vieux soldats; tel est bien
en effet le triple but que devrait attemdre une bonne
législation sur les remplacemens militaires.
I1 faut assurer la sécurité des familles , en per-
mettant aux moins aisées de conserver dans leur
—… 59 —
sein, moyennant un sacrifice proportionné à leurs
ressources, les jeunes hommes dont la présence
et le travail leur sont nécessaires.
Il faut songer à appeler, à retenir dans les rangs
de l’armée cette foule d’excellens militaires, que l’on
voit aujourd'hui s’empresser de les quitter, dès
qu'ils ont satisfait à la loi, pour y laisser, en trop
grand nombre, cette tourbe de remplaçans dont les
détestables exemples exercent une si funeste in-
fluence sur leurs jeunes camarades.
I faut enfin s'occuper des intérêts des vieux
soldats : homme, qui a passé la plus belle par:
tie de sa vie sous les drapeaux, ne doit pas re-
tourner dans ses foyers pour y lutter contre la mi-
sère, pour y devenir l'objet de la pitié publique, et
comme un vivant exemple de l'ingratitude de la
patrie. |
Honneur aux excellens eitoyens qui, appréciant
les fâcheux résultats du remplacement militaire,
tel qu’il est aujourd’hui toléré, ont appelé sur ce
sujet important les méditations des hommes qui
voudraient, en soulageant la population d’une par:
tie du fardeau qu'elle supporte, ne point compro-
mettre l'honneur national, dont l’armée est en
quelque sorte gardienne et dépositaire, et améliorer
le sort des braves qui se consacrent à la défense du
pays: | |
Pour nous associer à cette patriotique pensée,
pour répondre à ce noble appel, nous exposerons
les inconvéniens qui résultent des lois en vigueur;
nous remonterons à. la source du mal, et nous en
indiquerons le remède,
PREMIÈRE PARTIE.
ÉTAT ET VICES DE LA LÉGISLATION EN VIGUEUR,
En déclarant la conscription abolie, la Charte
avait seulement ajouté que le mode de recrutement
de l’armée de terre et de mer serait réglé par une
loi.
Cette loi, celle du 10 mars 1818, posa en prin-
cipe que l’armée se recrute par des engagements
volontaires , et, en cas d'insuffisance , par des
appels.
La loi du 21 mars 1832, interverüssant cet ordre,
dit, au contraire, que l’armée se recrnte par des
appels et des engagemens volontaires. Les engage-
mens volontaires, en effet, sont si peu nombreux
qu'ils ne peuvent être considérés comme le mode
principal de recrutement.
Et, quant aux appels, c’est par la voie du sort que
sont désignés les jeunes gens qui doivent composer
le contingent assigné à chaque canton.
Certainement, s’il s'agissait d'un impôt ordinaire,
et qu'on laissât ainsi le sort désigner ceux qui de-
vraient l’acquitter, il n’y. aurait point assez d’impré-
cations contre l’iniquité d’un pareil procédé. Imagi-
ne-t-on en effet l'assiette de l'impôt foncier, par
exemple, établie de telle sorte que, chaque année,
un certain nombre de départemens, ou bien un cer-.
tan nombre de propriétaires par département, le
supportâssent, tandis que les autres départemens
ou les autres propriétaires en seraient, grâces au
sort, totalement affranchis ?
Eh bien! ce qui nous révolterait, s’il ne s'agissait
que d’un impôt d'argent, est précisément ce qui
existe pour cet impôt, qu’on a appelé l'impôt du
sang , Mais qu'aujourd'hui on appellerait avec plus
de raison l'impôt du tems, puisqu'il enlève, pendant
un certain nombre d’années, à leur famille, à leurs
études, à leurs travaux, à leur avenir une partie des
hommes en âge de porter les armes.
Je le demande, comment cet impôt ne serait-il
pas le plus pesant de tous, lorsqu'il est le plus iné-
galement réparti, lorsque la loi elle-même consacre,
pour ainsi dire, en principe l'inégalité de sa répar-
ütion, en abandonnant au hasard la'désignation de
ceux qui doivent seuls en supporter tout le poids.
Le mode actuel de recrutement n’est donc qu'une
sorte de décimation qui constitue la violation la
plus manifeste du principe que tous les Français
contribuent indistinctement aux charges de l’état.
Toute loi derecrutement, qui n’aura pas une autre
base, ne pourra produire que de mauvais résultats :
elle laissera subsister, avec l’iniquité de son prin-
cipe, toutes les funestes conséquences qui en dé-
coulent.
Il est doux, il est glorieux de mourir pour son pays !
Ce bel axiôme des anciens, nous le prenons aussi
pour devise, et, loin de nous la pensée d’atténuer
— 69 —
le mérite des hommes qui consacrent leurs jours à
la défense de leurs concitoyens, qui les protégent et
contre les ennemis du dehorset contre les attaques
du dedans; qui sont toujours prêts à braver tous les
dangers, à exposer leurs jours, à faire le sacrifice
de leur vie; soit qu’il faille ou couvrir la frontière ,
ou porter sur de lointains rivages nos drapeaux et
le nom français; soit qu'il faille ( mission plus pé-
nible et non moins glorieuse) combattre les factions,
rétablir l’ordre dans nos cités, protéger les person.
nes et les propriétés; essuyer, souvent sans y répon-
dre, le feu de concitoyens égarés; pousser enfin
jusqu'aux dernières limites la patience et la longa-
nimité..… C’est encore là sans doute bien mériter
de la patrie.
Ces devoirs, qui sont, pour l’armée, des devoirs
de tous les jours et de tous les instans, les autres
citoyens aussi peuvent être parfois appelés à les
remplir : car tous peuvent être tenus de s'armer
. pour la défense du territoire ou pour celle des ins-
titutions et des lois. Mais ce sont là, heureusement,
des circonstances rares et qui ne constituent point
un état normal,
. Grâce à l’adoucissement des mœurs et aux pro-
grès de la civilisation , grâce aussi à l’affaiblissement
des préjugés nationaux, et aux rapports multipliés
qui se sont établis entre les différents peuples, rap-
ports qui ,.en confondant les intérêts, ont rendu les.
ruptures plus difficiles, cet étatnormal, aujourd'hui,
c’est l’état de paix, et sans doute, il y a lieu de s'en
féliciter,
— 63 —
Toutefois , il faut aussi le reconnaître, le gage le
plus certain de sa conservation, c'est l'entretien
d’une force mihtaire imposante, toujours prète, de
quelque part que vienne l’aggression , à la repous-
ser, et c’est là le moyen de n’en avoir à craindre
aucune, |
Dans cette situation, l’obligation de concourir à
la défense du pays ne peut plus être considérée
comme elle le serait, eomme elle devrait l’être si
l'ennemi était aux portes et menacait de fran-
chir la frontière. Oh ! alors, que tout cé qui peut
porter une arme se précipite au-devant de l'é-
tranger ! Hommes d’habitudes paisibles, quittez vos
livres, désertez vos comptoirs, abandonnez vos tra-
vaux; saisissez le mousquet ! Citoyens devenus sol-
dats, unissez-vous aux soldats-citoyens; à leurs
efforts joignez les vôtres; à leur sang mêlez votre
sang ! Enfans de la même patrie, vous pouvez, vous
devez réclamer tous l’henneur de la défendre et le
droit de mourir pour elle.
Le régime de paix armée sous lequel nous vivons,
cet état d’hostilité défensive, dont les nations euro-
péennes semblent avoir contracté l'habitude, habt-
tude qui relègue désormais le désarmement général
parmi les utopies politiques et les irréalisables vœux
dela philantropie, cerégime, fort onéreux sansdoute
pour les peuples, neleur impose pourtant pas cet en-
tier sacrifice de leurs goûts et de leurs intérêts, cette
abnégation d'eux-mêmes que leur commandent les
circonstances extraordinaires dont nous venoris de
= 64 —
parler.La préparation à la guerre sera toujours certai-
nement la plus sure garantie de la continuation de la
paix. Mais, tant que cette situation se maintiendra,
l'obligation de concourir à la défense de son pays ne
sera pas ce devoir sacré que tous doivent remplir en
personne. Ce sera simplement une des nombreuses
charges qui résultent de l’état social, charge qui, de
sa nature, pése sur la populstion virile ; ce sera enfin
un véritable impôt qui pourra s'appeler l'impôt
militaire. |
La méthode, jusqu'ici employée, pour la répar-
tition de cet impôt, est, il faut en convenir, d'une
admirable simplicité : 1l faut tant d'hommes; le sort
les désigne ; les autres sont quittes : voilà tout le
système.
Ainsi l'unique répartiteur de l'impôt, c’est le ha-
sard : ceux qu’il désigne supportent seuls le fardeau,
et rien pour eux n'en allège le poids. Les autres
s’en trouvent affranchis sans acheter cet affranchis-
sement par le plus léger sacrifice : première et frap-
pante iniquité. |
Ce n’est pas tout : le sort a prononcé; mais parmi
ceux qu'il n’a point favorisés, les uns, riches, heu-
reux, accoutumés à une vie de délices ou livrés à
des occupations lucratives, n'ont garde de leur pré-
férer les rudes travaux et les stériles fatigues de la
vie militaire, surtout s’il ne s’y joint ni périls à bra-
ver , ni lauriers à cueillir. Que font-ils donc ? Ils se
font remplacer ; ils servent par procureur. Un man-
dataire salarié porte pour eux le sac et la giberne,
_— 65 —
et, de cette manière, ils paient commodément leur
dette à la patrie. LU
Au contraire , celui qui ne possède que ses bras,
qui vit chaque jour du pain de la journée, qui ne
peut rien garder de la veille, et n'a rien à espérer
du lendemain, celui-là devra servir en personne :
pour lui, la faculté du remplacement est illusoire ;
car sa pauvreté ne peut pas atteindre au prix que
coûte un remplaçant: Ainsi, cette faculté, laissée par
la loi, privilège exclusif des classes aisées, est abso-
lument interdite aux autres.
Et, pourtant, celui qui vit dans l'opulence, s'il lui
fallait, quand le sort le désigne , payer de sa per.
sonne , échangerait les jouissances du luxe pour les
rigueurs de la vie militaire ; tandis que l’homme,
accoutumé à une vie dure et laborieuse , pourrait
trouver sous les drapeaux plus de bien-être matériel,
L'ouvrier, qui n’a que ses bras pour toute fortune,
qui, toujours et partout , doit gagner son pain à la
sueur de son front, sentira moiïns de différence entre
la vie des camps et sa vie habituelle que le citadin
appartenant aux classes aisées ou opuleñites. L’habi-
tant de la campagne vit certainement mieux au ré_
giment que dans son village : il est mieux logé,
mieux nourri, mieux vêtu, et il a moins de mal.
Qu'on examine les jeunes hommes que le recrute-
ment amène tous les ans sous les drapeaux : ils pa-
raissent exténués. Maïs bientôt la vie régulière à
laquelle ils sont astreints, la nourriture saine et
_ abondante qui leur est ässurée, leur procurent une
9.
— 66 —
santé florissante. On ne trouve guères dans les caser-
nes que des visages frais et colorés ; on n’y rencontre
pas ces teinis Hiâves et flétris qu’on remarque avec
peine en grand nombre parmi la population ou-
vrière.
Certainement donc l'obligation de servir est d’au-
tant plus pénible qu’elle arrache celui qu’elle atteint
à une existence plus douce et plus agréable. Et n’en
devrait-on pas conclure que l’homme, destiné à vi-
vre au sein du luxe et de la mollesse, s’il est appelé
sous les drapeaux et qu'il ne veuille pas payer de sa
personne, devrait acheter sa libération un plus haut
prix que celui à qui l'appel de la loi ne fait perdre
que sa liberté?
Ce sont là des considérations dont la loi actuelle
ne tient aucun compte : après avoir laissé le hasard
désigner ceux qui doivent payer pour tous, elle dit
au pauvre comme au riche : pars ou fournis un rem.
plaçant! Nouvelle injustice : car leurs positions sont
bien différentes, et ce qui est facile à l’un est tout-à-
fait impossible à l’autre.
Aussi, qu'arrive-t-il? La carrière militaire n'’of-
frant ni chance d'avancement, n1 avantages d’aucune
espèce à la plupart de ceux que le hasard des tira-
ges et l'impuissance de se faire remplacer y font
entrer, ce n’est qu'à leur corps défendant qu'ils se
rendent à l’appel de la loi. Et, lorsqu'ils s’y sont
rendus, ils supputent avec impatience les années, les
mois , les jours qu’ils ont à passer au régiment et
voient avec bonheur arriver l'instant de le quitter.
— 67 —
Avec de sembläbles dispositions peuvent-ils être
d’excellens soldats? Il est difficile de le croire. Ils ne
passeront sous les drapeaux que le temps nécessaire
pour y contracter quelques mauvaises habitudes,
pour y pérdre peut-être celle du travail, et ils ne
rapporteront dans leur village, après trois ou quatre
années de garnison , qué des penchans vicieux. Ne
vaudrait-il pas mieux qu'ils ne l'eussent jamais
quitté ?
Voilà ce que pensent les pères de famille, et, IE
qu'ils voient leurs enfans atteindre l’âge où la loi les
force de quitter le toit paternel, ce moment est pour
eux celui des plus pénibles angoisses. Il n’est point
de sacrifices qu'ils ne s ‘imposent pour les soustraire
à cette obligation.
Malheureusement, s'ils Pont réunir F somme
nécessaire , ils se trouvent livrés, à toutes les hon-
teusés spéculations des marchands. d'hommes, et ils
ont encore à craindre que ces sacrifices ne devien-
gent inutiles par la désertion du remplaçant.
Et puis, n'est-ce pas quelque chose de profondé-
ment immoral que ce contrat par lequel l’homme se
vend à l'homme; par lequel l'individu qui se soucie
le moins des intérèts et de la gloire de son pays, se
substitue, moyennant finances, à celui qui ne veut pas
remplir le devoir imposé par la loi? Est-ce de
lhôémme qui a pu s’aliéner ainsi lui-même, qu’on
peut ètre en droit d’attendre ce sentiment. du devoir,
cette abnégation de soi-même , cet amour du pays
qui font les héros? Le remplaçant n’en sera jamais
== GR: ==
un ; ilne fera jamais un bon soldat. Il n’en est point
sans le sentiment de l’honneur, auquel est néces-
sairement étranger l'homme qui se respecte assez
peu pour se vendre.
Le remplaçant arrive à son corps, déjà dégradé à
ses propres yeux; il s'y dégrade encore davantage
parce qu'il s'aperçoit qu'il y est mal vu, et que le
titre auquel il sert est pour lui un titre de réproba-
tion auprès de ses chefs et mème auprès de ses ca-
marades. Enfin, pour se faire mieux venir au moins
de ces derniers, il cherche à les entraîner dans les
excès auxquels lui permet de se livrer l’argent qu’on
lui fait parvenir : c’est la source des plus graves dé-
sordres.
Tous les ans , il entre dans l'armée de quinze à
vingt mille de ces remplaçans , la plupart hommes
sans conduite comme sans moralité. S'ils avaient le
bon esprit de conserver les sommes qu'ils touchent
pour les engagemens successifs qu'ils contractent,
ils pourraient, après leurs trente ans de service,
joindre à leur retraite un revenu presque équivalent.
Mais ils ne savent, pour la plupart, que les dissiper
en folles dépenses, et cet argent, perdu pour eux,
ne sert qu'à multiplier dans les régimens les fautes
et les punitions, et qu'à augmenter par suite le
nombre des indisciplinés.
Si la législation actuelle, dont les bases sont le
tirage au sort et la faculté de se faire remplacer,
n'est bonne ni pour les familles, ni pour l’armée,
elle n’est rien moins non plus qu'avantageuse aux
— 69 —
vieux soldats. Pour avoir droit à une mince retraite,
il faut qu’ilsservent trente ans. Ils n'auraient droit à
rien s'ils quittaient le service un seuljour avant l’ac-
complissement de ce terme. Est-ce done l’appât de
cette faible rénumération qui pourra lesretenir sous
les drapeaux PEtpourtant ilne faut pas songer à sur-
charger les finances de l’état, soit en réduisant le
nombre d'années exigé pour la retraite, soit en éle-
vant les tarifs.
C’est donc aïlleurs que dans le budget qu'il faut
trouver le moyen de retenir, en améliorant leur
sort, un plus grand nombre de soldats sous les dra-
peaux. La retraite au bout de trente ans est incapa-
ble d'atteindre ce but : la rénumération est trop
minime et le terme en est trop éloigné.
Quel intérêt un bon soldat a-t-il à rester au ser-
vice? aucun, sil n’a pas l'espoir d’être nommé
officier , et 1l peut n'être pas assez instruit pour le
devenir. Il restera donc sous-officier ou soldat, et
s'il n'atteint pas sa retraite, toutes les années pas-
sées au service seront pour lui des années perdues.
Aussi les jeunes soldats s’empressent-ils, dès qu'ils
le peuvent, de retourner dans leurs foyers, et les
rengagemens sont-ils peu nombreux.
Or, bien que le tems de service soit de sept an-
nées, les jeunes soldats ne passent même pas ce
tems entier sous les drapeaux; ils n’y restent guères
que trois ou quatre ans; puis ils sont envoyés en
congé illimité jusqu’à l’époque deleur libération ; et,
quand elle arrive, réaccoutumés à la vie civile, il
— 70 —
est bién rare qu'ils contractent un nouvel engage.
ment, bien qu'ils püissent en contracter un même
pour deux années : c’est à peine si trois mille soüs-
efficiers ou soldats se rengageñt anhuellement.
Cet envoi en congé illimité a sans doute l’avantage
de répartir à peu près également sur toutes les clas-
sés le fardeau du service effectif : mais il à l’incon-
véhient de rendre les soldats à la vie civile au mo-
ment où ils savent leur métier, qu'is lont bientôt dé-
sappris, en sorte que, si l’on profitait de la faculté
qu'on a de les rappeler , on serait obligé de recom-
mencer sur nouveaux frais à les instruire.
Si l’on réfléchit à l'influence que doivent exercer |
sur les dispositions des soldats d’une part la désha-
bitude de la vie militaire, résultat d’un long séjour
dans leurs foyers, séjour qu'ils s’accoutument bien
vite à regarder, tout provisoire qu’il est, comme
défimtif ; de l’autre la déconsidération attachée à
la qualité de remplaçant, on s’expliquera très bien:
comment H y a un si petit nombre de rengagemens ::
c'est que les bons soldats, ceux à qui il répugne dé
se vendre, ne trouvent aucun avantage à en con-
tracter, Gar ce ne sont pas eux qui profitent des.
sommes considérables versées tous les ans par les
appelés qu? voulent s'affranchir du service militaire.
C'est aux hommes les moins estimables au contraire:
qu'appartient presqu'exclusivement cet avantage.
On aura beau faire : tant que le prix du repla-
cement passera directement des mains du remplacé
dans les mains du remplaçant, celui-ci subira tou-
_ Ji —
jours une sorte de flétrissure morale, à laquelle
l’homme d'honneur ne voudra pas s’exposer. Il fau-
drait donc que la somme que paie celui qui ne veut
pas servir, entrât dans les caisses de l'état, pour en
sortir, non pas comme le prix de la liberté vendue,
mais comme la juste récompense des services ren-
dus à la patrie. Quel est le militaire qui rougisse
de recevoir du trésor la retraite que la loi lui ac-
corde? C’est le prix du sang versé sur vingt champs
de bataille; c’est la preuve plus encore que la ré-
compense des services rendus au pays : car, hélas!
l'état est forcément ingrat envers ceux qui l'ont
seryi. Eh bien ! il faudrait que ce fut aussi de l’état
que le mihtaire reçut la récompense qui lui aurait
été assurée. Plus de honte alors à la recevoir, et l’on
verrait entrer et rester au service, contracter des
engagemens volontaires et des rengagemens des
hommes qui, aujourd'hui, ne veulent ni servir
parce qu’ils ne sont point disposés à faire en pure
perte le sacrifice de leurs plus belles années, ni se
faire remplaçans, parce qu’ils ne veulent pas entrer
dans un corps avec le stigmate fâcheux que cette
qualité leur imprimerait. |
En résumé , rien de plus injuste que l'impôt mili-
taire, tel qu'il est établi. Cet impôt, dont le hasard
est seul chargé de faire la répartition, ne frappe
d’abord qu'une partie de la population sur laquelle
il pèse; et puis ensuite, parmi ceux que le sort a
désignés pour le supporter, la faculté de se faire
remplacer n'appartient réellement qu'aux jeunes
— 72 —
gens qui jouissent des avantages de la fortune , tan:
dis que les autres en sont privés. Voilà donc une
charge ,. et une charge bien pesante, qui n’est point
supportée par tous indistinctement , et à laquelle
tous ne contribuent pas dans la proportion de leur
fortune.
Et de là tous les inconvéniens que nous avons
signalés : les familles, qui ne peuvent atteindre au
prix des remplaçans, se voient avec douleur enlever
de.jeunes hommes, qui leur font faute, et qui servi-
raient peut-être plus utilement l'état en conduisant
la charrue qu’en portant le mousquet. L'armée voit
avec peine le remplacement amener dans ses rangs,
en trop grand nombre, des hommes qui ne font qu'y
porter le désordre : hommes que séduit l’appât de
la jouissarice immédiate de quelques centaines de
francs bientôt dissipés en orgies au détriment de la
discipline. Les hommes enfin, qu'on aurait intérêt
à conserver comme modèles, et qui ont assez d'élé-
vation dans l'âme pour ne pas vouloir se vendre,
s'empressent de quitter une carrière qui ne leur
offre en perspective, qu’une insuffisante retraite,
qu'une chétive et misérable existence.
Ainsi le mode actuel de remplacement, consé-
quence du faux principe qui sert de base au recru-
tement, blesse tout à la fois la justice et les plus chers
intérêts des familles, et affecte la composition de
l’armée. Il ne sert qu’à alimenter le honteux com-
merce qui introduit dans nos troupes des hommes
indignes de porter l'uniforme français, et, au lieu
TS +
d'appeler sous les drapeaux la partie saine de la po:
pulation, tout au contraire il l'en éloigne.
Qu'on s'étonne donc maintenant du peu de goût
que témoigne la jeunesse française pour l'état mil:
taire! Ce n'est pas que ce sol, qu'il n'a si souvent
fallu que frapper du pied pour en faire sortir des bat
taillons, soit tout-à-coup devenu stérile. Ce n'est pas
que notre belliqueuse jeunesse ait aujourd’hui perdu
cette ardeur martiale qui l’a de tout temps carac-
térisée. Non certainement, et nul doute qu’au pre-
mier bruit de guerre, on ne vit, comme on l'a tou-
jours vu , le chiffre des enrôlemens volontaires, si
faible aujourd'hui, s'élever rapidement : mais c’est
que la carrière militaire, il faut en convenir, offre
aujourd’hui peu de chances brillantes aux courages
les plus aventureux, Elle devrait donc au moins pré-
senter quelques avantages positifs. Que le temps
passé au service ne soit pas un temps entièrement
perdu; que l’homme, qui aura coasacré à son pays
dix ou vingt de ses plus belles années, ne rentre
pas dans son village sans des ressources qui lui per-
mettent au moins d'attendre, en la cherchant, l’oc-
casion d'employer utilement son intelligence on sés
bras. Qu'il ne soit pas forcé d'aller mendier le pain
de la pitié chez celui-là même qui, plus heureux que
lui, aura échappé aux chances du tirsge , et, en se
hvrant à un travail fructueux, à une industrie lu-
crative, d’ouvrier, de laboureur, sera devenu maître
ou fermer, et puis enfin propriétäire ; tandis que le
soldat, enlevé à ses foyers, n'y rappottera, après
"40.
ne
xingt ans de fatigues, que sa veste et son maigre
décompte !
Tant qu’un semblable contraste existera, lant que
cette injustice frappante sera sanctionnée par la loi,
les cadres ne se rempliront qu'avec peine, et le sol-
dat, que la rigueur seule de la loi appellera et re-
tiendra sous les drapeaux, n’aspirera qu'à les quitter.
Il serait peut-être possible de concilier les divers
intérêts que blesse l’état actuel de la législation; et
il me reste à exposer quels seraient les moyens d'y
parvenir.
DEUXIÈME PARTIE.
MOYENS DE RÉMÉDIER AUX INCONVÉNIENS
DU SYSTÈME ACTUEL.
Je n’ai pas, on le sent bien, la prétention d’im-
proviser sur une matière aussi grave, aussi hérissée
de difficultés, une législation complète. Ce n'est
point d’ailleurs un projet de loi, avec toutes les dis-
positions de détail qu’il pourrait comporter, qu'on
demande. On demande seulement sur quelles bases
devrait être assise la législation de la matière pour
satisfaire aux conditions résumées, avec une préci-
sion si remarquable, dans l'énoncé du problème
que j'ai entrepris de résoudre. Cet énoncé m impose
des limites que je ne dois point dépasser.
Les bases de la législation actuelle sont : le tirage
au sort, et la facullé , pour ceux que le sort a dési-
gnés, de se faire remplacer.
— 79 —
| Ces bases sont tout à la fois injustes et funestes :
j'ai cherché à le démontrer dans la premiére pain
de ce mémoire.
Maintenant, quelles bases plus équitables et Lie
avantageuses tout à la fois aux familles, à l’armée,
aux vieux soldats, serait-il possible de substituer aux
premières ? |
Le vice du remplacement est moins encore dans
la loi qui l’autorise que dans celle qui le rend néces-
saire, c’est-à-dire dans la loi du recrutement.
L'armée se recrute au moyen de tirages au sort :
de là le mal; de là l'inégalité; de là le remplace-
ment et tous les inconvéniens qu’il entraine.
La charge du service militaire pèse de tout son
poids sur ceux qui la subissent : elle est nulle pour
ceux que le sort a favorisés.
Mais elle deviendrait effectivement plus légère, ré-
partie, aussi également que possible, sur tous ceux
qui doivent la supporter.
Or, s’il est certain que tous ne peuvent pas servir,
i ne l'est pas moins que tous peuvent contribuer au
paiement de ce que j'appelle l’impôt militaire.
Pour atteindre ce résultat, 1l faudrait aux princi-
pes suivis jusqu'à présent, substituer un autre prin-
cipe qui pourrait se formuler en ces termes :
Tous les Français sont, à partir du 1° Janvier de
l'année qui suit celle dans laquelle ils ont atteint l’âge
de vingt ans, soumis au service militaire , et composent
tous le contingent de cette année.
= 760 —
. Eu vertu de ce principe, s’il était une fois adopté,
tous Les jeunes Français de vingt ans se trouveraient
soumis à l'obligation de servir ; tous devraient payer
leur dette à la patrie ; tous devraient concourir à la
défense du territoire. |
. Mais ils pourraient n'y pas concourir tous de la
même manière.
Ici, je suis forcé de prendre des chiffres qui, cer-
tainement, sont sujets à contestation : mais je ne les
présente, en ce moment, que comme des hypothe-+
ses, sauf à examiner plus tard si ces hypothèses s'é-
joignent beaucoup de la vérité,
Je pars d’abord d’une base certaine , du chiffre
des naissances viniles annuelles, combiné avec la loi
de la mortalité, |
Sur un million ou à-peu-près de naissances an-
nuelles, il se trouve en France 498,820 individus
mâles.
D'après les tables de mortalité, ce nombre se
trouve, après vingt ans, réduit à moitié, c’est-à-dire
à 249,410,
Si, sur ce nombre, 49, bio étaient impropres au
service, ou en deyaient être exemptés par diverses
causes, il resterait une population militaire annuelle
de 200,000 hommes. |
Ce sont ces 200,000 hommes qui devraient tous
supporter, aussi également que possible, la charge
de l’impôt militaire. |
Or, l'armée est composée de 500, 000 hommes.
Pour la maintenir à ce chiffre élevé , 1l faut aujour-
— 71. —
- d'hui, d'après la loi qui fixe à sept ans Île temps de
service, un recrutement annuel de 80,000 hommes.
Mais ilest reconnu par les militaires les plus expé-
rimentés que, si le temps de service était de huit ans,
une levée annuelle de 65,000 hommes serait suffi-
sante, (Ghambre des Pairs; séance du 18 juin 1855;
discours de M. le Marquis Delaplace ).
On peut en conclure que , si le temps de service
était de dix ans, il suffirait d’une levée annuelle de
50,000 hommes pour alimenter une armée de
200,000,
Qu'on nous permette ici quelques réflexions.
Sous l’empire d’une loi qui ne frappe qu'une
parlie de la population militaire, plus on augmente
le nombre des années de service, plus l’injustice est
grande envers ceux qui se trouvent forcés de servir.
Pour alléger, dans ce système, le fardeau que sup-
portent sans indemnité, ni compensation d'aucune
espèce, ceux que ke sort a désignés, il faut donc né-
cessairement diminuer, autant qu'on le peut, d'a-
bord le temps légal du service, et puis le séjour
effectif des appelés sous les drapeaux.
. De là : 1° La fixation à sept années seulement de
la durée du service ;
2° La division des contingens en hommes présens
sous les drapeaux, et en hommes laissés ou renvoyés
dans leurs foyers; division au moyen de laquelle la
durée effective du service se trouve réduite à trois ou
quatre années : c’est le temps nécessaire pour ins-
truire et former un soldat.
= 7 —
Il en résulte que l’armée est toujours composée
en trop grande partie d'élémens nouveaux.
Mais si une indemnité, dont il ne s’agit point
encore de déterminer le chiffre, était assurée aux
soldats après leur temps de service, on pourrait cer-
tainement porter ce temps à dix années, et-l'on au-
rait sinsi constamment sous les drapeaux , en im-
mense majorité, des soldats parfaitement instruits,
puisqu'un tiers seulement de l’armée aurait moins
de trois ans de service.
Que faudrait-il pour qu'il y eût justice complète
dans la répartition del'impôt militaire ? Il faudrait, si
cela était possible, que les 200,000 jeunes hommes,
formant le contingent annuel, passâässent tous sous
les drapeaux le temps nécessaire pour que la France
eût toujours sur pied l'armée dont elle a besoin. Par.
exemple, si l armée n'était que de 400,000 hommes,
il faudrait que les 200,000 hommes de contingent
annuel servissent tous seulement deux années. Avec
un pareil système , l'impôt serait sans doute fort
également réparti : mais il est évident qu’on aurait
une fort mauvaise armée, puisqu'elle serait toute et
toujou rs composée de nouvelles recrues. | |
Cette hypothèse, toute inadmissible qu'elle est,
nous fait voir, pourtant, comment on pourrait arriver
à répartir équitablement la charge de l'impôt mi-
litaire.
Toute obligation de faire est susceptible, en cas
d'inexécution , d’être traduite en un chiffre qui la
représente. Ainsi l’obligation, que la loi imposerait
— 79 —
à tous les Français, parvenus à leur vingtième an-
née, de servir pendant dix ans, par exemple, pour-
rait être représentée soit par un capital, immédia-
tement exigible, et dont le versement dans les caisses
de l’état, libérerait immédiatement l'appelé, ou,
pour mieux dire, le contribuable , soit par une an-
nuité qui serait versée pendant les dix années con-
sécutives de service exigées par la loi. Ce serait une
sorte de contribution personnelle qui cesserait d’être
exigible du moment que le contribuable aurait at-
teint l’âge de trente ans.
Appliquons maintenant ces principes, et voyons-
en les résultats, sans attacher encore, nous le ré-
pétons, une valeur absolue aux Cr EeSe sur lesquels
nous allons raisonner.
La population , qui atteint tous les ans l’âge mi-
litaire , et qui est capable de servir, s'élève donc,
comme on l’a vu, à 200,000 hommes, et 50,000
seulement doivent être, chaque année, appelés sous
les drapeaux. Restent donc 150,000 soumis, en vertu
du principe qui doit servir de base à la perecption
de tout impôt, à la même obligation, et qui doivent
concourir à l’acquitter, en allégeant, pour ceux qui
la supportent personnellement, la charge du service
militaire. | |
C'est-à-dire que , pour un homme qui sert, il y
en a trois qui reslent dans leurs foyers... Eh bien!
ce sont ces trois hommes, laissés dans leurs foyers,
qui doivent contribuer à indemniser celui qui s’est
rendu sous les drapeaux.
— B6O —
Or, les remplaçans sont aujoutd’hui payés 1,000,
1,200 , 1,500 fr. (1) C’est une somme à laquelle ne
peuvent atteindre la plupart de ceux qui voudraient
ne point servir. Mais si l’on admet le principe de
toute justice que l'impôt militaire doit être supporté
par toute la population militaire, comme l'impôt
foncier par tous les propriétaires fonciers, comme
l'impôt personnel par tous les Français, on trouve
dès-lors le moyen, d’une part, d’affranchir du ser.
vice, moyennant un sacrifice à leur portée, ceux
qui he voudront pas entrer dans la carrière mili-
taire ; et, d’un autre côté, d’assurer à ceux qui l’em-
brasseront une juste indemnité.
Si nous prenons, en effet, pour base de cette in-
demnité, le prix moyen à peu près que coûte aujour-
d’huiun remplaçant, c'est-à-dire mille francs, ils’en-
suivra que , celte somme devant être fournie par les
trois hommes laissés dans leurs foyers, chacun d’eux
aura, pour obtenir sa libération, à verser immédia-
tement dans les caisses de l’état une somme de
335 fr. 33 c.; ou bien à payer annuellement, pen-
dant dix ans, une contribution personnelle de
33fr. 35 c.
Ce n’est pas tout. De cette manière, l'impôt serait,
il est vrai, supporté par tous indistinctement, comme
le veut l’article 2 de la Charte ; mais il ne serait pas
supporté par tous, dans la proportion de leur fortune,
comme le veut le même article. Or, comme nous
(4; Méme 2,400 fr., après le tirage. (Prospectus de la Caisse
Militaire. )
— Bi —
l'avons établi, cette seconde régle est, ainsi que la
première, applicable à l'impôt militaire, aussi bien
qu’à tous les autres. Il serait d’une injustice révol-
tante que deux hommes, dans les positions de for-
tune les plus dissemblables, fussent soumis au paie-
ment de la même somme pour être dispensés de
l'obligation de servir, lorsqu'il est bien certain que
cette obligation, si l’exécution réelle en était exigée
d'eux, serait infiniment plus pénible pour le riche
que pour le pauvre. Le premier doit donc payer
une plus forte indemnité que le second, d’abord
parce qu'il est riche, et puis ensuite parce que, lui
c’est la faculté de se livrer à ses plaisirs qu’il achète,
tandis que l’autre n’achète que le droit de conti-
nuer ses pénibles travaux,
Toutefois, il serait important de prendre quelques
mesures pour éviter des fixations tout-à-fait arbitrai-
res. Par exemple, on pourrait établir un maximum
et'un minimum entre lesquels se trouverait un cer-
tain nombre de classes intermédiaires. Si donc les
limites adoptées étaient, je le suppose, 50 et 2500 f.
de l’une à l’autre de ces limites se trouveraient des
cathégories dans lesquels tous les appelés seraient
* réparlis.
Cette répartition offrirait sans doute da graves
difficultés. Cependant on conçoit parfaitement qu'il
serait possible d'établir une progression ascendante
depuis le simple manouvrier , vivant de son travail,
jusqu'au propriétaire ou rentier vivant de ses reve-
nus et ne s’occupant que de ses plaisirs. Dans les
11.
— 89 —
intermédiaires se trouveraient les élèves des diverses
écoles appelés à exercer un jour des professions plus
ou moins lucratives. Il ne faudrait pas cependant
prétendre à une justice rigoureuse, ni vouloir exer-
cer une sorte d'inquisition sur la fortune de chacun.
D'ailleurs c’est ici un impôt tout personnel, qui, le
plus souvent, il est vrai, sera acquitté par les parens
des appelés, mais qui pourtant doit être établi plutôt
d'après la position que chacun d'eux, suivant le
genre de travail auquel il se livre, paraît devoir
occuper un jour, que d’après la fortune dont peut
jouir sa famille, fortune qui serait très difficile
à évaluer et que mille circonstances peuvent l’em-
pêcher de recueillir ; tandis que l'éducation qu'il
reçoit, pour entrer dans une carrière, que l’acquit-
tement de l'impôt militaire lui permettra de suivre
sans interruption, est une ressource qui ne lui
échappera jamais.
Ge n’est, au reste, ici le lieu n1 d'entrer dans les
immenses détails du système dont je viens d'exposer
la double base, ni de résoudre toutes les questions
qui se rattacheraient à l'exécution d’un plan dont j je
n'avais à présenter que l'esquisse.
Ce qu'ils’agirait maintenant d'examiner, ce serait
si le système, fondé ainsi sur le principe d’une égale
et proportionnelle répartition de l'impôt, satisferait
à toutes les conditions exigées, s’il serait à la fois
dans l’intérèêt des pères de famille, de l’armée, des
vieux soldats. | Co
Je le demanderai d’abord, quel est le père de
— 83 —
famille qui ne s'eslimerait heureux de pouvoir,.
moyennant une somme qui ne dépasserait pas les
facultés les plus résireintes, soustraire son fils aux
chances du tirage, et se soustraire lui-même à la
chance d’être obligé d’acheter un remplaçant une
somme trois ou quatre fois plus considérable ? Quel
est le jeune ouvrier, qui, depuis Fâge de quatorze
ou quinze ans jusqu’à celui de vingt, né pourra lui-
même , s'il le veut, gagner, par son travail et son
économie, le prix de sa libération? Ainsi la mesure
proposée serait éminemment morale : elle exciterait’
les jeunes gens au travail; ellé leur en ferait con-
tracter l'habitude; elle multiplierait le nombre des
citoyens livrés à d’utiles occupations. Aa lieu que
l'obligation de passer, ne fût-ce qué trois ou quatre
années sous les drapeaux, apporte, dans la carrière
des jeunes gens, une perturbation dont ils peuvent
se ressentir toute leur vie : car ils passent inutile-
ment dans les garnisons l’âge le plus favorable pour
se perfectionner dans l'état qu’ils avaient entrepris.
En second lieu , est-ce qu’une armée composée de
soldats, ayant la plupart six à sept ans de service,
ne serait pas une excellente armée? Or telle serait
précisément celle qui se recruterait par dixième tous
les ans. |
Et puis, le prix du tems passé au service de l'État
pe pourrait plus dévénir une source de désordres
dans les corps, puisque ce ne serait qu'après l’ex-
piration de ce tems qu'il appartiendrait et serait re-
aus. aux militaires. Aujourd’huk, au contraire, c’est
— 8h —
pendant qu'il est au corps que le remplaçant reçoit
le prix de l'engagement qu’il a contracté, et, le plus
souvent, il le gaspille. Alors, n’ayant plus rien à
attendre, il ne marche que par la crainte des puni-
tions ; il trouve bien pesans les devoirs qui lui sont
imposés, et, pour s’y soustraire, il déserte.
C'est aussi ce qui arrivait à une époque, où, par
des primes élevées, on cherchait à déterminer les
soldats à se rengager par anticipation. «Les hommes
» qui avaient contracté ces engagemens, avaient
» plutôt consulté les besoins qu'ils éprouvaient que
» leur volonté de rester long-tems au drapeau. Plus
» tard ils reconnaissaient toute la gravité du nouvel
» engagement qu'ils avaient pris, et la désertion en
» était souvent la conséquence. » (Compte rendu
au roi par le ministre de la guerre sur l’exécution de
la loi du 21 mars 1832, relative au recrutement de
l’armée, p. 80.)
Aussi avait-il fallu apporter àcet état de choses duel
ques dispositions restrictives qui eurent pour'effet de .
diminuer considérablement le chiffre des rengage-
mens. |
Il faut donc que la récompense soiten Drespecties
alors, pour l’obtenir, il faudra la mériter, et le cou-
rage sera tenu incessamment en haleine par la
crainte d’en être frustré. Que le soldat voit chaque
année augmenter le petit capital qui devra lui être
remis aprèsses dix années de service, et il parcourra,
sans une trop vive impatience, le cercle dont il aura.
la certitude de ne pas sortir entièrement dénué
de ressources.
_— 85 —
Quelques idées d'ordre et d'économie pourront
ainsi peut-être germer dans la tête du soldat et pro-
duire d’heureux effets. L'homme qui possède quel-
que chose, ne fût-ce que le plus mince capital, ne
fût-ce que la plus misérable chaumière, surtout si
ce capital, prix de ses sueurs, lui est d'autant plus
précieux qu'il aura eu plus de peine à l’acquérir,
offre à la société des garanties que ne présente pas
celui qui ne possède absolument rien. |
Non seulement donc l'espoir dela récompense pro-
mise fera de ceux qui embrasseront la carrière mili-
taire de bons soldats, mais encore la récompense
obtenue fera de ces bons soldats de bons citoyens.
Actuellement, au contraire, l’armée les rend à la
société sans le moindre pécule, et, tout-à-la-fois, dés-
habitués du travail et sans moyens de s'en procurer.
Faudrait-il donc s'étonner si quelques-uns, qui peut-
être , si on les eût laissés se livrer à leur industrie,
eussent été d’excellens et paisibles ouvriers, se li-
vrent au désordre au sortir des rangs de l’armée ,
et, s'ils tombent entre les mains des agioteurs de
profession, deviennent des artisans de troubles.
Enfin , trois ou quatre années de service militaire
sont trop ou trop peu : c’est trop pour ceux qui ne
veulent pas suivre la carrière ; c’est trop peu pour
avoir des soldats parfaitement disciplinés. |
Voilà donc pour les familles, pour l’armée et
même pour la société tout entière bien des avanta-”
ges qui résulteraient du système proposé. Quant
aux vieux soldats, il serait facile aussi de faire voir
— 86 —
combien ce système leur serait favorable, et quelle
heureuse influence, par suite, il exercerait encore
sur la composition de l'armée.
D'abord, ceux même qui ne voudraient servir que
dix années, n'auraient pas entièrement perdu leur
tems , puisqu'ils auraient acquis une somme de
mille francs. |
Mais ce n'est pas tout : si dix années de service
donnaient droit à mille francs, il arriverait que beau
coup de soldats, qui auraient déjà servi dix ans, ne
demanderaient pas mieux que de servir dix années
encore , et l’on devrait naturellement les préférer à
de nouvelles recrues. Ainsi l’armée pourrait compter
dans ses rangs un grand nombre de militaires ayant
déjà servi dix ans ; et, certes, ce ne serait pas un mal.
De cette manière, aux premiers mille francs qu’il
aurait reçus, le soldat, en se réengageant pour dix
années encore, pourrait ajouter d’abord les intérêts
de ces mille francs pendant les dix années de son
nouvel engagement, et, de plus, les mille francs qui
lui seraient encore assurés au bout de cette seconde
période. ‘Il se trouverait donc à quarante ans, en
possession d’un capital de 2500 francs.
Il pourrait enfin servir dix autres années encore :
mais ces dix dernières années ne lui donneraient:
point droit à une nouvelle somme de mille francs :
elles lui serviraient seulement à compléter le tems
de la retraite. | | |
La raison en est que, si l'Etat a intérêt à re-
tenir des soldats qui aient déjà servi dix ans, x
07
n'en à pas à en conserver qui aient servi plus de
vingt ans. Passé l'âge de quarante ans, le soldat est
fatigué. Il faut, disait le général Foy, que, dans une
armée, la masse des soldats soit moins âgée que la
masse des officiers. Ce serait un inconvénient d'avoir
_ trop de vieux soldats, comme c’en est un d'en avoir
un trop grand nombre de jeunes. Il serait donc juste
de ne rien allouer pour ces dix dernières années, et
ce serait même une faveur accordée aux plus mé-
ritans que de leur permettre de les faire pour com-
pléter leurs droits à la retraite qui en serait la récom-
pense.
Il est clair d’ailleurs qu'il faudrait déterminer dans
quelles proportions l’armée devrait être composée
de jeunes soldats, ayant moins de dix années de ser-
vice ; de réengagés, ayant servi dix ans, et de vétérans,
ayant servi vingt ans.
Mais comme, pendant ces dix dernières années,
courraient et s’accumuleraient les intérêts des 2500
francs, dont le soldat, après vingt ans de service, se
trouverait propriétaire, ce serait encore 1250 francs
à ajouter aux 2500; en sorte que le militaire, ayant
trente ans de service posséderait un capital de
5750 francs , susceptible de produire soit une rente
perpétuelle de 187,50, soit une rente viagère d’à-'
peu-près 300 francs, à laquelle viendrait s’ajouter
la retraite. | | |
Certes, dans ce système, le bénéfice de ces trente
longues années ne serait pas encore bien considéra-
ble, puisqu'il ne s’éleverait pas même à 4000 fr. :
= 88 —
miais enfin ce sérait quelque chose. Il n’est point de
si humble domesticité où l’on né puisse, avec une
sévère économie, parvéñir à un semblable résultat,
aujourd’hui surtout qué cette vertu (si l’on peut,
avec Courrier, lui donner ce nom) est encouragée
par l’établissermient des éaisses d’épargnes, belle et
philanthropiqueinstitution qui, touten se bornant à
recevoir et conserver les deniers du pauvre, se mon-
tre envers lui plus bienfaisante que l’aumône : car,
en lui apprenant à être économe, elle lui apprend à
être rangé et moral; tandis que, trop soùvent,
l’aumône, faite sans discernement, alimente Ia pa-
resse et contribue à la dégradation de humanité.
Et, qu'est-ce que nous demandons aujourd’hui,
si ce n’est une grande caisse d’épargnes pour l’ar-
mée, caisse dans laquelle seraient déposées , pour
être distribuées à ceux qui auraient intégralement
acquitté leur dette, les sommes que devraient verser
tous ceux qui ne serviraient pas.
Abandonner, comme on le fait, à l’insouciance
du soldat le soin de conserver lui-même les ressour-
ces qu'il peut trouver dans la faculté de se faire
remplaçant, c'est méconnaître son caractère fort
peu soucieux de l'avenir, et ne point tenir compte
de la fougue de l’âge et des passions qui lui feront
toujours tout sacrifier au plaisir du moment. Il faut
donc que l'Etat se fasse tout-à-la-fois et le collec-
teur, et le consignataire et le répartiteur des sommes
versées par les jeunes Français qui préfèrcraient
— 89 —
acquitter ainsi l'obligation que la loi imposerait à
tous de concourir à la défense du pays.
Un système, dont les bases seraient celles que je
viens d'exposer , satisferait donc à toutes les condi-
tions exigées. |
Il assurerait la sécurité des familles : car celles
qui le voudraient conserveraient leurs enfans mo-
yennant le paiement d’une somme qui ne dépasse-
rait pas leurs facultés ; et celles, dont les enfans vou-
draient suivre la carrière militaire, les verraient
volontiers entrer au service, certaines qu'en le quit-
tant ils ne se trouveraient pas tout-à-fait dénués de
ressources. ” |
Il assurerait à l’armée une meilleure composition,
en faisant disparaître la classe des remplaçans : les
hommes qui ne veulent que de l’argent, qui se ven-
dent pour en avoir, ne trouveraient pas leur compte
à une institution qui leur imposeräit préalablement
dix années de bons services. Mais on verrait entrer
dans l’armée des hommes honnètes qui seraient
heureux, en servant leur pays, de s’assurer quelques
ressources, |
Ïl retiendrait aussi dans les rangs de l’armée un
‘grand nombre de militaires, qui, après avoir servi
dix ans, voudraient servir dix autres années pour
ajouter une seconde indemnité à la première. D’au-
tres enfin pourraient vouloir servir dix ans de plus
pour obtenir leur retraite.
Et ilen résulte que le système proposé ne serait pas
moins avantageux aux vieux soldats, à qui il assure-
492.
=. 00
tait une récompense proportionnée au tems qu'ils
‘auraient passé sous les ne ds qu'aux familles et
à l’armée.
‘Il satisferait donc à toutes les conditions si bien
- déterminées dans la question que j'ai tenté de ré-
soudre.
Je ne me flatte pourtant pas, on le croira faci-
lement, qu'il ne soit susceptible d'aucune objection:
H est de nature, au contraire, à en soulever de nom-
breuses et de graves. Je n’oi nullement la prétention
‘de les prévoir et de les réfuter toutes. Mais il me
semble qu’elles devraient tendre à établir :
Ou que le système est injuste dans sa base;
“Ou qu'il ést d’une exécution impossible. :
‘Je crois doné pouvoir me borner à établir qu'il
est fondé sur un principe de rigoureuse justice, et
assis sur des-doünnées positives, qui ne laissent porn
prévoir d'obstacles insurmontables.
1°. Ce principe de rigoureuse équité, quel est-il?
je lai inscrit en tête de ce mémoire; il est le pivôt de
imon argumentation : c’est l’article 2 de la Charte qui
veut que les Français contribuent indistinctement, dans
la proportion dé leur fortune, aux charges publiques.
L'impôt mihtaire, n'est-ce point une des charges
publiques? N'est-ce point la plus lourde de toutes ?
Pourquoi serait-elle la plus inégalement répartie ?
Pourquoi ce mode vraiment barbare de faire peser
l'impôt sur quelques têtes seulement, désignées par
le sort? Pourquoi ceux que le sort a désignés ne peu-
vent-ils tous s’y soustraire qu’au mème prix quand
— JE —
ils se trouvent tous dans des positions si diverses ?
- Disons-le : notre mode de recrutemeut est une
iostitution de l'enfance des sociétés humaines. Il
accuse une ignorance révoltante de la théorie de
impôt. Si l’habitude me nous avait dès longtems
blasés sur le vice radical de ce vieux système, quin'est
autre que le tirage à {a milice, nous ne compren-
drions pas comment un si criant abus a pu se perpé-
tuer jusqu’à nos jours,
… Ah ! quand Ja patrie est en danger, qu'elle fn
un appel général à tout ce qui peut porter un mous-
quet, une pique, une arme quelconque : elle en a
ke droit, et, en l’exerçant dans toute son étendue,
elle ne blesse en rien la justice. Mais la justice est
profondément blessée , si quelques-uns, de quelque
manière qu'ils soient désignés, fut-ce mème par la
voie du sort, supportent seuls une charge dont cha-
eun. devrait supporter sa part.
« Le souverain, dit l’auteur du contrat social, n' .
» nul droit de toucher ay bien d’un particulier ni de
» plusieurs : mais il peut légitimement s'emparer du
» bien de tous. » C'est ma thèse : je conçois très
bien qu’on puisse appeler aux armes toule la jeu-
nesse enétat de les porter : maison ne peut pas, sans
la plus manifeste injustice, forcer quelques-yns
d’acquitter la dette de tous.
.dJ' invaquerais enfin, sil en était Besoin, et les
principes du droit, public et les principes du droit
sivik, et je demanderais si le tems, dont on prive
ceux qu'on force de servir, n'est pas leur propriété,
— 9 —
et si, en les en expropriant pour cause d'utilité pu-
blique, on ne leur doit pas une juste indemnité.
Si tous ces principes sont incontestables, de
de notre base ne peut être méconnue. |
4° Mais, maintenant, le plan proposé est-il d'une
exécution possible ?
H y a sans doute ici une partie hypothétique : ce-
pendant il faut remarquer que nous nous appuyons
sur une base certaine, sur le chiffre des naissances,
dont nous avons déduit, conformément à Ja loi de
la mortalité en France, le chiffre annuel des hom-
mes de vingt ans. :
Eh bien! prenons maintenant une base encore
plus sûre, le chiffre mème des dénombremens mi-
litaires : nous le trouverons encore plus élevé que
celui donné par la science.
En effet, la force moyenne de chacune des classes
de 1816, 1817, 1818 et 1819 était de 298,850.
( Compte rendu en exécution de la loi du 10 mars
1818, publié en 1821, p. 96 et 97.)
De ce chiffre il faut déduire les exemptions et les
réformes, dont la moyenne, pour les mêmes années,
avait été de 72,990, c'est-à-dire, en comparant ce
chiffre à la force des classes, de 1 sur 4.
La proportion est à peu près la même aujour-
d'hui : car la force totale des classes de 1831, 1852 et
1835 a été de 859,260, ce qui donne pour moyenne
de ces classes 286,420, et la moyenne des exemp-
tions et réformes pour les mêmes années a été de
89,474.
= —
© D'où l'on peut conclure que le chiffre des exemptés
et réformés est entre le tiers et le quart du chiffre
total de la classe, |
Il faut ajouter encore, que, lorsque l'obligation
du.service militaire se résoudra dans le paiement
d’une contribution proportionnée aux ressources de
chacun , il y aura infiniment moins d’exemptions,
et l’on ne verra plus exemptés pour prétendues in-
firmités une foule de jeunes gens qui ne s’en livrent
pas moins à des professions tout aussi pénibles que
celle des armes. On ne verra plus recourir à de hon-
teuses simulations de maladies ; on trouvera juste
de payer l'impôt militaire etonle paiera avec la même
facilité que tous les autres. Nul doute que le chiffre
des exemptés ne diminue considérablement. Ainsi |
notre chiffre de 200,000 contribuables peut être consi-
déré comme aussi certain que le chiffre 286,000 qui
représente lenombre brut des hommesde 20 à 21 ans.
Quant aux chiffres de l’indemnité et de la contri-
bution, j'ai peu de chose à en dire, parce qu’ils sont
nécessairement variables, Toutefois, le chiffre de
1,000 francs, pour l’indemnité militaire, devrait être
considéré sans doute comme un minimum au-des-
sous duquel il ne serait pas possible de descendre,
surtout si le temps de service était de dix ans.
… À l'égard de la contribution militaire, on concevra
facilement qu'elle serait susceptible d’augmenter-ou
de diminuer suivant qu’on admettrait plus ou moins
d'hommes sous les drapeaux. Si l’effectif de l’armée
était diminué, il faudrait moins d'hommes, et dès-
— % —
lors il y aurait, d’une part, moins d’indemnités à
payer, et, de l’autre, plus d'individus qui en paie:
raient; par conséquent la contribution devrait êtré
moindre : elle serait plus forte dans le cas contraire.
11 y aurait enfin des calcals à faire pour établir la
division en classes, de manière à ce que le produit
de toutes donnât, pour chaque homme laissé dans
ses foyers, la moyenne nécessaire pour assurer , à
ceux qui serviraient de leur personne, l'indemnité
déterminée, |
Mais l'énoncé du problème, dont je propose une
solution, n’exige pas que j’entre dans ces détails, non
plus que dans l'examen de toutes les questions qui
se ratiachent à celle qui fait l’objet de ce mémoire.
J’en indiquerai seulement une, celle de savoir si,
tout en laissant dans ses foyers la majeure partie de
la jeunesse, il ne conviendrait pas de la soumettre,
comme dans quelques pays voisins, à des rassem-
blemens périodiques ; de former tous les ans soit
dans chaque département , soit dans chaque divi-
sion militaire, des camps de manœuvres, où l'on
enverrait seulement des cadres d'officiers et de sous-
officiers tirés des régimens voisins, cadres que vien-
draient momentanément remplir tous les jeunesgens
de 18 à 25 ans, organisés, pour quelques semaines,
en compagnies, bataillons et régimens. Ne restas”
sent-ils que quarante ou cinquante jours chaque an”
née, pendant quatre ou cinq ans, à vivre la vie mili-
taire, ce serait assez pour qu'ils fussent au besoin
tout prêts à rendre d'immenses services.
— 95 —
Et puis, là se développerait sans doute chez quel-
ques-uns le goût pour la carrière militaire , et l’on
attirerait sous les drapeaux des hommes aimant leur
état et voués tout entiers à la défense du pays.
Aucun Français ne serait ainsi étranger au manie-
ment des armes et aux habitudes militaires, et tous
seraient toujours prêts à échanger leurs instrumens
de travailcontre ceux de la guerre : comme cesadmi-
rables soldats-travailleurs, qui, le fusil en bandou-
hère , creusent la tranchée sous le feu de l’ennemi :
l'assiégé vient-il à les troubler, ils laissent un instant
la pelle et la pioche, saisissent le sabre ou le mous-
quet; puis, quand ils ont repoussé l’assaillant, ils re-
prennent leurs outils et poursuivent leur travail avec
autant d'intelligence et d’ardeur qu'ils viennent de
montrer, dans le combat, de courage etd’intrépidité.
La France ne serait-elle pas bien forte, couverte
ainsi d'un million de défenseurs, les uns consacrant
une partie de leur existence , ou leur existence tout
entière à leur pays, vivant , sous la tente , et ne se
séparant de leur drapeau qu’au moment où la dimi-
nution de leurs forces et le progrès des années ne
leur permettent plus de le suivre ; les autres, livrés
aux occupations de l’état qu'ils ont embrassé ; mais,
chaque année , pendant leur jeunesse, essayant la
vie militaire, apprenant le fait des armes, et toujours
prêts ainsi à répondre à l'appel de la patrie, à voler
à sa défense.
J'ai dû me renfermer dans les limites qui ro CS
taient tracées.
Îl s'agissait seulement d'indiquer les bases d’une lé-
gislation spéciale sur les rempläcemens militaires.
J’ai établi qué le vice du mode actuel de rempla:
cement était dans la base même du recrutement de
l’armée, dans le tirage au sort.
J'ai prouvé que ce mode; injuste dans son prin-
cipe, funeste dans ses conséquences, enlève aux fa-
milles peu aisées des jeunes gens qui leur seraient
nécessaires, rend la faculté de se faire remplacer le
privilège extlusif des familles favorisées de la fortune;
entretient dans les corps une classe d'hommes faisant
métier de se vendre, dont les mauvais exemples ten-
dent à démoraliser l’armée , et qui; seule pourtant,
reçoitet gaspille des sommes considérables qui pour-
raient et devraient servir à récompenser les militai-
res qui se consacreraient au service de leur pays.
J'ai indiqué enfin les bases d'un système qui au-
rait pour résultat de rendre l'impôt militaire moins
onéreux en en répartissant la charge sur tous ceux
qui doivent la supporter, c'est-à-dire en le rendant
tout à la fois, comme doit être tout impôt, général
et proportionnel : général dans son application , et
proportionnel aux avantages dont l'obligation de
servir priverait celui qui voudrait s’en dispenser.
Si un autre, plus heureux et plus habile que moi,
est parvenu à élever, sur une base plus équitable en-
core, un édifice plus solide, je suis prèt à m'en fé-
liciter et à joindre mon obscur suffrage au suffrage
glorieux qu'il aura mérité.
ee ee
a ee
RAPPORT
SUR LE
CONCOURS DE POÉSIE DE 1835,
Par M. LUEZ, avocat, membre résidant.
"DM QE en
MEsstEuRs ,
Pour que votre concours de poésie fut constitué,
cette année, sur la première de toutes ses condi-
tions, sur celle qui lui donne son véritable carac-
tère, et sans laquelle il n'aurait qu’une forme vague
et insaisissable, vous en avez désigné le sujet. Vous
avez voulu que tous les concurrents fussent émus
de la même idée inspiratrice, afin que le plus heu-
reux d’entre eux se reconnût à la plus vaste sphère
d'images dont ses perceptions poétiques l’auraient
entourée et embellie. C’est bien là l'essence de
toute lutte scientifique, littéraire ou artistique , qui
n'éveille et ne provoque, il est vrai, qu’un petit
nombre de sympathies, mais qui les concentre
sur une lacune des conceptions humaines, et les
appelle à en remplir le vide de leurs plus belles
inspirations. |
Dans cette forme de contrat littéraire, qui n’est
presque plus aujourd'hui qu’une exception parce
153.
_ 98 —
qu'on s'en est trop souvent écarté, les obligations
ne tombent pas seulement sur ceux qui l’acceptent;
il en est une principale, qui devait vous atteindre
comme un devoir rigoureux et que vous ne pouviez
négliger sans rendre le contrat stérile pour les con-
currents et pour vous, c'était de désigner un sujet
qui fut réellement poétique. Cette obligation aurait
pu paraître imparfaite, si vous vous étiez contenté,
comme au bon tems des luftes académiques, de
proposer aux méditations des jeunes poëtes une
simple abstraction morale ou philosophique ; mais
vous avez compris que le drame qui anime l'élan
actuel de notre littérature, qui en est même le ca-
ractère presque symbolique, nous éloigne peut être
pour toujours de l’école des abstractions; vous avez
compris qu'il ne suffit plus de généraliser les véri-
tés pour aider à la civilisation et qu'il faut les ap-
pliquer à des situations sociales pour rendre leur
action plus sensible, | |
Cette modification de l’art, sur laquelle on a
tant discuté, n’est pas l'effet d'une simple affecta-
tion d'école; les preuves sont trop nombreuses et
trop fortes pour qu’on puisse nier qu’elle n’ait sa
cause naturelle dans la destinée de l'intelligence
humaine. L’objection tirée de ses abus ne suffisait
pas pour la faire proscrire. Sans doute elle devait
perdre de sa puissance en descendant à ces études
imprudentes dessensationsles plus vulgaires etles plus
hideuses. Cette profanation était inévitable. Le gro-
tesque altère la ligne la plus pure comme le sophis-
— 99 —
me la vérité la plus puissante; mais il fallait recon-
naître que le développement du cœur de l'homme
dans ses agitations les plus fugitives, et la recherche
de l'infini dans le monde moral comme dans le
monde réel, est un instinct de notre nature aussi
intéressant que le sentiment de la beauté pure du
génie antique ; et que si les anciens , régis par le
dogme souverain du fatalisme devaient avoir pour
type de leur art le principe d’une universalité ma-
jestueuse uniquement applicable à l’homme mo-
dèle , à l’homme illustré, les modernes, placés sous
l'influence de la loi chrétienne, devaient y puiser
le sentiment exquis de l’individualité, et s'attacher
aux traits caractéristiques et personnels qui diver-
sifient leurs penchants et leurs passions. Remontez
jusqu’au jour où commence à briller la loi chré-
tienne, vous verrez le fatalisme disparaître pres-
qu'aussitôt ; l’âme commence à s’émouvoir, à se
recueillir ; elle conçoit et admire les pressentiments
de Socrate et de Platon sur la doctrine évangélique,
elle embrasse un plus vaste horizon, l'humanité
semble douée d’une nouvelle vue; les méditations
bibliques répandent partout les premières fleurs
de la nouvelle poésie, et conduisent chaque individu
à rêver sur ce qu'il est pour lui, pour ses sem-
blables et pour la divinité. La chasteté de la pen-
sée, la pudeur du langage, ignorées des anciens,
deviennent les premières règles de l’enseignement
évangélique. Le type de l'individualité se marie à
l'idéal antique dans les œuvres du Dante , dont
— 100 —
toutes les figures grandioses , reproduisent sous des
traits particuliers les mouvements de l'ame person-
nelle; mais ce même type domine seul dans les
œuvres de Shakspeare, de Cervantes, de Richar-
dson , de Fielding, de Corneille, de Molière, de
Lafontaine, et même de Racine qui n’hésite pas à
déposer son respect pour les traditions antiques
quand il doit peindre , comme dans Berenice, les
mystérieuses douleurs de l'amour.
Le principe de l’individualité a même cet avanta-
ge immense sur l'idéal antique, que bien loin de
former une seule classe d'hommes de l'humanité
toute entière, il s'adapte diversement au caractère
des peuples, à leurs mœurs, à leurs intérêts positifs,
à leurs traditions, à toutes leurs croyances. C’est à
lui que nous devons la poésie bouillonnante et exal-
tée de l'Espagne ; la poésie molle et voluptueuse de
l'Italie; la poésie orgueilleuse et passionnée de l’An-
_ gleterre ; la poésie contemplative et métaphysique de
l'Allemagne; et c'est à lui que la France, après avoir
vécu si brillamment pendant plusieurs siècles de
l'idéal antique, devra ce caractère dramatique qui
distingue sa littérature actuelle, et sans lequel sa
poésie manquerait de cette nationalité nécessaire à
une société qui, comme la nôtre, est devenue nou-
velle par ses transformations politiques. Ù
Aïnsi le christianisme ne poursuit son œuvre
émancipatrice qu'en developpant le type de l’indi-
vidualité, c’est-à-dire le principe dramatique le plus
fécond des littératures modernes ; et l'évènement le
ë rie. ne
— 101 —
plus remarquable de notre époque, que la philoso-
phie devra plus tard expliquer, c’est que le type de
l’individualité, par un retour vers sa source, par une
sorte de reconnaissance pour son origine, puise au-
jourd’hui ses plus grandes forces dramatiques dans
les exigeances de la morale évangélique. Il faut
même noter que cette fois la France n'attend plus
l'impulsion des littératures étrangères , elle la leur
donne au contraire, et l’école de Châteaubriand est
maintenant celle du monde littéraire.
_ Eh ! bien, cette double source de l’individualité
épurée par la vertu évangélique est celle où vous
avez puisé le drame de votre sujet de poésie, et en-
core, n'est-ce pas un cadre de pure invention, dont
les données sont presque toujours incomplètes, que
vous avez imposé aux concurrents : non, c'est une
des plus intéressantes réalités du siècle, c’est une
longue et vive douleur, d’une définition impossible,
supportée avec une résignation plus qu'humaine, et :
révélée à l'univers par l’une des muses chrétiennes
les plus touchantes de l'Italie. Silvio Pellico ne vient
pas, après dix ans de la plus horrible captivité, nous
raconter ses souffrances avec la colère du citoyen ; - :
« son livre, comme le dit son traducteur, eut été élo-
» quent, mais vulgaire, l’ame du poète et la douceur
» du chrétien l’ont rendu sublime, savez-vous beau-
» coup d'invectives qui parlent plus haut que cette
» chrétienne modération ? » |
Et dans les dix années de ce martyr continuel et
de cette angélique résignation, il existe un jour où
— 102 —
la douleur s'est élevée, pour Silvio Pellico, au-dessus
de toutes les douleurs, c’est le jour où il apprend
que sa plus jeune sœur, celle qu’il a le plus tendre- .
ment-chérie, qu'il avait laissée près de son père et
de sa mère pour soutenir et consoler leur vieillesse,
s'est enfermée dans un cloître. Cette nouvelle jette
dans son esprit une lumière affreuse , il ne doute
plus de l'étendue de son malheur, et désormais l’a-
mour de la famille n’aura plus dans son cœur,
comme l'amour de la patrie, que l'aliment du sou-
venir ! quel nom donner à ce tourment qui vient s’a-
jouler aux tourments de sa prison ?
Mais tout près du captif, tout près du poète, dans
le même cachot, sous les mêmes verroux, il y a un
autre captif, un autre poète, aussi résigné, plus cou-
rageux peut être, dont la muse ingénieuse sait trou“
ver des consolations jusque dans le malheur qu'il
partage. Le sacrifice d’'Angiola ne peut être à ses
. yeux l'acte d’une abnégation commune, il y voit une
élévation de pensée si vertueuse, un mouvement de
l'ame si fervent, une croyance religieuse si profonde
qu'il cède à ses inspirations, et Silvio Pellico nous
apprend. qu'il en résulta un délicieux petit poème
qui respirait la mélancolie et la douceur. Et ce poëme,
gravé sur les murs du cachot, et qui devait proba-
blement durer plus que la pierre du Spielberg, Ma-
roncelli l’efface, uniquement pour ne pas compro-
mettre le geôlier! Certes, si quelque chose peut
consoler les muses de cette perte, c’est le motif dé-
licat du sacrifice. Une bonne action vaut toujours.
ms
— 103 —
quelques vers, elle vaut mème toujours mieux, et s’il
ne nous est plus permis de juger le talent de Maron+
celli dans cette composition, nous pouvons au moins
apprécier la pureté de sa morale et sa généreuse pitié.
Voilà donc la formule du sujet de votre concours,
c’est le poème de Maroncelli, ce délicieux petit poë-
me effacé, perdu, que vous avez voulu faire revi-
vre, que vous avez redemandé aux muses françaises
comme solidaires de leurs sœurs d'Italie tant en
poésie qu’en vertus chrétiennes et patriotiques. Ah!
ne doutez pas que ce sujet ne fut réellement poéti-
que , à l'examen des compositions qui vous ont été
adressées, votre commission a même senti qu’il l’é-
tait trop. Sur les neuf poëmes que vous avez reçus,
elle n’en a pas trouvé un seul qui ait indiqué com-
plètement toute la poésie qu’il renferme. Aucuri des
concurrents n'a compris que, dans ce tableau de
douleur, de misère, de courage et de vertu, il'fallait
opposer la foi virginale d’Angiola à la douce rési-
gnation de son frère et que c'était dans l’indivi-
dualité de leur position, de leur organisation, de
leurs idées qu’il fallait chercher les contrastes de
leurs sentiments et de leurs émotions; aucun des
concurrents n'a senti que pour rendre ce tableau
complet, 1l fallait combiner ces premières données
avec la participation de Maroncelli, si non commé
poëte, quoique rien ne lui défendit d'y paraître à ce
titre, du moins comme compagnon de l’infortuné
Pellico, comme un tendre ami qui oublie ses pro-
pres angoisses pour faire descendre dans l’ame d’un
— 104 —
frère désespéré l'espoir d’une clémence divine que
la pureté de son cœur lui a déjà méritée et que le
dévouement et l'intercession d’un ange ne peut que
lui faire obtenir. Oui, votre commission vous l’a dit
avec un grand regret, aucun des concurrents n’a
compris le sujet proposé, n’a même compris les pa-
roles de Silvio Pellico qui étaient cependant le déve-
loppement le plus naturel de votre programme.
« Parmi tant de milliers de vers, dit-il, qui jusqu’a-
»lors avaient été composés pour des religieuses,
» ceux-là probablement étaient les seuls composés
» dans une prison pour le frère de la religieuse, par
» un de ses compagnons de captivité. Quel rappro-
» chement d'idées saintes et pathétiques! »
Sous le rapport de l’exécution, votre commission
n’a pas eu plus d’éloges à donner aux concurrents,
cependant s'il fallait soumettre leurs ouvrages à une
analyse particuliére, il serait facile de recueillir çà
et là quelques pensées, quelques images qui ne
manquent ni de méditation ni de vérité. Il est même
juste de reconnaître qu’en général leur versification
est correcte et même expérimentée, mais sans frai-
cheur et sans charme. Toute fois ce jugement n'at-
teint qu’en partie le n° 8 qui, quoique défectueux et
incomplet dans sa distribution, est néanmoins re-
vêtu de formes assez gracieuses qui le seraient en-
core plus si elles n'étaient trop négligées. Votre
commission a pensé que ce travail méritait une dis-
tinction, et vous a demandé, pour son auteur, une
mention honorable que vous lui avez accordée.
LA SOEUR DU PRISONNIER.
#
(POEME MENTIONNÉ HONORABLEMENT. )
Pauvre feune fille ! elle n’a pas voulu que
je fusse séul à souflrir les rigueurs de la pri-
sun. EMe aussi à voulu s'enfermer.
{Mémoires de Sicvio Parico. |
x.
Quel est dans le saint lieu cette vierge modeste
Au front candide et pur, au visage céleste ?
Est-ce une simple femme ? est-ce un ange du ciel
Qui voilant son regard éclatant de lumière
Pour mieux prêter l'oreille à quelqu'humble prière
Est descendu près de l’autel ?
Ah! quelle est belle ainsi! que de grâces et de charmes !
Mais ses yeux tout-à-coup se sont inouillés de larmes !
Elle semble à la terre adresser un adieu :
Au milieu des parfams que l’on sème autour d'elle,
Colombe d'espérance elle entrouvre son aile
Comme pour s'envoler vers Dieu !
14.
— 106 —
Toutefois, en voyant sa brillante parure,
Ses fleurs, son voile blanc, sa belle chevelure
Qui de son cou d’albâtre ombrage le contour ;
Et tout près de l’autel où la vierge s'incline
En entendant les sons d’une lyre divine
Se mêlant à des chants d'amour.
Vous diriez : n’est-ce pas pour un beau jour de fête
Que cette jeune fille a couronné sa tête ?
C’est sans doute un hymen que le ciel va bénir ?
Fleur sans tâche, elle exhale un parfum d'innocence !
Où donc l’heureux époux ? qu’il vieune, qu'il s'avance
Sa bouche va le recueillir!
Mais que dis-je 2... Un époux! inutile parole !
Comme elle dépouillons tout ornement frivole.…
Sa maiu au fer sacré livre ses blonds cheveux;
Pauvre enfant ! la voilà ta couche nuptiale,
C'est le linceul de mort qui couvre ton front pâle,
Et ton époux est dans les cieux!
Te voilà maintenant solitaire, voilée;
Loin d’un monde brillant à jamais exilee !
Pour toi plus de famille, et ta patrie est là *..
Epouses du seigneur, en cette augustc enceinte,
Ouvrez vos rangs sacrés, place à la vierge sainte,
Place à l’ainable Angiola!
| —.107 —
Enfant, dans ton ciel bleu passa quelque nuage !
Car l'oiseau voyageur n'abandonne la plage
Et le nid où sa mêre a chanté ses amours
Qu’au moment trop rapide, où l'hiver triste et sombre,
Vient avec les frimats, et couvre de son ombre
L'azur et l'éclat des beaux jours !
Captive désormais sous ces voûtes funèbres
Dont une faible lampe éclaire les ténèbres,
Révant toute la nuit à d'anciens souvenirs,
La pauvre jeune sœur, à genoux sur la pierre;
Semble à quelqu’exilé consacrer sa prière,
Ses vœux ardens et ses soupirs !
O Silvio! bannis tes secrètes alarmes,
Qu'un éclair de bonheur brille à travers tes larmes,
C'est un ange de plus qui pour toi vient prier;
Écoute, et reconnais dans cette voix si tendre,
Cette voix qui du ciel saura se faire eutendre,
La sœur da pauvre prisonnier.
117.
Dieu de bonté! qui prends sous ta tutelle
L'oiseau timide et l'enfant sans appui,
Faible comme eux à l’ombre de ton aîle,
Je viens, Seigneur, V'implorer aujourd’hui.
— 108 —
Je suis tremblante, et ma bouche craintivé
T'oflre ma vie et mon cœur tout entier,
Oh! que le deuil de la jeune captive
Soit la rancon du pauvre prisonnier !
Pâle et glacé dans sa triste demeure,
Levant au ciel ses bras chargés de fers,
Mon Silvio souffre, gémit et pleure,
Sa voix plaintive a traversé les airs.
Par ton aspect, Ô toi qui nous consoles
Ciel, viens sourire à travers ses barreaux !
Zéphir léger, porte lui mes paroles,
Et l'espérance adoucira ses maux.
Rends-lui, Seigneur, sa riante Îtalie,
Son ciel d’azur, son horison vermeil!
Mon Silvio, reviens dans ta patrie
Te réchauffer à ton premier soleil :
Jadis heureuse, empressée, attentive;
Prêétant l’oreille au bruit de tes concerts
Je t’écoutais, et d’une voix naïve
Je répétais quelques-uns de tes vers.
Puis, aux lauriers qui couronnaient ta lyre
En me jouant, je mélais quelques fleurs,
Je souriais en te voyant sourire,
Et j'iguorais qu'on pût verser des pleurs {
— 109 —
Seigneur, je tremble, et ma bouche craintive
T'offre ma vie et mon cœur tout entier,
Oh! que les pleurs de la jeune captive
Soient la rançon du pauvre prisonnier !
Hélas! pour lui, j'ai délaissé ma mère,
Et les rameaux de notre arbre chéri!
Et faible ainsi qu’une plante éphémère
J'ai dit : mon Dieu, tu seras mon abri!
Seigneur, je tremble, et ma bouche craintive
T'offre ma vie et mon cœur tout entier,
Ah! que les pleurs de la jeune captive.
Soient la rançon du pauvre prisonnier }
Ji,
Silvio ! dans ton cœur, crois à ta délivrance :
Le Dieu qui nous châtie est le Dieu d'espérance...
Envoyé par le ciel, plus d’un ange autrefois,
Semblable dans la nuit au flambeau tutélaire,
Visitant du captif le réduit solitaire,
Brisa ses fers plus d’une fois :
Plus d’une fois aussi dans ta prison obscure,
Dans un songe riant, aimable, jeune et pure,
Tu verras près de toi cette chaste beauté,
Sa voix tout has murmure une douce parole,
— 110 —
Et son front rayonnant d’une sainte auréole,
Répand dans l’ombre sa clarté.
Tu crois, pauvre exilé, sentir sa main chérie
Détacher tes liens en montrant la patrie.
Ton cœur bat! tu revois ton horizon vermeil!
Lorsque le bruit des pas du geôlier qui s’avance
Emporte tout-à-coup ton rêve... et l'espérance
Tu reste seule à ton rêveil.
Garde-la, Silvio, Dieu rendra, je l’espère,
Tous les petits oiseaux à l’aîle de leur mère
Tous... moins Angiola, reverront leur foyer.
Mais elle, heureuse aussi , dans ce jour plein de charmes
Pourra sourire encore, en songeant que ses larmes
Sont la rancon du prisonnier !
LES DERNIERS MOMENS
D'UNES JEUNE MILLE,
Par M. Timothée DEHAY, (*) membre correspondant.
I.
Elle vit encore, mon amie , je suis arrivé assez à
temps pour l’embrasser; pauvre Cécile, elle vit, mais
quel spectacle et quelle affreuse certitude! que je
plains ta malheureuse sœur... Sa fille condam-
née, mourante d’une maladie qui ne pardonne
jamais ; à peine dix-huit ans et déjà plus d'espoir !
Tous les médecins ont prononcé, chacun ici attend
le terrible moment; pauvre mère, elle seule semble
(4) M. Timothée Dehay, secrétaire général de la Société de
Statistique universelle de Paris, avait élé chargé d'apporter à
l'Académie une médaille d'honneur en argent, que cetle Société
Jui a décernée dans sa séance générale tenue à l'Hôtel de-Ville
de Paris le 4 jain 1835, sous la présidence de M, le duc de Mont-
morency ; avant de commencer sa lecture il a cra devoir pro-
noncer quelques mots à ce sujet et remercier l'honorable M. Du-
douit des choses flatieuses qu'il a bien voulu lui adresser au
cominencement de la séance en faisant, en son now, la remise
de la médaille.
— 112 —
encore espérer ; inutilement on a essayé de lui faire
pressentir son malheur , elle n’a rien voulu com-
prendre; inutilement on l'a préparée à cette af-
freuse séparation, la nature parle à son cœur de
mère, elle ne peut croire que son enfant la précé-
dera dans la tombe !... Depuis deux mois, Eugénie,
elle est au chevet du lit de sa chère malade, depuis
vingt jours elle n’a pas voulu se coucher ; en vain
le sommeil l’accable, elle veut rester sur pied toutes
les nuits; en vain la fatigue lui enlève toutes ses
forces , l'amour maternel les lui rend ; si quelque-
. fois elle cède sur ce point, si elle n’ose pas toujours
résister aux supplications de Cécile, aux larmes d’E-
lisa, aux prières d'Alfred, ce n’est que pendant le
jour qu’elle se rend à leurs vives instances, et qu’elle
consent enfin à prendre quelques heures de repos.
La santé d’Elisa se ressent vivement de toutes ces
secousses ; la pauvre enfant a voulu revoir sa sœur
et elle est revenue de sa pension ; pendant quelque
temps sa mère avait eu la prudence ct le courage de
s'y refuser, je regrette qu'elle ait enfin cédé, les
souffrances de Cécile feront sur son jeune cœur une
bien vive impression.
Alfred semble sentir le rôle que lui impose la
mort de son père ; il a dix-neuf ans et c'est en
homme qu'il se conduit ; on nous avait écrit que
lui seul était calme, qu’il voyait approcher l'instant
fatal d’un œil tranquille, on ne l'avait pas deviné ;
un instant m'a suffi pour le juger ; il sent vivement,
autant que toute sa famille il gémit de son malheur,
— 113 —
imais il comprend que c’est à lui à consoler; il cher-
che à calmer la douleur de sa mère, à retenir leë
larmes d’Elisa, les sanglots de la vieille Marguerite
qui les a tous élevés; il s'efforce ensuite de sourire
à la malhéureuse Cécile, et cependant, ô bizarrerie
de ce mal cruel! son frère, l’ami de son enfance,
le compagnon de ses jeux, son frère qu'elle a tou-
jours aimé, qu’elle chérissait tendrement , elle ne
le voit plus qu'avec peine, elle repousse ses soins,
on dirait même qu'ils lui sont à charge; s'il pré-
sente quelques boissons, elle les trouve mauvaises ;
si, la voyant fatiguée ; il veut l'aider à changer de
position, elle prétend qu'il est brusque et qu’il lui
fait mal: est-il triste, elle dit qu'il s'ennuie près
d’elle et voudrait aller à ses plaisirs ; feint-il un peu
de gaîté, « il pense bien à mes maux, dit-elle, il rit
et moi je souffre ! » — Le bon Alfred semble ne s’a-
percevoir de rien et redouble de soins; — «il y a
de l’ingratitude de sa part, » lui disait hier la vieille
Marguerite ; — « non, ma bonne, répondit-il, il y
a de la maladie ; » — et il retourne près de son lit,
et au lieu de reproches il lui adresse des excuses ;
pour la distraire comme elle il parle de projets, il
adopte tous ceux qu’elle ne cesse de faire; des pro-
jets. peut-être que demain !.. et elle parlait tout à
l'heure de l'aller voir au printemps, de passer le temps
de sa convalescence dans notre maison de campagne;
pauvre amie, elle se voit déjà courant dans le jardin,
cucillant des fleurs avec sa bonne Emma;... Emma!
6 mon Eugénie , veille bien sur notre enfant : que
15.
— Ml —
notre fille chérie recoive toujours tes tendres soins,
que les veilles, que les bals si funestes aux jeunes
personnes !... ô pardonne, mon amié, je connais
ton amour pour elle, ta vigilance, ta tendre sollici-
tude, pardonne , ces lignes ont pu te faire de la
peine, mais l'image cruelle que j'ai devant les yeux
me rendra sans doute excusable aux tiens!
Toute la matinée la malade a eu des visites ; des
amis, quelques parens de son père ; ton vieux père
Jui-mème qui depuis un an n’était pas sorti de chez
Jui : il a voulu revoir encore sa petite fille; — * elle
» m'a prodigué des soins si touchans pendant ma
» dernière maladie, répétait ce vénérable vieillard,
» mes amis, je suis bien faible, bien vieux, mais
» vous allez me soutenir , je veux aller la remercier
, de ses bontés: mon grand âge ne peui m'en dis-
» penser ; quoique sur le bord de ma tombe, elle
» quittera ce monde avant moi, mes cheveux blancs
» doivent du respect à son malheur ! »
Vint ensuite madame de Belmont dont la fille, la
jeune Lucie a toujours été intime avec Cécile ; ins-
truite du sort qui attend son amie, quelque temps
elle hésita à venir l'embrasser; la crainte de ne pou.
voir retenir ses larmes devant elle l’a jusqu'à ce
jour empècaée de la voir ; cependant , être accusée.
d’ingratitude , cette idée tourmente Lucie, elle ras-
semble ses forces, elle arrive croyant pouvoir sou-
tenir ce spectacle, et dissimuler sa douleur sous des
traits demi-riants ; mais depuis quinze jours elle ne
l'avait pas vue, quinze jours d'une maladie dévo+
— 115 —
rante, quinze jours de ravages sur une figure de
dix-huit ans! En entrant elle ne peut retenir un
mouvement: Cécile a vu sa surprise ; — « tu me
trouves bien changée , » lui dit - elle ; — « mais...
non... un peu cependant,» répond Lucie en bal-
butiant ; une larme s'échappe ; encore Gécile l'a
aperçue, mais prenant le change sur le motif qui la
fait couler , et éloignée qu’elle est de se croire en
si grand danger... — « Que tu es bonne, ma Lucie,
dé regretter pour moi un peu plus, un peu moins
de beauté. » — Bah, dit-elle ensuite en caressant sa
chatte favorite qui sur son lit ronfle près d'elle,
« tout cela reviendra, n'est-ce pas ma Ketty, n'est-
» ce pas, ma fidèle chérie, que tu m'aimeras tou-
x jours en dépit des petits accidens de la maladie,
. que c'est ta maitresse que tu aimes, que tu l’ai-
» mes pour elle, et qu’un peu plus, un peu moins
» de fraicheur ne t'empêcheront pas de venir en-
» core te mettre à ses côtés. » — La bête dormait
toujours , plus sensible à Ja mollesse et à la chaleur
du Jit qu’à ces douces paroles, mais dans un coin de
la chambre je crus entendre un soupir.
Dépuis un quart-d’heure, un jeune homme, mon- |
sieur Ernest de P*** élait entré avec Alfred, avait
salué Cécile qui avait répondu par un sourire, et,
Le dé avoir pressé la main de sa mère, était allé
s'asseoir absorbé et dans le plus morne silence ; les
paroles adressées à Ketty venaient de réveiller sa
douleur , il n’osait encore rompre ce silence, peut-
être n’avait-il pas la force de le faire, mais l'inten-
— 116 —
tion de Cécile ne lui avait pas échappé ; — «tu ne
» me réponds pas, ma Ketty, ajoute la pauvre en-
» fant, tu ne m'aimes donc plus ; » — «mademoiselle,
» dit alors en tremblant monsieur Ernest de P***,
» c'est à tort que vous l'accusez, elle ne peut ou
»* n'ose probablement pas s'exprimer, mais qui ne
» dit rien... » — Pauvre Cécile, lincarnat même le
plus pâle ne peut plus colorer {a figure , mais tu
‘goûtes encore un moment de bonheur lorsque, sans
mème attendre la fin de cette phrase, tu ajoutes
avec une nouvelle caresse, mais en dirigeant ail-
leurs ton regard languissant, « c’est bien, ma Ketty,
» réponds-moi toujours comme cela. »
Le docteur vient de sortir ; — « du courage, a-t-il
dit à Alfred qui lui recommandait de venir demain
de bonne heure, du courage, mon ami, préparez
votre mère , il vous reste à peine une nuit, ma vi-
site, je le crains, sera inutile demain. » — Demain,
à nature !... aujourd’hui touté sa connaissance, des
paroles raisonnables, des pensées justes, des actions
calculées , et demain!... à l'instant encore elle sen-
tait l'amitié, exprimait son amour, respirait la ten-
dresse filiale !.. dans quelques heures, sans idée ,
sans mouvement !
Alfred rentrait dans la chambre; — « ferme done
la porte , lui dit-elle avec aigreur ; —ah! pardon,
mon amie, tu as raison, j'étais un peu distrait, mais
j'étais content, le docteur vient de me dire que tu
‘allais mieux. » — «Ce n'est pas à tes soins que je le
dois , répond - elle , et elle se retourne ; » — Alfred
— 117 —
se tait, il vient à moi, et me serrant la main, — « le
docteur ne m'a pas trompé, mon oncle, puisque ma
bonne Cécile me parle ainsi, il faut qu'elle soit bien
malade » — et un instant après il vint encore lui
offrir avec bonté des fruits qu'elle avait plusieurs
fois demandés dans la matinée, qu'il avait eu beau-
coup de peine à trouver, et que, par un caprice si
commun dans ces sortes de maladies, elle refusa
avec indifférence comme tout ce que journellement
elle semble d'aborddésirer avec ardeur, et qu'elle ne
regarde même pas lorsque l'on vient le lui apporter.
Déjà, mais inutilement, j'ai essayé de m’acquitter
près de ta sœur de la triste commission donnée à
Alfred ; il est cruel, et il est difficile de détruire chez
elle la dernière espérance , je tâche de l’avertir , je
vois qu'elle me comprend, et malgré cela je vois
qu'elle espère encore ! — Ce courrier, mon amie,
sera donc l’avant-coureur de la triste nouvelle, ne
te flatte pas, aucune crise n’est possible, déjà en me
lisant tu as brisé le cachet de la lettre de mort. —
«quel spectacle, répéterai-je, et quelle affreuse
certitude , je viens de la voir me sourire , tout-à-
l'heure en l’abordant elle va me sourire encore, et
déjà je t'écris : Eugénie, Cécile est morte! !»...,
Adieu, presse notre fille sur ton cœur ; notre fille !..
je ne peux plus prononcer ce mot sans trembler !!
IT.
Il avait dit vrai, Eugénie, il vient d'arriver, sa vi-
site a été inutile! mais déjà comme moi tu savais
— 118 —
le malheur, je t'ai écrit hier que Cécile était morte
ce matin ! — Il est huit heures, tout est morne dans
cet appartement tout à l'heure si agité, bientôt je
vais commencer avec Alfred les tristes démarches
que nécessite l'enterrement, mais avant je remplis
ma promesse; quoique pénibles à raconter, je te
fais connaître les détails de ses derniers momens.
La soirée fut assez calme; quelques amis sont
encore venus pour la voir, mais nous ne les avons
pas admis dans sa chambre ; elle commençait à
concevoir de l’étonnement de ces nombreuses vi-
sites , 11 fallait éviter de l’éclairer et de rendre ses
derniers instans plus amers; à onze heures ton
père s’est retiré ; Cécile un moment avait fermé les
yeux, sa mère était dans la chambre voisine ; avant
de partir le vieillard étend ses bras décharnés sur
les restes vivans de sa petite fille, et lui donnant sa
bénédiction. « Repose en paix, mon enfant, lui dit-
il] d'une voix basse et presque éteinte qui cependant
fut entendue ; » — « merci, grand-papa, répond Cé-
cile en ouvrant faiblement les yeux, je suis can-
tente de vous avoir vu, cela va me faire passer une.
bonne nuit. »
Monsieur Ernest de P*** serait volontiers resté.
plus long-temps, il n’osa pas le demander; la ma-
nière dont il dit adieu à ta sœur, le regard qu'il
adressa à Alfred, prouvaient bien qu'il savait ne plus
revoir la malheureuse Cécile, mais en lui disant « à
demain, mademoiselle, » il savait aussi que ces pa-
roles menteuses ne seraient pas inutiles et qu'elles:
— 119 — |
devaient procurer un dernier battement de bonheur
à ce cœur encore chaud quoique ne palpitant déjà
plus que dans un sang glacé ! Elles lui valurent cet
adieu ; — « bon soir, monsieur Ernest, Ketty a en
vous un bon avocat, elle vous chargera encore de
répondre pour elle. » L |
À minuit ta mère revint; elle avait reconduit son
mari et voulait assister aux derniers momens; —
«mon ami, dit-elle à Alfred en rentrant, enlève
cette lampe , elle doit gêner ta sœur;» Alfred veut
obéir : — « Laisse-la donc sur cette table, dit Cécile
avec impatience et elle avance le bras pour la re-
tenir ; dans ce mouvement elle rencontre le verre,
il est brisé, la main de la malheureuse est atteinte,
le sang ne peut plus sortir, la douleur n’en est que
plus vive et la malade jette un cri aigu; sa mère alar-
mée se retourne brusquement; —«ce n'est rien,
bonne mère , dit aussitôt Cécile, redevenant douce
pour elle, cet Alfred est si maladroit, ses soins me
feront mourir ;» la mère regarde son fils, comme
pour s’excuser de la réponse qu'elle va adresser à
une tête malade; «eh bien moi, ma Cécile, j'ai
bien plus soin de toi, sois tranquille , je ne te quit-
terai plus ; — non, ma bonne mère, tu as déjà passé
bien des nuits près de moi, il faut te reposer; si
vous vous rendez tous malades qui me soignera
alors, car je le vois, je dois vous occuper encore
bien long-temps, vous donner encoré bien de la
peine, il faut donc vous partager les fatigues, cetté
nuit tu te coucheras ; — elle a raison, maman, dit
— 190 —
aussitôt sa jeune sœur, — Cécile l'interrompt :« to;
aussi, Elisa, tu as besoin de repos, il faut ménager
ta santé délicate , si à ton tour tu fais une maladie,
tu veux donc que je passe le temps de ma conva-
lescence à te soigner. » — La mère , la sœur veulent
insister — c’est arrêté, dit Cécile, avec tette dou-
_ ceur qui laissait percer toute l'autorité de la mala-
die, grand-maman veut bien me veiller cette nuit,
et si elle est un moment trop fatiguée, eh bien toi,
bonne Marguerite, tu ne me quitteras pas ;» —
pour la contenter chacun promit de faire ce qu’elle
désirait ;— Alfred se dit— «et de moi, pas un mot!»
Satisfaite d'avoir ainsi tout arrangé elle tâche de
dormir; l’action qu'elle a mise a témoigner sa vo-
lonté semble avoir encore diminué le peu de forces
qui lui restent; dès ce moment sa tète commence à
faiblir, sa respiration devient plus gênée, ses yeux
qu'elle rouvre de temps en temps sont plus fixes;
toujours bonne elle nous adresse encore quelques
sourires, mais sans paraître apercevoir ceux que
nous lui rendons ; elle passe ainsi plusieurs heures,
conservant encore sa ralson, mais sans avoir au-
cune idée bien fixe; « j'ai soif, j'ai froid, je suis
mal couchée ; » et ne voulant ni recevoir les bois-
sons qu'on lui présente , ni permettre qu'on la re:
couvre ou qu’on arrange son lit; — à quatre heures
elle est très agitée — « quelle douleur affreuse, dit-
elle tout d’un coup, mais ce n’est pas possible au-
trement , je vais mourir; — on se presse autour
d'elle, on rejette au loin cette idée; — « mais vous
— 191 —
pleuréz, je crois, cela est donc vrai, quoi si jeune
et il faut que je meüre ! » — On veut la rassurer,
mais comment porler.la conviction dans son âme
lorsque tous sont en pleurs; — « ah vous m'avez
trompée! j'allais mieux, disait le médecin, » —
« ma Gécile, ma fille, tu te tourmentes inutile-
ment » — la malheureuse ne croit plus à ces paro-
_ les; — «ah, je ne vous en veux pas, vous vouliez
m'éviter de cruels momens; — déjà mourir, répé-
tait-elle, quitter de si bons parens, de si bons
amis ; .…. Dieu que je souffre... quelle torture !..…..
Ab rapprochez-vous, serrez-vous autour de moi, que
je vous voye tous encore une fois ;.... embrasse-moi
ma bonne mère :.... traîne-toi jusqu’à moi, grand-
maman, .. approche-toi ma vieille Marguerite. .…
Elisa tu auras soin de notre mère!..….. Vous aussi |
venez mon oncle... pour me voir un instant vous
avez quitté ma bonne tante , vous avez affligé votre
Emma !!.... et regardant autour d'elle... je ne vois
pas tout mon monde ici...» — Le bon Alfred est
là, mais 1] n’ose d’abord se montrer, il craint de
troubler ce dernier accord par sa présence ; .
cependant il approche en tremblant ; ... — Cécile
le voit, et détournant les yeux sans même lui adres-
ser la parole... « maïs il me manque encore quel-
qu'un ;... puis tout d’un coup » — ah ! Ketty liés
tu ne me consoles pas toi, mais maintenant je sais
faire parler ton silence , tu m’aimeros encore que
je serai morte !
Après celle scène éhiranle ses forces sont épui-
16.
| — 122 —
sées ; elle dit encore quelques paroles sans suite,
quelques autres plus expressives « Marguerite..., un
dernier service.., toi seule... tu veux bien ; .... »
alors sa raison l’abandonne, elle est tout à - fait
abattue et dans cet état qui n’est ni la vie ni la mort,
quelques sons encore qui ne sont plus des paroles,
quelques plaintes, qui n’expriment plus de désirs :
un rire forcé qui annonce des convulsions, des con-
plus de mouvements !.... — « Ciel ! dit la mère =
ce cri, ce bruit plutôt, agit sur le corps que l’on
appelle encore Cécile; il reprend quelque mouve-
ment, un son creux, précipité se fait entendre de
nouveau ; — » elle respire , s’écrie avec une espèce
de joie la mère qui venait de perdre toute espé-
rance , ma fille respire ! Le râle de la mort, elle
appelle cela respirer !
Son espoir fut de courte durée ; d’horribles souf-
frances recommencent., de nouvelles convulsions se
succèdent avec une effroyable rapidité, tous les
muscles se contrecient, les jambes se roidissent,
le corps se dresse, les bras se tendent, les mains se
joignent; ..….. « mon frère! pardonne mon frère !..»
Le cadavre retombe... profond silence !!... à, bonne
Cécile, que ces dernières paroles prouvent la beauté
de ton âme; tu avais dit adieu à tout ce que tu ai-
mais, ton frère seul n’avait pas eu de part dans tes
regrets, ton inal l’empêchait de le reconnaitre,
mais déjà Lu es morte, la maladie a disparu, le
— 193 —
bandeau vient de tomber, et tu sembles revenir un
instant pour lui dire « embrasse-moi, mon frère,
je l'avais oublié ! »
Peins-toi, mon amie, la douleur de ta sœur; cette
pauvre mère était retombée sur le corps de sa fille;
je veux l’en arracher, elle résiste ; ta mère est éga-
lement repoussée ; Elisa se jette à ses pieds; —
« Ô ma mère, calme-toi, conserve nous notre bonne
maman, nous te chérirons davantage; nous tàche-
rons de te rendre ta Cécile; Elisa, je le sais, ne
la remplacera pas, mais je t’aimerai tant, je serai
si soumise , si fidèle à exécuter le dernier vœu de
ma sœur, Alfred et moi nous ferons tout pour cher-
cher à te consoler ; — Elisa, Alfred ; ... à ces noms
elle. sort de sa stupeur ; une mère qui vient de per-
dre un de ses enfans éprouve un vif besoin de serrer
Jes autres sur son cœur!» Alfred, Elisa, répète-t-
elle, où sont mes enfans ?... un seul a répondu ; —
où est Alfred , dit-elle en se retournant ; le malheu-
reux était tombé sans connaissance ; jusque-là il
avait montré de l'énergie , une énergie au-dessus de
son âge ; mais que de senlimens venaient de se croi-
ser dans son âme ! que de sensations différentes et
subites il venait d’éprouver; était-il étonnant que les
forces lui aient manqué en voyant retomber sa
sœur et qu'il n'ait pu supporter à-la-fois son pro-
fond dédain, sa tendresse et sa mort! — Heureu-
sement cette faiblesse dura peu de temps, nos soins
k firent promptement revenir, et dès que ses yeux
— 1924 —
furent ouverts, il retrouva son courage , il ne vit
plus que la douleur de sa mère!
Il l’engage aussitôt à quitter ces tristes lieux pour
se rendre chez ton père, elle refuse et veut rester
près du corps de son infortunée fille ; tous nous
prions , nous insistons, elle finit par céder; mais
avant de partir elle veut absolumentla revoir ; —elle
serrealors affectueusement la mainde la vieille bonne,
lui montre Cécile et lui dit tout en pleurs : — « ma
» vieille Marguerite , tu l'as vu naître, tu l’aimais
» comme ton enfant, tu as entendu sa prière, je
» compte sur toi, toi seule, je te la confie. » — Puis
en tremblant elle s'approche une dernière fois de
sa malheureuse enfant, l’embrasse avec résignation,
baisse elle-même ses paupières, la recouvre de son
drap , attire doucement Alfred et Elisa près de la
couche mortuaire , se met lentement à genoux, lève
avec confiance les yeux vers le ciel, et ajoute avec
calme : ... « Mes enfans, nous ne verrons plus votre
sœur, prions pour elle !!
RAPPORT
SUR LE PROJET
DE CANAL D’ARRAS A BOULOGNE,
Par M. BILLET , avocat, membre résidant.
Le 25 avril dernier, l'académie d'Arras ayant
nommé une commission pour s'occuper du projet
de l'établissement d’un canal d'Arras à Boulogne,
_je viens aujourd'hui vous faire un rapport sur cette
belle et vaste conception (1). | |
Une vérité proclamée depuis long - temps. , non
contestée aujourd’hui mais qui. est loin d’avoir reçu
dans la pratique l’application qui lui ferait porter
ses fruits, c’est que les voies de communication, les.
routes, les chemins de fer et les canaux sont les pre-
miers élémens de la prospérité d’un pays.
Peut-être le plus grand honneur de notre époque
(4) Membres de la commission, MM. Raffeneau de Lite, direc-
teur des ports-et-chaussées ; bamarle, ingénieur; Harbaville, con-
seiller de préfecture; Larzillière, professeur de mathémaliques, et
Billet avocat.
— 126 —
doit-il être de traduire en réalité les principes posés
par les hommes avancés des autres siècles.
Nous savons ce qui peut nous rendre plus riches
et plus heureux ; nous serions sans excuses si nous
n'avions pas le sens et le courage de mettre en
œuvre les élémens d'amélioration sociale, que nous
avons sous la main.
Il est déplorablé de penser combien la France,
que son climat, sa position géographique, le carac-
tère de ses habitans appellent à tenir le premier rang.
dans la civilisation, est en arrière de plusieurs peu-
ples pour l'exploitation des richesses de tous genres.
qu’elle renferme dans son sein,
Le département du Pas-de-Calais ‘peut être cité
parmi les plus importans pour son agriculture et
l'abondance de ses produits.
Il prend chaque jour un essor remarquable sous.
le rapport industriel.
Cependant qu'on jette les yeux sur la carte de ce.
département, que l'on parcoure toute sa partie occi.
dentale dans un espace de 20 lieues, et l’on verra
combien de vastes plaines en culture, des masses.
profondes de bois, d'immenses marais sont privés.
de moyens faciles de communication avec les cen-
tres de consommation ou de commerce.
. Pour mieux juger du préjudice énorme qui en ré-
sulte pour la fortune publique comme pour les for-
tunes particulières, il suffit de comparer la valeur
vénale et le produit de toutes choses dans ces con-
trées ainsi isolées avec ce qu’elles sont dans ces ar-
— 1927 —
rondissemens limitrophes où les productions de Îa
terre s’écoulent facilement au dehors et se trans:
portent à peu de frais là où elles trouvent des ache-
teurs et des capitaux.
Pour favoriser l'essor de l'industrie agricole dans
un pays, les routes, quelleque soit leur utilité, sont
un moyen insuflisant.
Excellentes pour les rapports et les communica-
tions, à petites distances, elles entraînent des frais
énormes quand il y a de longs trajets à parcourir
ou des masses considérables à transporter, tels que
matériaux, combustibles, engrais.
_ Les routes ne sont aussi, en général, si onéreuses
pour les transports que parce qu'elles sont mal tra-
cées ct encore plus mal entretenues.
Il est évident que si elles n’avaient que des pentes
faibles et que les chaussées fussent suffisamment ré-
sistantes, les vitesses seraient accrues considérable-
. ment et les poids transportés, doubles et triples.
Les canaux ont donc sur les routes une supério-
rité bien marquée,
Eux seuls peuvent facilement lier les extrémités
d’une contrée au centre et répandre la vie et la ri-
chesse sur d'immenses surfaces,
C'est un canal qui manque à cette vaste portion
de notre département qui s'étend depuis Arras jus-
qu'à la mer. — C’est la réalisation de ce canal de-
puis long-lemps projeté que nous demandons à la
sollicitude d’une bonne administration départemen-
lale, |
— 128 —
Hätons-nous dé dire qu'indépendamment des con-
sidéralions générales que nous venons de ‘faire va-
loir, le canal d'Arras à la mer présenterait pour le
département un avantage tout particulier, celui de
lier son chef-lieu, Arras, le centre du Pas-de-Calais,
avec la mer et d’assurer à une ville de notre dépar-
tement, Boulogne, dont l’importance s’accroit tous
les jours , une communication avec l’intérieur qui
Jui ouvrirait, comme à Arras, un magnifique ave-
nir commercial.
L'idée première d’un canal d'Arras à la mer, ap-
partient à un homme dont le nom seul est une ga- .
rantie et qui consacrait son génie, non pas seule-
ment à environner son pays de formidables boule-
vards, mais encore à rechercher toutes les sources de
prospérités qu'il renfermait.
C'est Vauban qui étudia le projet de la canalisa-
. tion de la Canche, et les Etats d'Artois, aidés de quel-
ques sommes que Louis XIV leur accorda, donnè-
rent un commencement d'exécution à ce projet, en
nettoyant l'embouchure de cette rivière depuis Eta.
ples jusqu'à Montreuil.
Montreuil reçut alors sous ses murs des vaisseaux
d'un tonnage assez élevé, et on voit encore aujour-
d’hui les radiers de quelques unes des écluses qui ont
été construites sous Vauban pour rendre la Canche
navigable depuis Montreuil jusqu’à Hesdin. La pre-
mière était placée à l'entrée du marais du Bouquin,
un autre à Brimeux , une troisième à Beaurainville,
etenfin un quatrième à Marconnelle, près Hesdin.
— 1929 —
Vers le milieu du dernier siècle, en 1765, un mié-
moire fut présenté aux Etats d'Artois par M. Linguct,
avocat célèbre, qui s occupait aussi d'économie pu-
blique; et qui signala la canalisation de la Canche
comme un moyen assuré d'augmenter la prospérité
de l’Artois.
Avant de publiér son mémoire, M. Linguet vou-
dut conüaître la vallée dont il allait parler, et c’est à
cette fin qu'il vint s'établir avec des ingénieurs à
Estruval; près Hesdin, chez M. de Salpervick, d’où
il se rendait dans la vallée de la Ganche, pour y
prendre des nivellemens et y faire des études sur le
terrain.
D'autres préoctupations et le vague qui régnait
daris les moyens d'exécution indiqués firent qu’on
ne donna aucune suile aux vues de cet économiste,
Après le grand mouvement révolutionnaire, en
l'an 5, le gouvernement, dont l'attention avait été
appelée sur ce point par l’administration munici-
pale de Montreuil, qui, à toutes les époques, a
compté dans ses rangs des hommes éclairés, ordonna
que le projet d'un canal d'Arras à Etaples par la
vallée de la Canche, de la Ternoise ct de la Scarpe fût
étudié. |
En 1797, M. De Grandclas, ingénieur en chef des
ponts-et-chaussées du département du Pas-de-Calais,
examina la demande de la municipalité de Montreuil
et en émettant l'opinion que la jonction de la Ter-
noise avec la Scarpe présenterait de graves obstacles,
il déclara qu'il fallait s’attacher à la direction par le
17.
— 130 —
Gy et la Canche en passant par Aresnes-le-Comte et
Frévent. |
En 1798, un citoyen, connu par la multiplicité
de ses entreprises, M. Leflon, d'Hesdin, soumit à
l'administration du département un projet dont le
but principal était de canaliser la Canche depuis Eta-
ples jusqu'a Hesdin.
À celte époque, M. Leflon assurait que d’Etaples
jusqu'à Montreuil la Canche était presque navigable,
que parmi les faibles travaux qu’elle exigerait on
devait principalement compter la disparition des
trois sinuosités du bac d’Attin, de Beutin et d’E.:-
nocq; que de Montreuil à Brimeux la rivière de
GCanche était encore navigable, qu’ainsi il n’y avait
récllement à canaliser que l’espace de cette rivière
compris entre Brimeux et Hesdin, en faisant ce bout
de canal à neuf jusque sous les forüfications de cette
ville. |
La demande de M. Leflon à laquelle s’'associa la
municipalité d'Hesdin qui alors, comme depuis, a
toujours manifesté l'intention de s'imposer des sa-
crifices pour l’établissement d’une voie de navigation
entre Arras et la mer, soit par le Gy uni a la Canche,
soit par la Ternoise réunie a la Scarpe. Cette demande,
disons-nous , fut encore communiquée à M. l’ingé-
nieur en chef De Grandelas, qui proposa au gouver-
‘nement :
1° D'accorder un crédit de 6,000 fr. pour qu'on
püt se livrer à des opérations préliminaires, comme
levée de plan, sondages, nivellement, etc., etc.
— 131 —
2° Que ce crédit obtenu, des ordres seraient
donnés à MM. les ingénieurs pour examiner le ter-
rain et faire des rapports détaillés au soerne
ment (1). |
En 1799 le conseil municipal de St.-Pol voulant.
démontrer la possibilité d'établir le canal d'Arras à
La mer en passant par St.-Pol. en opérant la jonction
des sources de la Scarpe à celles de la Ternoise, en fit
dresser le plan par M. Branquart, géomètre aussi
modeste qu'’instruit. |
Aujourd’hui que l'attention publique a été fixée
de nouveau sur la création d’un canal d'Arras à
Boulogne, que d'un autre côté les ingénieurs qui
jusqu'à présent se sont expliqués sur la meilleure
direction à donner à ce canal, ont signalé la jonc-
tion du Gy à la Canche par Avesnes-le-Comte et Fre-
vent, comme étant la ligne à suivre qui présentait le
moins d'obstacles, nous considérons comme un de-
voir de notre part, de reproduire ici en abrégé, mais
avec exactitude, ce qui a été exposé en 1799 dans
l'intérêt de St.-Pal.
Nous parlerons aussi des délibérations prises par
: l'autorité municipale de cette ville qui, en 1820 et
1835, combat la préférence accordée par M. Martin
à la direction du capal par Avesnes-le-Comte et Fré-
vent. | |
D'après M. Branquart, la portion de la Scarpe,
(t) Le couseil municipal d'Hesdin a encere pris récemment,
une délibération relative à l'établissement d'un canal sur la pro-
position de, M. T'évonane, notaire, l'un de ses membres.
— 132 —
rivière qui prend sa source à Vandelicourt et qui
coule jusqu’à Louez ou elle reçoit le Gy, pourrait re:
fluer vers St-Pol en baïissant son lit en raison de la
pente qu’on aurait besoin de lui donner pour obli-
ger l'eau à prendre son eours de ce côté, au moyen
d’une éeluse qu’il faudrait poser à ce point de jonc-
tion, les bateaux pourraïent’aller vers Arras sur les
_eaux qui passent à Louez et vers St.-Pol, sur la partie
de la Scarpe qui passe à Aubigny, Savi, traversant
la route d'Arras à St.-Pol au pont de Berlette, en se
dirigeant ensuite sur Vandelicourt. |
De ce village, ajoute M. Branquart, le canal pro-
jeté couperaît de nouveau la mème grande route
vis-à-vis Bethencourt, passerait derrière Tinques et
Tinquette, allant à Roellecourt, où après avoir aussi
traversé la grande route, il irait se réunir aux eaux
de la Ternoise, rivière qui aujourd'hui prend sa
source à St-Michel, contre les murailles du château
de St.-Martin, d’où il se dirigeait sur St.-Pol pour
de là en suivant le cours de la Ternoïse joindre la
Canche sous Hesdin en passant par Anvin et Auchy-
lez-Moines. |
Telle est l'analyse du projet de M. Branquart, on
voit de suite qu’il n'indique aucune difficulté pour
opérer la jonction des sources de la Scarpe à celles
de la Ternoise ; cependant M. De Grandclas avait
dit avant lui : |
« La Ternoise coule dans la Ganche et court avec
» cette rivière à l’ouest. La Scarpe court à l'est. Les
» sources des deux rivières sont adossées et diver-
— 133 —
» gent. L'élévation qui les sépare peut être de 26 à
» 50 mètres. L’ascension et la descension des ba-
» teaux demandera plusieurs écluses qui, avec celles
» intermédiaires entre ce point de départ et les
» points d'arrivée comprendront bien des chütes,
» pour racheter la hauteur totale ! La Ternoise et la
» Scarpe étant prises à leur source, ne fourniront
» pas assez d'eau pour la navigation au départ du
» partage, et même assez loin au-delà, conséquem-
» ment il faut qu'on se procure un volume d’eau
» suflisant pour alimenter ce point. Le trouvera-t-
» on? Il est permis d’en douter. »
En 1805, M. Rossignol, ancien officier de la
marine, commandant le Vigilant, présenta à M. le
préfet du Pas-de-Calais, par l’entremise de M. Eude,
homme illettré, qui n’était dirigé que par un sens
droit, un projet de navigation d'Arras à Etaples
par la Ganche en opérant la jonction des sources de
cette rivière avec celles du Gy. | |
Le projet de M. Rossignol nous parait avoir une
grande importance, car pour opérer la jonction
proposée il ne dit pas comme M. Martin l’a écrit
plus tard, en 1820 et 1821, qu'il soit indispensa-
ble d'établir un canal souterrain de Noyelle-Vion
à Barlencourt pour réunir les sources du Gy à celles
de la Canche. |
M. Rossignol déclare au contraire, que le point
le plus élevé, à Avesnes-le-Comte ,"ne l’est que de
26 mètres au-dessus des sources de la, Scarpe ct
de 34 mètres au-dessus de celles de la Canche.
| — 194 —
Pour franchir ce point culminant, voici le moyen.
qu'il indique.
Le Gy, dit-il, prend sa source au marais de.
Noyelle-Vion, à côté de la route départementale
n° 11, d'Arras à Auxi-le-Château fx).
Au marais de Noyelle, on remarque en se diri-.
geant d'Arras sur Avesnes-le - Comte, qu’on laisse.
un peu à main droite, un vaste et large vallon qui
s'étend au-delà d'Avesnes où il est traversé par la.
route départementale,
Ce vallon est mdiqué dans l'excellente carte de
Cassini, et s'étend jusque sur le territoire de Bla-
vincourt et même au-delà (2).
Entre Avesnes-le-Comte et le bois Amanri, il
existe une élévation de terrein qui n’est que de
34 à 26 mètres au-dessus des sources de la Can-
che et dont la _——. ne saurait excéder 1309
pieds.
Pour avoir une connaissance exacte du bon
désigné par M. Rossignol, on peut consulter le
plan dressé par lui et qui est déposé aux archives
du département , ainsi que le’ profil développé de-
puis Arras jusqu’à Frévent , sans jamais oublier que
les sources de la Canche sont plus élevées que celles
du Gy.
(4) Il auraitmême pu diresur le territoire d'Avesnes-le- Comte.
(2) Noas avons cependant entendu dire il y a peu de tems, par
M. de St.-Pol, maréchal-de-camp du génie en retraite, à Barly,
que sur ce polnt la caite de Cassini n'était pas d'anc exactitude
parfaite.
— 135 —
D'après le tracé de M. Rossignol, on pourrait
au moyen d’une écluse placée à Berlencourt et une
autre construite aux sources du Gy, soutenir l’eau
en équilibre à la jonction de ces deux rivières ;
et quand ce canal serait percé à sa profondeur, il
s'y trouverait des sources qui produiraient assez
d’eau pour entretenir son lit à une hauteur conve-
nable; cette eau se trouvant à peu près au niveau
des puits d’Avesnes-le-Comte.
Le sol est d’argile et de pierre blanche.
Enfin d'Arras jusqu’à près d’'Avesnes il n’y a
qu’à élargir la rivière du Gy en y faisant des digues
comme aux aufres rivières ou canaux navigables,
- ainsi que depuis Dénier jusqu’à FRISRl et de Fré-
vent à Etaples (1).
M. de Grandclas a examiné le projet de M. Ros-
signol, et il déclare que comme homme de l’art il
Jui semblait. — 1° Que ses plans et nivellement
n'offraient pas assez de certitude pour qu'il pût
donner un avis. 2° Qu'ils lui paraissent impar-
faits. 3° Que des ingénieurs seulement peuvent être
crus en fait de nivellement , parceque par état leur
honneur est attaché à la justesse de ces observations.
M. De Grandclas ajoute, que, d’après le projet
de M. Rossignol, les sources de la Canche et de la
Scarpe ne paraissent différencier de niveau que de
deux mètres ; avec cet avantage, que la différence, en
plus , se trouve du côté de la Canche; qu'il paraîtrait
(4) Un canal latéral dispenserait de l'acquisition des nsines
établies sur la rivière.
— 136 —
aussi qu’au point culminant, le côteau qui sépare les
scurces adossées du Gy et de la Ganche, n’oblige-
rait qu’à un déblai de 24 à 26 mètres, disposition
locale qui faciliterait extrêmement le travail du point
de partage (1).
On comprendra donc de quelle nportinees il
est de vérifier la mise en fait de M, Rossignol qui
est d'accord avec beaucoup de renseignemens que
nous avons obtenus de plusieurs citoyens honora-
bles du canton d’Avesnes-le-Comte. |
On désirerait que la direction indiquée par lui
füt étudiée, et dût-on faire un canal souterrain pour
franchir le point culminant qu'il indique comime
n'étant que de 1,300 pieds de long, on aperçoit de
suite l'économie immense que ce projet présente-
rait dans son exécution si of le compare surtout à
celui de M. Martin dont nous allons parler dans un
instant, et qui comprend dans son développement
un souterrain de 8,900 mètres pour jomdre les
sources du Gy à celles de la Canche (2).
L'avant dernier projet proposé pour établir un ca-
pal d'Arras àla mer émane de M. Legressier, qui, en
(t} On nous assure même qu'en éloignant à une très-petite
distance d'Avesnes la ligne tracée par M. Rossignol, le point cal-
minant disparaît entièrement. Cela demando à être vérifié.
(2) Nous avons vu il y a peu de jours M. Rossignol, et il nous
a déclaré qu'il procurerait sur la canalisation de la Canche et
les travaux de jonclion des sources de cette rivière à celles du
Gy, les documens qu'il possède.
— 137 —:
1780, époque à laquelle il se présenta au gouver-
nement habitait Montreuil.
M. Legressier, adoptant le tracé de M. Rossignol,
divisait ce canal en quatre parties, la première de-
puis l’emibouchure de la Ganche jusqu’à Montreuil,
la deuxième de Montreuil à Hesdin, la troisième
d'Hesdin jusqu’à Frévent, la quatrième de Frévent
à Arras,
Le but de M. Legressier, en présentant sor pro-
jet au gouvernement était d'en obtenir une con-
cession.
Déjà même de nombreux actionnaires s'étaient
réunis, parmi lesquels figuraient les hommes les
plus honorables de l’arrondissement de Montreuil.
Les sociétaires avaient obtenu la coopération des
généraux Marmont et Mortier qui s'étaient rangés
parmi les souscripteurs. Ces actionnaires souscrip-
teurs avaient reçu les encouragemens de tous les
hommes éclairés de notre département, notamment
de M. Courtalon, ingénieur des ponts-et-chaussées, -
et de M. Noïzet de St.-Pol, alors colonel du génie,
et qui aujourd’hui, malgré son grand âge, s'occupe
‘encore d'économie publique dans sa retraite de
Barly.
Arrivons au projet de M. Martin.
En 1821, cet ingénieur, dont les lumières éga-
laient le zèle pour le bien public était intimement
convaincu qu'on ne pouvait dôter le département
du Pas-de-Calais, d’un ouvrage d'art plus utile, que
le canal intérieur d'Arras à la mer.
48.
— 138 —
Il donna tous ses soins à l'étude de cette voie
de communication par eau, en la dirigeant par St.-
Pol ou par Avesnes-le-Gomte, double direction qui lui
était indiquée par la nature des lieux.
Si nous éprouvons un regret, c'est que M. Martin
ne se soit pas occupé du projet de jonction des
sources du Gy, à celles de la Canche, indiquée en
1805, par M. Rossignol, afin de reconnaître si ce
projet était d’une exécution aussi facile qu’on se
plait à le dire généralement.
Ce point était d'autant plus utile à examiner,
qu’il est en ce moment certain pour ceux qui pen-
sent que la direction du canal projeié par la Can-
che et le Gy est préférable à celle par la Scarpe et
la Ternoise, que le seul obstacle naturel, qui n’est
cependant pas insurmontable, que puisse rencon-
trer ce canal par Avesnes-le-Comte et Frévent, ne
consiste qu'à indiquer le moyen à employer pour
franchir le point culminant d’Avesnes-le-Comte, si-
gnalé par M. Rossignol, comme étant de 1300 pieds
environ , soit celui dont M. Martin parle dans le
rapport qu'il a adressé à M. le directeur général des
ponts - et - chaussées en 1820, et qui serait d’une
étendue de 8900 mètres. |
Les questions traitées par M. Martin sont au
nombre de quatre.
Elles forment un ensemble complet.
Nous les énoncerons successivement en indiquant
pour chacune d'elles, les solutions auxquelles M.
Martin est arrivé.
— 139 —
PREMIÈRE QUESTION.
Y a-t-il possibilité d'établir un canal d’ Arras
a Etaples.
Oui, l’on peut, en réunissant la Scarpe et la Can-
che, établir un canal d'Arras à Etaples et deux di-
rections se présentent, l’une par St.-Pol au moyen
de la Ternoise, l’autre par Avesnes-le-Comte et Fré-
vent au moyen du Gy.
La première de ces deux directions est vivement
réclamée par la ville de St.-Pol, — Dès 1820 son
conseil municipal, ainsi que nous l'avons dit plus
haut, connaissant les conclusions du rapport de M.
Martin qui écartait cette direction, l’a combattu :
et lout récemment encore , le 6 mai dernier, elle a
aussi fait publier une délibération motivée, dans
laquelle elle demande que si le projet d’un canal
d'Arras à Boulogne est adopté , sa direction par St-
Pol soit étudiée. Dans un instant nous présenterons
une courte analyse des observations faites par la
ville de St.-Pol en réponse à celles de M. Martin.
Mais poursuivons : |
La deuxième direction du canal projeté , c’est-à-
dire celle par Avesnes-le-Comte et Frévent est ré-
clamée d’une manière non moins vive par les habi-
tans de la vallée du Gy, du canton d’Avesnes-le-
Comte, et de toute la vallée d’Étrée-Wamin à à Hes-
din en passant par Frévent.
Pour opter entre ces deux directions, il suffit de
considérer d’une part l'étendue et l'élévation du plu-
— 140 —
teau qui sépare la Ternoise de la Scarpe, de l’autre
l'exiguité à toutes les époques des sources de ces
deux rivières,
On reconnait dès lors que la jonction de la Scarpe
et de la Ternoise, nécessiterait la construction d’un
canal souterrain sur quatre à cinq lieues de lon-
gueur.
La jonction du Gy etde la Canche ne peut égale-
ment être effectuée qu’au moyen d’un canal sou-
terrain, mais ce canal dirigé de Noyelle- Vion sur
Denier pourrait n'avoir que 8900 métres de lon-
gueur,
Il serait creusé dans un banc calcaire, tendre,
très-compacte et non sujet à s’effeuiller.
M. Martin, observe d’ailleurs que la profondeur
des puits ouverts dans la partie supérieure étant de
18 mètres, la couche d’eau qui les alimente se trouve
à 14 mètres 50 centimètres au-dessus de la source
la plus élevée de la couche, de telle sorte que l’exis-
tence de cette couche paraît trouver à la fois et l’im-
perméabilité du banc inférieur dans lequel serait
creusé le canal souterrain, et la possibilité d’ali-
menter ce canal sans recourir aux eaux de Ja Can-
che.
En conséquence, M. Martin, n'hésite pas à adop-
ter la direction par Avesnes-le-Comte et Frévent, et
regardant la Canche comme navigable dans son
propre lit, depuis Montreuil jusqu’à Etaples, il pro-
pose d'établir un canal souterrain de Denier à
— Ali —
Noyelle-Vion (1), de descendre par un canal latéral,
d’un côté la Canche depuis Didier jusqu’à Montreuil,
et de l’autre le Gy et la So depuis Noyelle-Vion
jusqu'à Arras. :
DEUXIÈME QUESTION.
Quels avantages pourrait-on retirer de l'établissement
du canal d'Arras à Etaples ?
Ces avantages dépendent d’une manière essen-
(4) La’ principale et peut-être la seule difficulté sérieuse que
rencontre l'exécution du canal d'Arras à Boulogne, est le pla-
teau ou terre plein qui se trouve entre la source de la Canche
et celle du Gy, c'est-à-dire entre les marais de Noyelle- ion, et
le village de Dénier. La distance intermédiaire n'excède pas
40,000 mêtres, et le point le plus élevé ou culminant au-dessus
des sources des deux rivières, est de 25 métres environ. Serait-il
besoin d'un canal souterrain ? On ne le croit pas. L'ouverture à
ciel ouvert n'aurait 25 mêtres qu'au point culminant, qui a peu
d'étendue; la rencontre du versant dans l'une et l'autre vallée,
dimiouerait progressivement cette profondeur, dont le canal de
St.-Quentin offreuu exemple avant de pénétrer dans le souterrain.
Deux écluses à Dénier et à Noyelle-Vion feraient refluer Îles eaux
destinées à alimenter cet intervalle, et l’on conçoit que la portion
du canal n'aurait d'autre cours que celui que lui imprimerait le
jeu de ces écluses. Il est néanmoins probable que le percementà,
une telle profondeur ferait découvrir des sources même au-des-
sus du niveau des deux rivières : on sait que presque toujours et
faute d'autres issues , les sources jaillissent au pied des côleaux.
C’est ainsi que les fontaines sont, dans certains endroits, d'un
grand secours au canal d'Aire à St.-Omer. La vérification de ces
données n'est pas difficile. En effet, des puits percés, dans le
terrain que doit traverser le canal, ferait canuaître d'ane ma-
nière bien certaine, la profondeur des déblais à opérer et le ni”
veau deslieux. — (Boulonnaise du 27 juin 1835.) |
— Ah —
tielle du commerce extérieur qui pourra s'établir
d'Arras à la mer par une ligne de 22 lieues de navi-
gation intérieure tandis qu'on en compte 48 par
Dunkerque. — Tout nous dit que pour la ville
d'Arras ces avantages seraient considérables, elle
servirait d'entrepôt pour les marchandises qui arri-
veraient de Boulogne, comme la ville de Lille sert
d'entrepôt à Dunkerque.On arriverait ainsi au canal
de la Sensée, puis au canal de St.-Quentin en ayant
16 licues de moins à parcourir.
À ces avantages principaux, il faut ajouter ceux
résultans de la plus value des propriétés riveraines
du dessèchement de la vallée comprise entre Hesdin
et Montreuil, et enfin l'exploitation de 8,000 hec-
tares de bois qui dépérissent faute de débouchés.
TROISIÈME QUESTION.
Quelle pourra être approximativement La dépense que le
canal exigerait ?
M. Martin estime que cette dieu s'élèvera à 5
millions en y comprenant les travaux à faire au port
d’Etapies pour un million, les indemnités de ter-
rain pour 636,000 fr., et la construction du canal
pour 903,000 francs.
Il réduit d’ailleurs cette somme à 4,500,000 fr,
en déduisant 500,000 pour la plus value des ma-
rais desséchés.
QUATRIÈME QUESTION.
Quel pourrait être le revenu du canal ?
L'établissement d’un canal ne saurait être envi-
— 113 —
sagé à part d'un ensemble général de navigation
dont le plus ordinairement il n'est qu’une ra-
mification. Souvent il existe entre les parties de
cet ensemble des relations qui sont essentielles :
ainsi l'ouverture d’une nouvelle communication
exerce une grande influence sur celles qui déjà exé-
cutées s’y rattachent soit directement , soit par l’in-
termédiaire d’une autre ligne.
Voilà pourquoi il est souvent difficile de prévoir
quelle sera la circulation qui s’établira sur un nou-
veau canal et d'apprécier la quotité du produit.
Pour évaluer le revenu du canal projeté, M. Martin
observe d'abord qu'il arrive annuellement à Arras
environ 600 bateaux (1) de 70 tonneaux chacun; re-
gardant ensuite Arras comme point de départ, et
_ Avesnes-le- Comte, Frévent, Hesdin, Montreuil et
Etaples comme constituant autant de dépôts où vien-
draient s’approvisionner les villages environnans.
De ces diverses considérations il conclut, eu égard
à la population respective de chacun de ces bourgs
ou villes qu’ils nécessiteraient annuellement l’arrivée
de 500 bateaux qui se répartiraient comme il suit:
Pour Avesnes-le-Comte. . . . . . 5o
Frévent . . . . . . . . ... 100
Hesdin, . . . . . . . . . . 150
Montreuil. . . . . ,. . . . . 160
Etaples . . . . . . . . . . 6o
Total. . . 520
EE
(4) Aujourd'hui il en arrive 800, sans y comprendre ceux
qu'on décharge depais Blangy jusqu'à Arras.
— Ah —
M. Martin estime d’ailleurs qu’enitre Arras et Eta-
ples, le commerce extérieur d'importation et d’ex-
portation aura ‘une importance “en à celle du
commerce intérieur.
Ceci posé, il suffit dans l’hypothèse d’une con-
cession, d'établir un droit de 0,06 par kilomètre et
par tonneau, pour que le concessionnaire puisse
réaliser chaque année 10 pour oo de bénéfice pour
rentrer dans ses capitaux aux termes de la conces-
sion, si la durée était fixée à 99 ans.
Ce droit de 6 centimes étant trop élevé à raison
de ceux établis sur les autres lignes navigables du
département, M. Martin propose de le réduire à 0,
03 ou 0, 04, et pour ne rien changer à la position du
cessionnaire, il pense qu’il y a lieu de mettre 1° à
la charge du gouvernement la dépense des indem-
nités évaluées à 636,000 fr.; 2° à la charge du dé-
partement et des villes intéressées, une somme de
2,000,000 fr. payable en 10 ans, moitié par ces
villes et moitié par le département.
Pour apprécier le mérite de ces conclusions et
juger en conséquence de la possibilité d'exécution
d'un canal d'Arras à Etaples, il ne faut pas perdre
de vue que le travail de M. Martin, que nous ve-
nons d'analyser avec exactitude, est le résultat d'une
étude spéciale faite par un homme de l’art.
Il faut observer en outre que cet habile ingénieur
attachait une grande importance à l'exécution de ce
projet de canalisation.
En envisageant la question sous ce double point
— 115 —
de vue on est naturellement conduit à supposer, 1°
qu'entre les diverses directions qui se présentaient,
M. Martin a choisi et déterminé la plus avantageuse;
2° que dans l’aperçu des dépenses et des recettes in-
diquées par approximation, cet ingénieur a pré-
senté les évaluations les plus favorables au projet.
Un examen plus approfondi de l’état des lieux et
du travail de M. Martin justifierait probablement
celte double supposition.
En effet, on conçoit d’abord qu’au moyen d’un
canal souterrain entre Noyelle - Vion et Dénier, on
évile la construction d’un nombre considérable d’é-
cluses.
On échappe en même temps à la nécessité de faire
remonter artificiellement jusqu’au point de partage
les eaux nécessaires à la navigation et qui devraient
être empruntées à la Canche : enfin on s'établit sur
un sol qui présente sous le rapport essentiel de l’im-
perméabilité, beaucoup plus de garanties que celui
existant à la surface sur les revers des côteaux.
L'autorité municipale de St.-Pol sentant com-
bien l'opinion d’un homme aussi instruit que M.
Martin, qui n’a rien jugé sams avoir examiné, pouvait
exercer d'influence sur la résolution que pourrait
prendre le gouvernement, quant à la direction à
donner au canal d'Arras à la mer en le faisant passer
par Avesnes-le -Comte et Frévent, s’est attachée à
combattre le rapport de M. l'ingénieur Martin.
En 1820 comme en 1835, la ville de St.-Pol a
soutenu que le canal présenterait plus de facilité
19.
— 116 —
dans son exécution par St.-Pol que par Avesnes-le-
Comte et Frévent, la ligne culminante à franchir
n'étant que d’un espace d'environ 1200 mètres, et
d’une élévation de 16 mètres au-dessus et au-des-
sous de Tincques, pour arriver au point du territoire
de cette commune entre Tinquette et le bois du Bar-
let d’où les eaux ont leur cours naturel vers St.-Pol.
Après avoir observé que la direction du canal en
projet par St.-Pol est la plus avantageuse pour le
département; que la Lys au-dessus de Verchins n’est
éloignée que de 5000 mètres du point de la Ternoise
au-dessus d’Anvin, et que dans la suite la prospérité
du département augmentant comme sa position et
l'industrie de ses habitans le font espérer, on pour-
rait former et réaliser le projet d'opérer la jonction
du canal d'Arras à Boulogne actuellement projeté
avec celui de St.-Omer.
Le conseil municipal de St.-Pol ajoute :
1° Que la ligne d'Arras à St.-Pol est plus directe
que celle par le Gy et la Canche qui se rapproche
du département de la Somme.
2° Que la vallée de Scarpe, et celles entre la Scarpe
et la Ternoise sont plus larges que celle du Gy, celle
à sec entre le Gy et la Canche et que la vallée de
Canche, de Berlencourt à Frévent.
3° Que, si M. Martin juge nécessaire de former
quatre réservoirs sur le seul point entre les sources
du Gy et celles de la Canche, deux et peut-être une
seule suffiront pour alimenter le canal entre les
sources de la Ternoise et celle de la Scarpe.
— 147 —
2° Que si d’après les calculs de M. Martin, la ligne
culminante à franchir du Gy à la Ganche exige des
travaux considérables et dispendieux, soit que l’on
construise le canal à ciel ouvert, soit qu'il aït lieu
souterrainement. La ligne culminante entre la Scarpe
et la Ternoise n’exigera au plus que deux écluses,
que la dépense ‘pour le déblai à ciel ouvert, n'est
pas considérable, vu le peu d’élévation et la lon-
gueur de cette ligne, qu’enfin la quantité de déblai
sera également peu considérable et n'embarassera
pas vu la largeur de la vallée.
5° Que, si M. l'ingénieur Martin appréhende que
le terrain sur lequel on devrait élever les eaux entre
la Canche et le Gy ne soit perméable et qu’ainsi on
ne puisse les retenir, cet inconvénient n'existe pas
sur la ligne culminante entre les sources de la
Scarpe et Tinquette, puisque des versans de ce der-
nier point, les eaux pluviales viennent inonder
St.-Pol lorsqu'il y a un orage un peu considérable.
Enfin le conseil municipal de cette ville entre
dans des développemens où il rappelle de nouveau
que St.-Pol est plus central qu AYeneprie Vonne et
Frévent. _
Nous dirons qu’en admettant les faits établis par
M. Martin, on reconnait :
1° Que la ligne à suivre pour l'ouverture d’un ca-
nal d'Arras à Etaples est celle indiquée par le cours
de la Scarpe, du Gy et de la Canche, le Gy et la
Canche étant réunis par un canal souterrain de
8,900 mètres entre Noyclle-Vion et Dénier,
— 118 —
9° Qu'’aux avantages commerciaux que produirait
l'ouverture du canal, se joindraient dans cette di-
rection ceux résultant non seulement du dessèche-
ment et de l'assainissement de la vallée comprise
entre Hesdin et Montreuil, mais encore d'immenses
améliorations pour la contrée entre Arras et Fré-
vent. |
3° Que les frais d'établissement seraient de
4,500,000 y compris un million pour la mise en
état de la baïe d’Etaples et déduction faite de 500,000
fr. à imputer sur la valeur des marrais desséchés.
4° Qu'en faisant participer à cette dépense le
gouvernement, le département, et les villes intéres-
sées pour une somme de 2,636,000 f. dont 636,000
fr. seraient payés par le gouvernement et le reste,
moitié par le département, moitié par ces villes, 1l
sufhrait d'un droit de o, 03 ou o, 04 par kilomètre
et par tonneau pour que le revenu du canal indem-
nisât complètement le concessionnaire chargé d’exé-
cuter les travaux à ses charges et périls.
Si l’on observe ensuite que les indemnités de ter-
rain ont été calculées par M. Martin, à raison de
2,000 fr. l’hectare, et que les sas, estimés chacun
30,000 fr. ne sont autre chose qu’une portion ordi-
naire du canal, fermée par deux portes d’écluse, ne
reconnaîtra-t-on pas d’une part que les terrains à
acquérir ont une valeur beaucoup plus élevée, et de
l’autre que la construction des sas en maçonnerie
peut ètre impérieusement commandée par la né-
cessité d'économiser l’eau ?
— 149 —
Qu'on ajoute à ces considérations celles des diffi-
cultés imprévues que peut offrir la construction du
canal souterrain évaluée seulement à 100,000 fr.,
par kilomètre, et ne sera-t-on pas forcé d'admettre
que ces diverses dépenses , comptées d'environ
2,500,000 fr., pourront en réalité s'élever à peu
près au double, c’est-à-dire à 5,000,000 fr.
Des détails plus précis et plus circonstanciés se-
raient sans doute indispensables pour établir rigou-
reusement l'importance du chiffre auquel nous ve-
nons d'arriver.
Quoiqu'il en soit, il paraîtra probable que les
prévisions de M. Martin en ce qui concerne les frais
de constructions, peuvent être dépassées, et pour
fortifier une opinion à cet égard, on peut invoquer
l'avis d’un des hommes les plus expérimentés que
possède le corps des ponts-et-chaussées ; nous vou-
lons parler de M. Gayant, auquel on doit les tra-
vaux du canal de St.-Quentin, qui, consulté sur la
possibilité d'exécuter le canal d'Arras à Etaples par
le Gy, la Scarpe et la Canche, évaluait la dépense à
huit millions (1).
(4) Pour arriver à une évaluation rapprochée du minimum de
dépense nous supposerons :
4° Qu'il s'agisse d'un canal de grande navigation qui doive ad-
meltre des bateaux de 5 mètres de largeur sur 40 de longueur.
2° Que ce canal soit établi latéralement aux rivières de la Can:-
che, da Gy et de la Scarpe dans l'intervalle d'Arras à Montreuil.
3° Que l'on puisse éviter la construction d'une partie souter-
raine et remonter , sans obstacle, jusqu’au point le moins élevé
du faite à franchir entre Noyelle-Vion et Dénier.
— 150 —
On a pu se convaincre par l'analyse à laquelle
nous venons de nous livrer de tous les projets rela-
tifs à l'établissement d’un canal d'Arras à la mer,
4° Enfin que ce point le moins élevé soit seulement à 26 mètres:
en contrenants des eaux du Gy prises à leur source.
Ces hypothèses sont suivant nous, les plus favorables qu'il soit
possible d'établir et cependant elle ne rédairait pas le chiffre de
ka dépense à moins de 8 ou 9 millions.
En effet, on aurait alors 309 hectares 17 ares de terrain à ac-
quérir, 2,887,880 mêtres cubes de terre à déblayer, et 52 écluses
à construire dont chacune auraïît 3 mêtres dechûte. Ces données,
résullant de nivellemens authentiques, ne peuvent pas être con-
testées.
Or, les terrains à acquérir ve coûteraient guère moins de
4,000 fr. l'hectare (lerme moyen) chaque mêtre cube de terre
ezigerait pour les fouilles et le transport uue dépense de 40 cen-
times au miuimum, et chaque écluse ne pourrait être bien établie
pour moins de 60,009 fr. |
Il viendrait donc:
4° Acquisition de terrain 309 hectares 17 cen-
tiares à 4,000 fr. l'hectare . . . . . . . . . 4,236,680 f.
2° Mouvement de terre 2,887,889 mètres .
cubes à 40c..,......... .. . . . .4,155,152
3° 52 écluses à raison de 60,000 fr. l'une. . 3,120,000:
À quoiil faut ajouter, lant pour 8 puntsà cons-
truire sous les routes royales et départementales
que pour des ponceaux sur les chemins vicinaux,
des aquédues, des contrefossés elc. . . . . . . 300,000
Ce qui denne an total de. . . . 5,8414,832 £.
Des
C'est à dire environ 6 et 4 10 — en réservant 1[40 pour les dé-
penses imprévues.
Si l'on obserse maintenant que ce chiffre ne comprend ab-
— 151 —
et notamment de l’étude qui en a été faite par M.
Martin, l'importance qu'on attache depuis un grand
nombre d'années dans notre département à voir
établir cette communication.
Mais depuis peu, l’idée de M. Martin, et de tous
ceux qui se sont occupés de cette grave question a
été agrandie , et la ville de Boulogne en réclamant
la continuation de ce canal depuis Etaples jusqu’à
son port a ouvert une perspective nouvelle à cette
grande entreprise (1).
Par là, non seulement, le canal aurait l’avantage
de vivifier par le commerce le pays qu'il traverse-
rait, mais il aiderait encore une ville dont les déve-
loppemens sont chaque jour progressifs à alteindre
à une prospérité dont on ne saurait assigner les li-
mites.
Boulogne, depuis quinze ans, est devenue une
ville d’une haute importance , le caravanserail de
l'Angleterre dans ses continuelles excursions sur le
continent.
Mais il lui manque pour décupler les avantages
de son port, pour entrer en rivalité avec Dunkerque
solument, que les travaux à exécuter d'Arras à Montreuil, ct que
la partie de la Scarpe située entre Arras et Douai, exigcrait pour
être mis eu rapport avec le nouveau canal une dépense de
6,000,008, on concevra de suite que fixer à 8 ou 9 millions le total
de la dépense dont il s’agit peut s'évaluer le plus bas possible.
(Note communiquée par M. l'ingénieur Lamarle).
(4) Proposition de M. Leroi-Mabille , à la société royale de
Boulogne.
| — 152 —
et le Hâvre un débouché, un canal qui mette ses
entrepôts en communication avec l'intérieur.
Ce canal, elle le trouverait, on doit l’espérer,
dans l'exécution de celui proposé depuis long-tems,
étudié par M. Martin, et dans la continuation des
travaux depuis la Canche jusqu’à la Liane.
Les lieux ont été vus, les niveaux consultés par
des hommes habiles, et, nulle part, ils n’ont ren-
contré, dit-on, de sérieux obstacles.
Une seule objection, mais capitale, il est vrai,
peut être faite sur tout l'ensemble du projet, c’est
celle de la dépense. |
Nous sommes disposés à reconnaître ce qu'il y a
toujours de hasardé dans de pareils calculs quant à
l'exactitude des chiffres, et il faudrait pour être à
l'abri d'erreurs graves, avoir pu se livrer à une étude
plus approfondie des travaux nécessaires, non seu-
lement pour la réalisation du projet de M. Martin, et
de ceux qui l’ont précédé, mais encore pour la con-
tinuation du canal depuis la Canche jusqu’à Bou-
logne.
Mais, dès à présent, ne pouvons-nous pas entre-
voir que la dépense serait couverte : 1° Par le pro-
duit du canal; 2° par la fécondation de tous les élé-
mens de richesse du pays qu’il traverserait !
Nous avons déjà des données précieuses sur les
produits, dans le travail de M. Martin, et quelques
indications dans les documens publiés avant lui.
Cet honorable citoyen a trouvé qu'il suflirait d’é-
tablir un droit de 6 cent. par kilomètre et par ton-
— 153 —
heau, pour que le concessionnaire püût réaliser
chaque année 10 pour oço de bénéfice et rentrer
dans ses capitaux au terme de la concession fixé à
99 ans. Il a même réduit ce droit au 4 c. Tous ces
calculs sont établis dans l'hypothèse d'une dépense
de 2 à 3 millions, dépense qui, selon nous, doit
s’accroître.
Pour atteindre ce résultat, M, Martin, suppose
l'arrivage annuel de 520 bateaux pour tout le pays
depuis Arras jusqu’à Etaples seulement. Ce nombre
est loin d’être exagéré ; il peut être considérable-
ment augmenté. |
D'abord il faut le compléter en tenant compte de
la prolongation du canal jusqu’à Boulogne, à tra-
vers un pays où les travaux d'art seraient moins
coûteux, le canal étant partout à ciel ouvert.
D'un autre côté, il faut bien reconnaitre que de-
puis 1821, époque à laquelle M. Martin a terminé
son travail, l’industrie et l’agriculture ont pris dans
notre département un essor remarquable; que pour
ne parler que d’une branche de commerce, celle de
la fabrication de sucre de betterave, elle seule pour
le transport des charbons, engrais, machines, formes
en terre cuite, ossemens pour la fabrication du noir
animal, sucre, matériaux de construction de toute
espèce, nécessiterait chaque année plusieurs cen-
taines de bateaux, puisqu'il n’est pas de fabrique
en ce genre qui ne consomme annuellement de
1,900 à 2,000 hectolitres de charbons, la charge de
: près de deux bateaux. |
20.
— 154 —
L'extension donnée à la fabrication des apparcils,
dans notre département même, la construction des
machines navales, influerait aussi beaucoup sur
l'importance des transports.
Enfin, ce n'est pas tant sur l’état actuel de l’in-
dustrie dans les contrées que le canal devrait par-
“courir, qu'il faut établir les calculs des produits,
que sur le degré de prospérité où elle arriverait in-
failliblement lorsqu'une voie de communication
‘par eau, son premier et son plus indispensable élé-
ment, lui aurait été donnée.
Pour s’établir dans une localité, l'industrie qui
ne prospère que par l'économie, veut avant tout
des transports faciles et peu dispendieux pour les
malières premières qu’elle absorbe, et pour les De
duits qu'elle a besoin d’écouler,
C'est ce qui explique la supériorité industrielle
des départemens sillonnés par de nombreux canaux,
notamment du département du Nord sur les traces
duquel le nôtre ne tarderait pas à marcher (1) dès
qu'une ligne de canaux aurait établi entre le centre
du département, la mer d’une part, et de l’autre le
bassin houiller de Mons, Anzin et Denain, une com-
‘munication prompte et économique.
Un canal, au reste, ne borne pas ses avantages à
favoriser l’extension du commerce et le développe-
ment de l’industrie ; il intéresse puissamment la
propriété elle-même, et celui d'Arras à Boulogne,
(4) Le développewent des canaux dans le département du
Nord, forme le 6° de la longueur totale des canaux de la France.
— 1955 —
dont nous nous occupons, mérite bien, sous ce
rapport, toute la sollicitude de l’administration dé-
partementale et des propriétaires territoriaux.
La réflexion et plus. encore l'expérience démon-
trent que la création de ce canal donnerait en peu
d'années une valeur double à des terres qui, fer-
tiles par elles-mêmes, ne sont cependant que fai-
blement productives, par plusieurs raisons qui tien-
gent au défaut de communication.
La rareté des engrais, une population faible, des
transports coûteux, l’absence de l’industrie et de
circulation, sont pour les régions centrales du dé-
partement du Pas-de-Calais, des causes de dépré-
ciations des propriétés.
Ces causes disparaîtraient en peu d’années si un
canal, venant traverser ces contrées, y amenait lout
ce qui leur manque, appelait sur ses bords l’indus-
trie et la populalion, y naturalisait les bonnes mé-
thodes de culture et le progrès agricole par la pers-
pective de débouchés certains et lucratifs. |
Nous pensons aussi que les propriétaires des ter-
rains avoisinant le canal projeté comprendraient
leur véritable intérêt , qu'ils sauraient souscrire
dans le présent à quelques sacrifices pour lesquels
un avenir prochain leur promettait d'amples dé-
dommagemens. Il ne faut pas croire que le com-
_merce, tout perfectionné qu'il est, soit à son der-
nier période. Combien ne reste-t-il pas encore de
moyens pour l’étendre!
— 156 —
La question dont on s ‘occupe depuis MH
a été celle des communications.
Sans doute qu'il y a encore opportunité d'en par: |
ler, car nous avons beaucoup à faire avant que toutes
nos communes rurales puissent être mises comme
elles doivent l'être, en relation avec nos routes
royales et départementales, |
Mais l'amélioration des routes de terre ne suffit
plus aux besoins nouveaux, il faut perfectionner le
lit de nos rivières, 1l faut canaliser celles qui en
sont susceptibles et y employer l’armée.
| L'emploi de l’armée aux travaux d'utilité publi-
que n’est plus aujourd'hui une question d'avenir,
elle est résolue par le gouvernement lui-même. La
lettre du 29 juillet dernier, de M. le général De-
jeon, commandant par intérim la 4° division mili-
taire , indique les travaux exécutés par les déta-
chemens des 3°, 4°, 36° régimens d'infanterie de
ligne, et du 11° léger aux routes stratégiques de St.-
Poix à St.-Berthevin et de Nantes à Ançenis. Ces tra-
vaux ont été couronnés des plus heureux succès.
L'académie d'Arras en mettant au concours de
1834 la question de l'emploi de l’armée aux travaux
d'utilité publique, n’a pas peu contribué à la faire
accueillir, en couronnant le bel ouvrage publié sur
cette importante matière, par un officier du génie,
M. Houbre, qui a long-temps habité l'Afrique, à
Oran et à Alger.
C’est au conseil général, et aux conseils munici-
paux du Pas-de-Calais, échos de la pensée publique,
— 157 —
que nous croyons devoir nous adresser aujourd'hui
pour qu’ils accordent tout leur intérêt à la création
du canal d’Arras à Boulogne.
Leur position acluelle circonscrite dans des ques-
tions d'intérêt matériel leur offre un large champ à
parcourir dans la carrière des améliorations.
C’est par des allocations de fonds distribués avec
_ discernement qu'ils faciliteraient une entreprise qui
répandrait la vie et la prospérité dans quatre des
arrondissemens de notre département.
Ils permettraient ainsi à l'arrondissement de Bou-
logue d’exploiter avantageusement ses richesses mi-
nérales, à celui de Montreuil, de rendre à la vallée
entre Hesdin et Montreuil, sa fécondité naturelle, à
l'arrondissement de St.-Pol d'exploiter ses bois et
d'améliorer la culture des terres, enfin à l’arrondis-
sement d'Arras de développer plus encore dans ses
belles plaines l’industrie agricole et manufacturière.
Nous croyons avoir établi dans ce rapport que la
dépense au minimum pour la création d’un canak
d'Arras à Boulogne, s’éleverait à la somme
de jé 4 à . + + + 8,500,000f.
“ses un intérêt à raison de 5 pour oo,
de. … + + + + 425,000 f,
à quoi il faut oué pour les dépenses d'entretien
annuel et le salaire des divers agens employés sur
le canal une somme d’au moins. . 75,000 f.
Le produit du canal devrait donc être
de. . ee + + à + | D00,000 f:
or, ce chiffre à raison d’un droit de 5 fr. 24 c. par
— 158 —
- tonneau pour le parcours d'Arras à Boulogne sup-
pose un mouvement de 154,321 tonneaux, ou de
2,205 bateaux de 70 tonneaux chacun.
Ïl resterait donc à savoir, si les relations com-
merciales qui s’établiront sur la ligne d’Arras à la
mer auront une si grande importance que celle
qu'on leur suppose.
Ceux qui sont le plus capables d'apprécier l'é-
tendue de ces relations sont sans contredit, MM. les
membres du conseil général et des conseils muni-
Cipaux à qui nous nous adressons.
Ici, nous terminons le rapport que nous avons été
chargé de faire. La création d’un canal d'Arras à
Boulogne méritait de fixer toute notre attention, de
faire naître loute notre sollicitude; nous savons que
l’un des moyens les plus puissans de lier entre eux
les deux points les plus éloignés de notre départe-
ment, Arras et Boulogne, est de contribuer à la ri-
chesse des arrondissemens qui se trouvent entre ces
deux cités; c’est de créer un canal qui servira à l’ar-
rivage des marchandises à leur destination, sans re-
courir aux transbordemens qui entraînent à la fois
leur détérioration, de la dépense, et une grande
perte de temps. |
En émettant le vœu qu’un canal existe désormais
entre Arras et Boulogne, en demandant au conseil
général et aux conseils municipaux de voter un cré-
dit en 1836 pour en étudier la direction, nous avons
voulu faciliter sans ostentation et surtout par le
concours de l'intérêt public et de l’intérèt privé la
— 159 —
réalisation d’un projet utile en écartant les obstacles
qui s’opposeraicnt à son exécution.
2° Toutefois, en raisonnant pour le cas où la dis-
tance à parcourir d'Arras à Boulogne, ne donnerait
pas lieu à une perception de droit de navigation
aussi élevé que celui que nous payons sur la ligne
des canaux d'Arras à Dunkerque et Calais, comme
il est indispensable dans toute grande entreprise de
se livrer à des travaux préléminaires à des essaïs pré-
paratoires, afin de ne pas compromettre les plus
graves intérêts. La commission a l’honneur de vous
proposer de demander au conseil général du Pas-
de-Calais, et aux conseils municipaux de plusieurs
de nos villes, de voter un crédit dans leur budget
de 1836.
Afin d'obtenir :
1° Qu'une étude soit faite par des ingénieurs pour l’é-
tablissement d'un canal d'Arras à Boulogne.
2° Que ces ingénieurs examinent les deux directions
par la réunion des sources du Gy à la Canckhe et de
la Scarpe à la Ternoise.
9° Qu'en ce qu concerne le point caiénat d’A-
vesnes-le-Comte, ils recherchent principalement , s'il ne
serait pas possible de suivre une autre direction que celle
souterraine de Noyelle-Vion à Berlencourt en suivant
la ligne tracée en 1805, par M. Rossignol, en y appor-
tant quelques améliorations, si cela est reconnu utile.
— EE —————
MANUEL
ÉLÉMENTALIRE D'AGRICULIUEE,
APPROPRIÉ
A LÉCONOMIE RURALE DU NORD DE LA FRANCE,
Par M. THIBAULT , membre résidant.
6!
L'agriculture est sans contredit, l’un des arts les
plus utiles à l’homme; et pourtant c’est celui pour
lequel il existe peut être le moins d’écrits propres à
en retracer les principes et les préceptes élémen-
taires à la jeunesse des campagnes. Ne soyons donc
pas surpris de la puissance de la routine sur leurs
esprits, puisqu'elle est leur seule règle. On ne sau-
rait trop redoubler d'efforts pour extirper ce qu’elle
peut avoir de contraire à l’améhoration des prati-
ques rurales ; mais ce n’est que par l'instruction
qu’on peut espérer de pouvoir parvenir à la com-
battre avec succès. Eclairer les jeunes adeptes en
agriculture, leur donner d’utiles conseils, mettré
à leur portée et offrir à leur méditation, les prin-
cipes et les préceptes élémentaires établis et avoués
par les auteurs les plus estimés en économie rurale.
Tel est l’objet et le but de cet ouvrage.
— 161 —
CHAPITRE !°,
DE LA CULTURE DES TERRES. .
Si
De la connaissance, du choix, et de l’examen des Terrains.
Le premier soin auquel doit se livrer un cultiva-
teur, c’est de s’étudier à bien connaître la nature du
terrain qu’il se propose de cultiver, de bien se pé-
nétrer de ses différentes qualités, et de ce qu'il peut
produire avec le plus de facilité et d’abondance, afin
de ne lui imposer que des plantes les plus appro-
priées à sa nature, et par conséquent les plus sus-
ceptibles de bien y fructifier. |
Les terres propres à la culture sont en général de
trois espèces : 1° Les terres argileuses, 2° les terres
sablonneuses, 3° les terres marneuses ou crayeuses.
On donne encore différentes dénominations aux
terres d’après leur qualité ; ainsi, on appelle terres
fortes, celle où l'argile domine et terres légères,
celles qui, étant principalement composées de sable
et de gravier, sont les plus susceptibles de se laisser
diviser et ameublir par le travail de la charrue, et
de donner un accès facile à l’infiltration des eaux
pluviales. Ces connaissances sont nécessaires et
utiles au cultivateur, mais il lui est fort facile de les
acquérir. Il lui suffit pour cela, de voir, d'examiner
et de toucher le terrain.
On parvient à modifier et à améliorer favorable-
ment une terre de qualité médiocre, par le mélange
et la combinaison qu’on en fait avec une autre terre
24.
— 162 —
dans de justes et sages proportions; ainsi, on don-
pera plus de fertihté à un sol argileux et compacte,
en y déposant des terres sablonneuses, qui, étant
naturellement sèches et friables, auront la propriété
de tempérer et de corriger l’état d'humidité natu-
relle de la substance argileuse. De même, cette
dernière substance répandue avec discernement sur
un terrain sablonneux, contribuera à lui donner et
à lui conserver un état de moiteur et d'humidité,
qui lui est nécessaire pour faciliter le travail de la
. végétation. |
La terre a besoin d’être retournée et délitée par
l'effet des labours et autres pratiques aratoires, parce
que de céttemanière la couche végétable, c’est-à-dire,
la partie de la terre qui est seule propre aux plantes
étant exposée à l'action de la chaleur, de l’air et de
la lumière peut se pénétrer plus facilement des prin-
cipes végétatifs que l’atmosphère lui fournit pour
servir à la nourriture et à l’accroissement des végé-
taux. Les météores ont en effet la vertu de diviser,
d’ameublir et de dilater la terre, mais ce n’est que
lorsqu'elle est remuée par le travail de la charrue
qu'ils peuvent exercer sur elle leur action fertilisante.
On peut donc considérer les labours comme un des
principaux amendements, qui, selon l'expression
des cuhivateurs, ont la propriété de mürir la terre.
6 2.
Des labours et autres travaux aratotres.
Le labourage est une des opérations les plus 1m-
— 163 —.
portantes de l’agriculture. Son action exerce la plus
grande influence sur la beauté des productions. On
ue saurait y donner trop de soins ni d'attention.
L'objet de cette opération est de diviser, d'ameu-
blir et de pulvériser la terre, de la renouveler en
ramenant à sa surface la couche végétale propre à la
production. Enfin de favoriser l'infiltration des prin-
cipes de fertilité, que l'air, le soleil, la rosée, la pluie
et les brouillards ne cessent d'y déposer comme des
agents vivifiants. nécessaires à la fécondation et au
développement des végétaux.
Ïl existe en matière de labourage plusieurs pra-
tiques vicieuses qu’il n’est pas inutile de signaler
pour d'autant mieux mettre à même de pouvoir les
éviter. |
Les labours ne doivent point en général être trop
multipliés ; ce serait surtout une erreur de les prodi-
guer sur les terres légères. Ces sortes de terrains en
exigent ordinairement fort peu et ceux qui leur con-
viennent plus particulièrement sont des labours su-
perficiels et peu profonds. Il ne faut pas oublier que
dans les terres de cette espèce. la. couche végétale est
souvent peu épaisse; on conçoit dès lors que, si les
Jlabours étaient trop profonds, il en résulterait que
la charrue ne ramènerait point à la surface du sol la
terre féconde et fertilisante, mais une terre, qui, n’é-
tant point propre à la végétation, exposeraitle champ
à tomber dans un état d’infertilité momentanée. Cet
inconvénient n’est point à craindre dans les terres
fortes et argilcuses où la croûte végétale est épaisse
— 164 —
et peut supporter des labours d'autant plus pro-
fonds , qu'ils servent à faire pour ainsi-dire, surna-
ger la bonne terre, celle qui est empreinte des sucs
et des principes végétalifs qu'y ont déposé les fu-
miefs.
® [n'y a pas, à dire vrai, de saison fixe pour effec-
tuer les labours ; on en voit quelque fois pratiquer
vers la fin de l'été, mais le plus souvent c’est en au-
tomne et au printemps. Les plus efficaces et les plus
ütiles sont sans contredit ceux qui sont faits immé.-
diatement après l'enlèvement de la récolte, lorsque
la terre fraîche encore est susceptible de bien s’a-
meublir et de mieux se diviser.
Le temps n’est pas non plus sans influence sur
l'efficacité des labours, il faut profiter d’un moment
de pluie pour travailler une terre sèche et sablon-
neuse afin de la pénétrer des principes d'humidité
dont elle a besoin. Par une raison contraire, une
terre imprégnée d’eau ne devrait, autant que possi-
ble , être manutentionnée que par un temps sec et
beau ; aussi est-il passé en proverbe que labour fait
à temps vaut un bon amendement.
‘l'est reconnu que les labours qui sont pratiqués
avant l’hivér ont plus de succès que ceux qui ne sont
faits qu’au printemps, par la vertu qu'ils ont de
rendre la terre plus meuble et plus friable et de l’a-
méliorer d’une manière sensible en la disposant à
pouvoir se pénétrer plus facilement des principes
fertilisants que lui procurent les pluies, le soleil, les
brouillards, la neige, et les gélées.
= 165 ==
* Il est à remarquer aussi, notamment en ce qui
concerne les terres fortes qui sont destinées à être
ensemencées en mars, que les labours qu'elles re-
coivent dans l’arrière-saison en facilitent singulière-
ment la culture au printemps et les rendent beau-
coup plus meubles et plus friables en ne leur lais-
sant d'humidité que ce dont elles peuvent avoir
besoin. | | | |
Quant au nombre des labours et hersages à effec-
tuer on ne peut indiquer de règle fixe à cet égard
— c’est à l'intelligence du cultivateur à y sappléer,
parce que cela varie selon l’état du terrain, du temps,
de la saison et encore d’après la nature de la plante ;
en effet, on sait que tel labour qui suflira à tel ter-
rain, ne suffira pas à tel autre, enfin que par sa
nature une terre pourra être convenablement dé-
foncée avec un seul labour, tandis qu'une autre ne
pourra quelque fois pas l'être assez au moyen de
plusieurs. Il est donc impossible de donner des rè-
gles fixes sur des choses qui sortent du domaine des
prévisions humaines; tout ce que l’on peut faire,
c'est de recommander la pratique de ce précepte de
sagesse et de prudence qui indique au cultivateur la
nécessité de donner tous les labours nécessaires
pour parvenir à rendre sa terre nette, bien légère,
bien unie, bien friable et bien divisée.
S 3.
Des principaux instruments propres à la culture
des terres.
Les instruments destinés et employés à la culture
— 166 —
proprement dite, sont de plusieurs sortes. Les uns
sont susceptibles de ne pouvoir être utilisés qu’à la
main pour la petite culture, tels sont la houe , la
bêche , la houette et le sarcloir; les autres ne peu-
vent fonctionner qu'avec le secours et à l’aide des
chevaux , tels sont principalement la charrue , vul-
gairement dite harelle, le binot, la herse, le rouloir
et le semoir. Tous ces instruments sont en général
assez connus à la campagne pour que nous puis-
sions nous dispenser d’en donner la description.
Lorsque le travail du labourage est terminé, on se
sert, pour donner la dernière préparation à la terre,
de la herse et du rouloir, qui sont employés pour.
briser les mottes, niveler la surface du terrain et y
maintenir mieux la semence, par la pression que la
terre en reçoit.
| CHAPITRE II.
DES AMENDEMENTS ET ENGRAIS.
S 1%,
Apperçu sur lutilité des engrais en général.
Amender et engraisser un terrain, c’est y répan-
dre des substances et des matières qui contiennent
des sels, des sucs et des principes nourriciers dont
les vertus fertilisantes contribuent à développer et à
accélérer la végétation des plantes. Les cultivateurs
ne doivent donc jamais négliger de pourvoir leurs
terres d'engrais analogues aux productions qu'ils se
proposent d’y recueillir. C’est en général la princi-
pale base de toute bonne culture.
— 107 —
Ce n’est point seulement sur les plantes que les
engrais agissent. Leur action s’exerce aussi sur la
terre par la vertu qu’ils ont d'en dissoudre les par-
ties graisseuses et onctueuses et de les rendre solu-
bles, c’est-à-dire , susceptibles de pouvoir s'unir et
se mêler avec l’eau. Ainsi, par la puissance des prin-
cipes que contiennent les engrais, une terre argil-
leuse et compacte, parviendra à se diviser et à s’a-
meublir, c’est-à-dire qu’elle se pulvérisera et ne
restera pas en masse. Les engrais redonnent aussi
à la terre plus de ton et d'énergie; ïls la soutien-
pent, l’améliorent et la rétablissent quand elle est
appauvrie ; enfin, ils ont la vertu de procurer aux
terrains arides un état de moiteur et d'humidité né-
cessaire et indispensable au succès de toute végéta-
tion. |
Pour tirer un parti avantageux des engrais, il faut
savoir les employer à propos et en temps convenable,
C’est un soin qui est important. Tel engrais qui est
répandu et dissiminé sur la terre à une époque où
l'état pluvieux et humide de l’atmosphère lui don-
nerait une puissante énergie, perdra la plus grande
partie de sa force et de ses effets, par un temps sec
et serein ou par son exposition à un soleil ardent
qui le desséchera.
Les engrais consistant en fumier, compots, urate
ou en toutes autres matières végétatives quelcon-
ques , ne sont pas les seuls agents de fertilisation,
puisque les faits et l'expérience démontrent que les
travaux du labourage et du hersage sont aussi à con-
— 168 —
sidérer comme de véritables amendements. Les la-
bours et les engrais sont donc, en agriculture , les
deux plus précieuses ressources dont le cultivateur
puisse faire usage pour améliorer ses champs, mais
il convient qu’il sache appliquer ses engrais conve-
nablement selon l’état, le besoin, la situation et les
diverses qualités de son terrain ; or, comme iln'ya
que lui qui puisse bien le connaitre et dès lors bien
apprécier ce qui peut le mieux lui convenir, on ne
peut lui tracer des règles précises et invariables à
cet égard. Tout ce que l'on peut faire, c’est de lui
apprendre qu'il est de principe en agriculture , de
considérer les engrais de bestiaux comme convena-
bles à toutes sortes de terrains, excepté les terres
pures sablonneuses et essentiellement arides, où ce
serait infructueusement et en pure perte qu'on les
emploierait. La raison en est que : les sables ne sont
que des molécules ou des parcelles très minimes des
pierres et que chaque grain formant lui-même, pour
une petite pierre, il est bien évident que
ainsi dire,
il n’en pourra jamais sortir au-
quoi que l’on fasse,
cune substance fécondante qui puisse être propre et
favorable à la végétation. |
IL est des cultivateurs qui sont dans l’usage d’en-
terrer profondément le fumier avec la charrue,
d'autres au contraire, se contentent de le répandre
sur la terre sans l’enfouir. L'une et l'autre de ces mé-
thodes sont également vicieuses. Le fumier enfoui trop
avanf dans la terre n’a plus d’air et se trouve par con-
séquent privé des influences atmosphériques, dont il
— 169 —
a besoin pour exercer son action sur les racines des
plantes. D'un autre côté, celui qui n’est répandu
que sur la superficie du sol manque d'humidité, et
se trouve exposé par l’action du soleil, à voir ses
principes végétatifs se volatiliser ets’évaporer sans
produire leur effet. Le procédé le plus avantageux
consiste donc à ne pas enchausser le fumier dans la
terre plus profondément que ne le sont les racines
des plantes, pour qu’il puisse toujours se trouver
en contact immédiat avec elles. Voilà le principe
le plus susceptible de bien utiliser les engrais et de
favoriser leur action, |
C'est une erreur de croire que le fumier est meil-
leur lorsqu'il est fort vieux et dans un état de pour-
riture complète. La trop grande fermentation qu'il
a été obligé de subir pour arriver à cet état de dé-
composition, lui a fait éprouver une trop grande
déperdition de principes végétatifs, pour qu'il puisse
être encore fertilisant. Toutefois, il ne faut pas non
plus, par un excès contraire, que le fumier soit
trop nouveau, car dans l’un comme dans l’autre cas,
il ne remplirait pas le but. Il importe, pour pouvoir
en tirer le parti le plus avantageux, d’en faire l’em-
ploi lorsqu'il est arrivé à un état de décomposition
mixte, qui est le seul convenable.
Il ne faut pas non plus perdre de vue que la sura-
bondance des engrais nuit souvent d’une manière
sensible à la production des végétaux; l'excès péche
en tout : ici comme dans toute autre chose. Le cul-
livateur qui croirait pouvoir recueillir une double
| 22.
— 170 —
récolte parce qu'il aurait doublé la dose de ses fu-
miers, se tromperait beaucoup. Il ne retirerait
qu’une moisson abondante en paille dont les épis
ne seraient que chétifs, maigres , allongés et peu
fournis en grains; il est doué important, pour éviter
cet inconvénient, de ne point trop prodiguer le fu-
mier et de n’en employer que la quantité nécessaire
. et suffisante aux besoins de la terre; c’est tout à la
fois un prineipe de bonne réussite, d'économie et
dé sage administration.
[ n’est pas moins important lorsque le fumier est
transporté sur le terrain, de ne pas mettre de retard
à le répandre et à l’enfouir à la profondeur néces-
saire, afin de ne pas s’exposer, en le laissant s’éva-
porer en pure perte, à lui voir perdre ses principes
tégétatifs les plus précieux.
Il est plusieurs sortes d'engrais, les uns qui ne
sont à proprement parler que des amendements, ne
contiennent pas de substances graisseuses et onc-
lueuses, et ne sont composés que de matières végé-
tales, d'où ils tirent leur dénomination d'amende-
ments végétaux. Les autres qui ne sont désignés que
sous le nom générique d'engrais, sont un composé
de substances animales produites par les déjections
et la litière des différents animaux domestiques atta-
chés à l'économie rurale. Nous ferons successive-
ment connaître les uns et les autres; mais avant
nous ne négligerons pas de faire remarquer que les
amendements végétaux ne conservent pas leur vertu
fécondante aussi long-temps que les engrais, parce
— 171 —
que ceux-ci contiennent plus de sels ct de parties
graisseuses que ceux-là. Toutefois, les amendements
végétaux ont une puissance beaucoup plus active,
et on ne peut mieux les caractériser qu’en disant
avec un auteur estimé en économie rurale, qu'ils
sont pour les terrains « ce que les liqueurs spiri-
» tueuses sont pour un homme robuste et phlegma-
» tique, un levain qui l'anime et fait circuler dans
» ses veines avec promptitude de nouveaux prin-
» cipes de vie, une énergie extraordinaire, une puis-
» sance jusqu'alors inconnue ; mais cette action ne
1
» dure pas. » |
6 2.
DES AMENDEMENTS VÉGÉTAUX.
I.
Des cendres et de la suie. nn
Toutes les espèces de cendres, soit qu’elles pro-
viennent de la cinération du bois, de la houille, ou
des débris des plantes et végétaux, tels que les tiges
d’œillettes, de colza ou autres, ont une vertu fertili-
sante, loréqu’elles sont répandues avec discernement
sur les terres que l’on veut amender. Elles exercent
notamment une action favorable sur les prairies ar-,
üficielles semées en trèfle. Les sels et les principes
qu’elles renferment, développés et rendus solubles
par l’action de la pluie et de l'humidité, çonvien-
nent parfaitement pour activer la végétation des œil-
Jettes, du chanvre, du colza, de l'orge, du froment
et des pommes de terre, elles sont ordinairement
— 172 —
employées avant les travaux préparätoires des se-
mailles, mais plus efficacement pour les récoltes de
mars que pour celles de saison. Elles ont pour les
terres fortes et compactes l’heureux effet d’en divi-
ser les molécules , de les rendre plus légères en les
ameublissant et en facilitant leur pulvérisation, de
manière qu'elles sont alors plus susceptibles de pou-
voir aspirer les influences atmosphériques. Elles re-
donnent de la chaleur et de l’énergie au sol en le
stimulant ; mais il ne faut pas les employer avee
trop d’abondance , car alors leur effet serait plus
nuisible qu’avantageux. Parmi les différentes espè-
ces de cendres, iln’en est pas qui produisent de plus
étonnants effets que celles qui proviennent des tour-
bes. Elles exercent, sur le sol où on les répand, une
vigueur de végétation étonnante qui surpasse tout ce
que l’on pourrait attendre du fumier le plus ac-
compli. Une lessive de ces cendres répandue après
l'hiver sur les blés qui ont souffert de ses atteintes,
ont le merveilleux effet de lui redonner du ton et de
le rétablir dans le meilleur état de végétation.
La suie a de même que les cendres la propriété
d’amender les terrains parce qu'elle contient des
substances huileuses et salées qui exercent une heu-
reuse influence sur les plantes. Toutefois il ne faut
s'en servir qu'avec prudence et précaution, parce
que son action étant très corrosive on s’exposerait à
les brûler et à les dessécher si on s’en servait en trop
grande quantité. Cet amendement est principale-
ment utile aux terrains qui sont disposés et destinés
— 173 —
à la production du trèfle, de l'orge , de l’avoine et
de la luzerne, mais il produirait un effet préjudi-
ciable, si on attendait pour le répandre que la plante
fut sortie de terre. C’est avant l’ensemencement de
la graine qu'il faut l'employer pour en retirer de
bons effets. Le moment de l'utiliser se présente or-
dinairement à la fin de l'hiver ou aux approches du
printemps.
IT.
Des sables et graviers.
Les graviers et les sables peuvent être employés
comme amendement sur les terres compactes, froi-
des et humides qui retiennent l’eau trop long-temps.
Elles opèrent sur ces sortes de terrains, l’heureux
effet d'en diviser les molécules, par conséquent de
les rendre solubles et dès lors de les ameublir en
facilitant l'infiltration du fluide aqueux dans l’inté-
rieur de la terre, elles y entretiennent aussi plus
long-temps l’action de la chaleur et par ce moyen,
elles ont k propriété, en ranimant pour ainsi-dire
le foyer de la végétation, d’en faciliter ou d’en accé-
lérer singulièrement le développement.
| III.
De la marne.
La marne, considérée comme amendement, pos-
sède aussi des propriétés fertilisantes qui ne sont
point indignes de l’attention du cultivateur. La marne
adoucit et réchauffe la terre, aussi est-elle partica-
lièrement profitable et favorable aux terrains froids
et humides en y facilitant l'infiltration des principes
de chaleur qu’elle y attire et dont l’action est si né-
cessaire à la végétation. La marne s’identifie facile-
ment au solet en s’y incorporant elle y produit d'heu-
reux résultats surtout à l'égard des prairies artifi-
cielles et des plantes fourragères et légumineuses.
La marne prédispose aussi favorablement le sol pour
la production des céréales; il suffit de la répandre
sur le sol en petit tas et de faciliter son action en la
broyant à l’aide de la herse à dents de fer et du rou-
loir; cette opération doit principalement se faire
dans la saison de l'automne afin de soumettre la
marne aux influences des gélées qui ont aussi l’effet
de contribuer, avec les neiges et les pluies, à en opé-
rer Ja division et la dissolution. +
On sait que la marne a la propriété d’enlever les |
tâches de graisse des étofles. Ses principes sont
donc d’aspirer les parties graisseuses et huileuses de
l'atmosphère pour les inculquer à la terre et con-
tribuer à sa fertilisation en en tempérant l'acidité.
IV.
De la chaux.
La chaux est aussi un amendement qui produit
les plus heureux effets sur les terrains compactes,
humides et froids, dont il tempère l'humidité; mais
il faut savoir en user avec un juste discernement, —
l’action de la chaux , qui n’est autre chose que la
marne calcinée, est fort dessiccative et ce serait s'ex-
poser à dessécher un terrain que de l'y employeren
— 175 —
trop grande quantité. Il en est de la chaux comme
de beaucoup de choses utiles dont l'emploi poussé à
l'excès devient préjudiciable. |
V.
Des tourteaux.
Les tourteaux d’œæillettes, de colza, de chanvre, de
lin , et d’autres plantes oléagineuses, étant réduits
en poudre et disséminés sur la terre, ont beaucoup
d'efficacité comme amendement et même comme
engrais , à cause des substances graisseuses et hui-
leuses qu’ils renferment. Ge précieux amendement
est apprécié à sa juste valeur dans le nord de la
France où il est fréquemment employé et mis en
usage par les cultivateurs qui l’estiment beaucoup
pour sa chaleur et pour les heureux effets qu'il pro-
duit. ; 7
VI.
Des résidus des plantes.
Les débris des végétaux, les feuilles des arbres, les
pailles des céréales, les tiges des plantes fourragères
et légumineuses, soit qu’on en tasse usage après les
avoir préalablement saturés de substances végéta-
tives ou déjectionnelles , soit qu’on les emploie au-
tremnent, ont la vertu, étant enfouis dans la terre,
de lui procurer par leur décomposition un véritable
amendement par la propriété que toutes ces ma-
tières ont d’alléger le terrain, de le rendre plus per-
méable, plus friable et par conséquent plus acces-
— 176 —
sible à l'action des principes fécondateurs que
l'air, le soleil et les pluies peuvent lui fournir,
$ 3.
DES ENGRAIS,
I.
Du fumier.
On désigne sous le nom de fumier proprement
dit, la litière des chevaux , vaches et autres animaux
domestiques, attachés à l’économie rurale, c’est le
meilleur et le plus estimé des engrais.
«Quelle que soit la base des fumiers, dit un auteur
» moderne qui a écrit sur l’agricullure, son mélange
» avec les déjections des animaux domestiques dé-
» termine bientôt une fermentation qui se manifeste
» par une vapeur ou espèce de fumée , d’où tout
» donne à penser que lui vient son nom de fumier,»
Les fumiers de bestiaux conviennent également
bien à tous les terrains. Toutefois il en est qui ont
une vertu particulière qui exerce plus ou moins d’ac-
tion et d'influence selon la nature des productions
ou des terrains auxquels on les applique. Aïnsi, pour
réchauffer et ranimer les terres froides et humides
où l’on cultive ordinairement le lin et le chanvre,
il sera plus utile d'employer le fumier de mouton
que celui de vaches, dont la fraîcheur , l’humidité
et l’onctuosité conviennent mieux aux terrains sa-
blonneux et arides: de mème le fumier de cheval
dont la paille de blé aura fourni la litière, et dont la
nourriture aura été composée d'avoine et de bon
— 177 —
foin, produira des effets plus merveilleux que tous
autres engrais sur les prairies argileuses dont il sti-
mulera la fertilité par sa chaleur active et vivifiante.
| IT.
Du parcage des moutons.
Le parcage des moutons sur un terrain, est un
mode d’amendement dorit les résultats sont des plus
satisfaisants. Il importe donc de l’employer, toutes
les fois que l’état de la saison, du temps ou de la
température ne s’y oppose pas. Il est en effet re-
connu que le fumier de ces animaux est des plus
énergiques et que sa vertu fertilisante l'emporte de
beaucoup sur celle des engrais produits par la litière
des bestiaux. Quant à la durée du parcage , c’est à
l'intelligence du cultivateur à la régler d’après l’état,
la nature, et les besoins de la terre ; on conçoit, qu’il
est impossible de tracer des règles fixes à cet égard,
cela varie du plus au moins selon les circonstances
particulières où l’on peut se trouver. Toutefois il
importe, lorsque le parc est levé et que le troupeau
a quitté définitivement le sol, de ne pas négliger d’y
faire effectuer de suite un labour pour donner à l’en-
grais les moyens, en pénétrant dans la terre , d’y
exercer plus efficacement son action ét surtout pour
ne pas s’exposer à en voir perdre les effets en le lais-
sant s’évaporer inutilement,
: III.
De la fiente des volatiles.
La fiente des volatiles, notamment celle des pi-
geons et des poules, est un engrais dont la puissance
23.
_— 178 —
et les effets sont depuis long-temps éprouvés et re-
connus. Cet engrais stimule particulièrement les
terrains froids et humides où il est répandu , en ÿ
déposant des principes de chaleur qui les raniment
et y ramènent la fécondité.
Le mode de préparation de cet engrais consiste à
neltoyer, chaque mois, les colombiers ou poul-
Jaillers et à réunir la fiente qu’on en retire en un tas
séparé des autres fumiers dansun coin de la cour et
à la laisser ainsi se reposer. Lorsque l’époque de s’en
servir est arrivée, ce qui a ordinairement lieu au prin-
temps, on réduit en poudre cette substance, qui est
alors moins compacte, et on la dissémine avec pru-
dence sur les prairies artificielles, les blés, les ver-
dures ou enfin sur les terres qui ont besoin d’être
fouettées par le stimulant et l'énergie de cet engrais.
[V.
Des urines.
Parmi les engrais dont la vertu est la plus active
et la plus fertilisante, on peut aussi ranger les urines
des hommes et des animaux. Combien, dès lors.
n’a-t-on pas à regretter de voir la plupart des cul-
tivateurs négliger le soin de les recueillir et perdre
ainsi, par leur incurie ou leur aveuglement, le moyen
d'augmenter la fertilité de leurs champs. On ne sau-
rait donc trop leur recommander d’imiter l’exemple
des Flamands et de la plupart des fermiers du nord
de la France qui, depuis très long-temps , ont la
louable habitude d'employer les urines comme en-
grais. La méthode dont ils se servent pour les uti-
— 179 —
liser, consiste à recueillir les matières déjectionnelles
dans des espèces de citerne et à les répandre ensuite
sur la terre où elles produisent un effet merveilleux
à cause du mucilage et de l'abondance des sels et
des propriétés fécondantes qu'elles contiennent. À
voir l'indifférence d’un grand nombre de cultiva-
teurs pour les engrais liquides, on serait presque
tenté de penser qu'ils n’en connaissent pas la puis-
_sance ni les bons effets. Cependant les faits sont là
pour leur en démontrer chaque jour les vertus ferti-
lisantes. Espérons donc que l’honneur des champs
ne sera pas toujours sourd à la voix de la raison et
que les préjugés de l'ignorance et de l’habitude , fi-
niront par disparaître pour faire place aux véritables
pratiques utiles établies et fondées sur les lumières et
l'expérience. NN
V.
Des composts.
On désigne ordinairement sous le nom générique
de composts des amas de substances et de matières
animales ou végétales amalgamées ensemble de ma-
nière à produire, par leur décomposition et leur fer-
mentation, un engrais particulier qui, par la com-
binaïson des différents principes qui le composent,
possède la vertu d'achever et d'accélérer le travail
de la nature pendant le phénomène de la végéta-
tion. |
Les fumiers manquent quelquefois aux cultiva-
teurs, et 1l arrive souvent que par suite de cette di-
sette d'engrais, la plupart de leurs champs n'étant
— 180 —
pas fumés ou ne l’étant pas suffisamment , ne don-
nent que des productions médiocres. Il faut le dire
avec vérité, si par fois les cultivateurs manquent des
engrais nécessaires, c’est souvent à eux-mêmes qu'ils
doivent en imputer la faute en laissant perdre, sans
en tirer parti, une foule d'ingrédients, qui, s'ils
étaient réunis en composts et combinés par couches
alternatives avec des fumiers de bestiaux, produi-
raient, par leur décomposition corrélative et par les
principes dont ils se pénétreraient réciproquement, :
un engrais excellent , dont l’énergie et les effets se-
raient, sans contredit, plus puissants et plus actifs
que si chacun de ces ingrédients était employé iso-
lément et séparément. l'expérience et les faits sont
encore là pour attester cette vérité.
Il y a différentes méthodes de préparer des com-
posts , nous nous bornerons à indiquer celle qui
nous paraît la plus simple et la plus facile. Elle con-
siste dans la pratique suivante : jeter dans un fossé
ou sur un terrain plat, un lit d'environ 4 à 5 pouces
d'épaisseur, couvrir immédiatement ce lit de fumier
par une couche égale de terre, d’immondices, de li-
mon ou autres matières végétatives. Arroser et im-
prégner Je tout avec des engrais liquides, tels que
l’eau savonneuse des lessives, l’eau des mares, ou
des urines d'hommes ou d'animaux. Saupoudrer lé-
gèrement chaque couche avec de la chaux éteinte ;
augmenter successivement le tas du compost en fai-
sant succéder alternativement à un lit de fumier une
couche d’autres substances animales ou végétales
d — 181 —
que l’on peut avoir à sa disposition , telles que la
terre , les boues et les balayures des rues des vil-
lages ou des chemins, les gazons, la vase et le limon
provenant du curement des fossés, ruisseaux, mares
ou étangs , les débris des animaux, les cendres, la
suie, la marne, les feuilles d'arbres, etc., recouvrir
la masse totale du compost avec une couche de terre
ou de gazon pour y maintenir d'autant mieux les
matières liquides , empêcher l’évaporation de leurs
principes volatils et entretenir la fermentation etla
décomposition des différentes matières combinées
ensemble. Telle est la manière d'obtenir un engrais
dont l’action et la puissance produisent sur les terres
d'étonnants et de magiques efféts.
Le temps pendant lequel les substances que l’on
fait entrer dans les composts doivent rester en tas
ayant d’être ulilisées, varie selon le plus ou le moins
de disposition à se décomposer et aussi selon que le
compost est plus ou moins volumineux, mais ordi-
nairement le temps nécessaire est en général de six
mois à un an.
CHAPITRE 3.
DES JACHÈRES.
| G 1°,
De la suppression des jachères et de leur remplacement
par des productions utiles.
hat ts
L'expression jachère, vient du mot latin jacere ,
qui signifie reposer, parce que l’on suppose que la
— 182 — °
terre , dans l’état de jachère , c’est-à-dire de non
production,-éprouve du repos et répare ses forces.
Aïnsi, d'après sa définition même, la Jjachère ser.
virait à laisser la terre improductive en repos. Etrange
abus des mots. En effet, la terre est-elle un être
animé suscepüble de lassitude et de fatigue, pour
avoir besoin de recouvrer dans le repos, des forces
épuisées par le travail ? Non, sans doute ; ce mot de
repos est donc ici une expression vide de sens que
le cultivateur applique par comparaison sans la com-
prendre. Il sait que son corps, harassé par un la-
beur pénible, a besoin d’une inaction momentanée
pour revenir à son état naturel, et il dit : « La terre
» travaille en produisant, il faut donc la laïsser re-
» poser si nous voulons qu’elle travaille de nouveau
» et produise encore. » Ce n’est point par lassitude
que le sol qui a produit du froment une année, n’en
fournit plus avec autant d’abondance l’année sui-
vante ; la cause ne vient point de là : elle provient
de ce que le sol ne contient plus assez de principes
végétatifs pour satisfaire aux besoins de la nouvelle
plante et que dès lors la terre éprouve la nécessité
de les recomposer; mais les principes nutritifs que
chaque plante soulève de la terre, ne sont point
identiques. — La plante qui a quitté le sol, n’a pu
attirer à elle que les sucs qui lui étaient propres,
sans altérer ceux qui lui étaient inutiles, et qui, par
cela même, peuvent convenir à une plante d’une
autre espèce. Eh bien, substituez-y cette plante à
qui ces principes fécondateurs conviendront ? Voilà
— 183 —
en quoi consiste toute la science qui doit conduire
le cultivateur à pouvoir s'affranchir ovec succès du
système des jachères,
La terre combat elle-même victorieusement le
système des jachères, puisqu'il est de vérité que mal-
gré l’état d'abandon où ce système la laisse, elle ne
produit pas moins une multitude de plantes vivaces
avec une abondance étonnante. Cela prouve donc
mieux que tous les raisonnements, que la terre ne
peut pas cesser de produire, et que, d’après le vœu
de la nature , il faut qu’elle produise continuelle-
ment et sans interruption; tout le secret, pour avoir
d’heureux résultats, consiste seulement à savoir har-
moniser les productions avec l’état, la nature et les
besoins du terrain. :
L'infertilité de la terre ne vient pas de la conti-
nuité des productions qu’on exige d'elle, mais des
procédés irréfléchis de culture auxquels on la sou-
met. Ce n’est donc point par l'effet d’une produc-
tion permanente et non interrompue, qu’elle cesse
à la fin de produire, mais par l’effet d’une culture
mal entendue, mal dirigée et mal appropriée. Ge
qui prouve que c’est une erreur de laisser la terre
en jachères, pour ne point la fatiguer par une suite
continuelle de productions, c’est que dans cet état
de jachères, la terre ne cesse pas un seul instant de
produire ; en effet, elle fait éclore spontanément des
herbes et des plantes parasites et gourmandes ; elle
produit done, elle ne cesse donc jamais de produire ;
il y a plus, c’est que ce que la terre produit alors
— 184 —
l’épuise davantage, parce que la nâture des plantes
sauvages est d’être plus voraces, plus funestes au
sol, par conséquent plus épuisantes que les plantes
cultivées. | ‘
-- Tn’y a point, il ne peut jamais y avoir réellement,
épuisement ou perte de forces pour la terre , par
l'effet seul de la production; mais plutôt absence
ou déperdition de sucs et de sels nécessaires à la vé-
gélation et à l'accroissement des plantes. Il suffit
donc de rendre au sol, par le moyen des travaux
aratoires et des engrais, les pertes qu’il a pu faire
sous ce rapport, pour lui restituer son état normal
de fécondité.
Ce n’est point à la nature seule qu’il convient dé
laisser le soin de réparer l’infécondité momentanée
de la terre , c’est aussi à l’homme qu'il appartient
principalemient d’y pourvoir au moyen des éngtais.
Il est incontestable que la culture alterne a des
avantages infinis et incontestables sur le système
des jachères; il suffit, pour s’en convaincre, de com-
parer l’état actuel des campagnes, dans les cantons
où cette culture est adoptée, avec celui où elles
étaient lorsque la pratique des jachères y était ob-
servée.
La suppression des jachères fournissant plus de
ressources pour assurer l'existence des animaux do-
mestiques attachés à l’économie rurale, donne la
faculté et les moyens d’en multiplier le nombre et
d'augmenter la masse des engrais, il y a donc source
inévitable de richesses pour le cultivateur.
— 185 —
On ne peut se dissimuler que depuis une cin-
quantaine d'années, il est entré dans le nouveau sys-
tème d’assolement introduit dans l’économie rurale,
une foule de plantes qui, auparavant, n'étaient point
livrées à la culture ; nul doute que l'introduction de
ces nouveaux végétaux n'exige une autre combinai-
son de culture que l’ancienne; par conséquent, de
puissants motifs de proscrire le système des ja
chères.
Intercaler avec réflexion et discernement dans
les assolements, des cultures sarclées , des prairies
artificielles, des plantes fourragères el améliorantes,
telle est la principale méthode à suivre pour tirer le
parti le plus avantageux du système de suppression
absolue des jachères. Tel est le seul moyen d'aug-
menter la masse des produits par la facilité que
celte méthode procure de pouvoir, par l'entretien
d’un plus grand nombre de bestiaux, mieux en-
graisser les terres et par conséquent les maintenir
dans un état perpétuel de fertilité et de fructifica-
tion. …
Maintenant que nous avons démontré que le pré-
tendu repos de la terre, est un mot vide de sens, un
préjugé aussi absurde quenuisible, faisonsdes vœux
pour voir accueillir partout avec faveur le système
de la suppression absolue des jachères. Faisons ces
vœux et dans l'intérêt des cultivateurs et dans celui
de l’agriculture elle-même, car elle ne fleurira réel-
lement en France que lorsque dans toutes les loca-
lités l'instruction et les lumières auront fait univer-
2h.
— 186 —
sellement adopter et mettre en pratique ce principe
fondamental de l’économie rurale, plus de jachères.
S 2.
Des modes d’assolement les plus avantageux dans la
succession des culiures qui excluent les jachères.
La principale étude d’un cultivateur doit avoirsans
cesse pour objet de n'adopter et de ne mettre en
pratique que les méthodes de culture, qui, joignant
la simplicité et la célérité des travaux à une sage
économie de temps et de dépenses, sont le plus sus-
ceptibles de lui fournir les productions tout à la fois
les plus utiles et les plus abondantes, |
Pour arriver à ce but, il importe de bien se péné-
trer de l’action que peuvent exercer sur le sol, les
différentes plantes qui lui sont soumises, et par con-
séquent, coordonner la succession des cultures de
manière à ce que la plante qui succède, trouve dans
les résidus délaissés sur le terrain, par la plante qui
l’a précédée, des éléments de fertilité et de fructi-
fication.
Il est essentiel aussi de combiner les travaux de
manière à ce qu’ils puissent être successivement faits
en temps utile sans confusion ni encombrement; |
enfin, d'éviter de faire arriver dans un même mo-
ment toutes les récoltes à la fois, afin de ne pas en
compromettre le succès.
Il est démontré, par des faits incontestables, que
la terre ne suffit pas seule pour donner la vie aux
plantes et entretenir leur végétation. L’atmosphère
— 187 —
est aussi la source où elles puisent les éléments né-
cessaires à leur existence. Ce qui le prouve , c’est
qu'une plante privée d’air et d'eau, périrait infaïlli-
blement desséchée sur sa tige. Les végétaux, em-
pruntent donc leurs principes élémentaires, tout à
la fois à la terre et à l’atmosphère. Ces emprunts,
ne sont pas dans une proportion égale , il est des
plantes qui puisent davantage dans l’atmosphère que
dans la terre , d’autres au contraire sont plus rede-
vables à la terre qu’à l’atmosphère.
Les plantes dont les feuilles sont larges, Doreubes
et herbacées, trouvent plus abondamment dans l’at-
mosphère les principes nutritifs nécessaires à leur
alimentation ; elles sont moins onéreuses à la terre
que celles dont les tiges serrées et les racines fi-
breuses et chevelues ont de nombreux points de con-
tact avec le sol et y puisent par conséquent davan-
age. |
Ce n’est point assez pour le cultivateur d’avoir,
par ses travaux et par ses soins, mis son terrain dans
" un état de netteté et d’ameublissement convenables, |
il n’est pas moins important qu’il combine ses cul-
tures, de manière à lui conserver ces précisuses qua-
lités. Il doit donc s'attacher, après une récolte épui-
sante et de nature à souiller le terrain, telle que
celle du froment, de l’avoine, de l'orge et du seigle,
à faire succéder des plantes, qui, par les sarclages
et les travaux annuels qu’elles exigent, soient sus-
ceptibles d’extirper du sol les germes et les racines
muisibles dont il a pu être souillé; on conçoit en
— 188 —
effet que si à des végétaux qui détériorent la terre,
on n'en faisait pas succéder. d'autres de nature à
l'améliorer, tels que des œillettes, des bette-
raves, des pommes de terre, des navets, etc., on
s’exposerait à n'avoir successivement que de ché-
tives récoltes, parce que les racines des plantes nui-
sibles ont la faculté de conserver long - temps leur
vertu végétative, I] importe donc de se conformer
aux meilleurs principes d'agriculture, en imitant
l'exemple des cultivateurs du nord de la France, qui
sont dans l’usage de faire succéder aux récoltes de
grains farineux, celles des fourrages et autres plantes
améliorantes, qui, par leur nature, exigent des sar-
clages et des manutentions dont l'effet est de dé-
foncer le terrain, de l'ameublir, de le nettoyer, en
un mot, de l’améliorer.
Une attention importante que doit avoir le culti-
vateur, c’est de ne pas faire succéder les mêmes vé-
gétaux sur le même terrain. Il faut donc éviter de
faire suivre, pendant deux ou plusieurs années de
suite , des plantes de mème espèce ; d'abord parce
que ces plantes ayant toujours besoin des mêmes
principes alimentaires, ne les y trouveraient plus
avec assez d’abondance, et que d’un autre côté, on
y verrait pulluler avec plus de force les msectes nui-
sibles qu’elles engendrent , tandis qu'au contraire,
la présence d’autres végétaux avec lesquels ils ne
pourraient sympathiser , les verrait bientôt dispa-
raître infailliblement.
L'expérience et les faits démontrent que les cé-
— 189 —
réales ou grains farineux, ont des racmes chevelues,
déliées et très rapprochées, qui, par leur contact
entr’elles, entreprennent toute la surface du sol et
en soutirent les principes nutritfs daris toutes ses
parties. Il n'en est pas de mème des végétaux à ra-
cines pivotentes, ceux-ci ne sont point adhérents
entr’eux, ni pour ainsi dire, attachés l’un à l’autre.
Il existe entre leurs intervalles des espaces libres qui
conservent leur engrais; d’ailleurs, l'isolement de
leur racme, l’espèce de labour qu’effectuent les di-
vers sarclages que leur culture exige, sont aussi des
causes qui contribuent puissarnment à neutraliser
l’épuisement dont la terre se ressent plus ou moins
dans la production des végétaux qui ne réclament
oint cette manutention. Leur végétation est active
et accélérée, elle est dès-lors peu onéreuse à la terre.
Toutes ces considérations ne laissent point de doute
sur les avantages incontestables que l’on obtent à
savoir intercaler judicieusement dans la culture des
plantes à racines fibreuses et déliées, telles que les
céréales, celle des végétaux à racines pivotanties, tels
que les œillettes, le colza, les warats, les betteraves
et autres de même espèce. Il ne faut pas non plus
perdre de vue qu’il est de principe, en économie ru-
rale, que les terrains unis et d’un travail facile, ad-
mettent préférablement la culture des plantes légu-
mineuses, fourragères et oléagineuses. De même que
les prairies artificielles conviennent mieux aux ter-
rains rebelles. - | e—
En résumé, les plantes qui offrent le plus d'avan-
— 190 —
tages pour entrer dans les assolements et remplacer,
avec profit et utilité, les ruineuses et improductives
jachères, sont principalement le trèfle, la betterave,
l'œillette, le sain-foin, la luzerne, les warats, les
pommes de terre, la camomille, le chanvre, le lin,
le colza. Au moyen de ces cultures, la campagne ne
présentera plus le triste spectacle de l’aridité et de
la nudité. La terre, constamment couverte de riches
moissons, offrira un aspect animé et riant, et le cul-
tivateur qui verra tout à la fois améliorer ses champs
et augmenter la masse de ses produits, rendra de
justes actions de grâces à la nature, qui ne laisse
jamais sans récompense sa constance, ses efforts et
ses utiles travaux,
CHAPITRE 4.
DE LA CULTURE DES GRAMINÉES:
6 1.*
Du ble ou froment.
La culture du froment réclame tous les soins du
cultivateur, à cause de son importance et de son uti-
lité pour la nourriture de l’homme. En général les
terres fortes bien préparées par des labours et des
hersages et convenablement pourvus de bons en-
grais, sont les plus favorables à la propagation de ce
grain de première nécessité ; maïs autant que ce vé-
gétal se plaît dans les terres substancielles et qui ont
de. la consistance, autant il redoute celles qui sont
trop meubles ou trop légères, et surtout qui ne sont
pas bien nettoyées. La netteté du sol étant une con-
dition essentielle pour la réussite de cette plante, il
— 191 —
importe de ne la faire succéder qu’à des cultures
amélicrantes et préparatoires, telles que celles des
plantes pivotantes ou des prairies artificielles. Ce
serait en effet s’exposer à compromettre le succès
d’une récolte en blé que de la faire suivre ou précé-
der par une culture de grains farineux.
On distingue ordinairement les froments en blé
de mars et de saison, les premiers se sèment au prin
temps et les autres en automne. Ceux qui sont con-
fiés à la terre dans cette dernière saison donnent en
général des produits avantageux et des épis abon-
dants en grain, lorsque la semaison a été faite de
bonne heure sur un terrain propice et par un temps
favorable. La récolte en est aussi beaucoup plus pré-
coce; de là le proverbe : plus tôten terre, plus tôt
hors de terre. |
Le choix de la semence n’est pas sans influence
sur le succès des récoltes ; il importe de n’employer
que des grains bien mûrs et de bonne qualité, comme
cela est d'usage chez les cultivateurs éclairés et pru-
dents, de renouveler successivement les semences et
surlout de les purger de toutes autres semences
étrangères et nuisibles. On parvient à ce résultat en
bien préparant les semences et en les soumettant à
l'opération du chaulage, qui a pour objet non seu-
lement de préserver les grains des effets de la carie,
de la rouille ou du charbon, mais encore de faire
périr les germes d'insectes qui pourraient y être at-
tachés.
La méthode d’ensemencement la plus usitée dans
— 192 —
le nord de la France, est celle qui se fait à la volée.
Il est essentiel*de bien éparpiller la semence et d’a:
voir soin de la disséminer sut le terrain le plus éga:
lement possible. Dès que l'ensemencement est opéré,
il convient de faire passer la herse sur le terrain,
afin de raffermir la terre, et de bien y enchausser le
grain. C’est pour le blé comme pour toutes les autres
plantes, le complément nécessaire de l’ensemen-
cement.
| $ 5.
Du seigle et du méteil.
Le seigle peut être considéré commie tenant rang
immédiatement après le blé parmi les grains fari-
neux destinés à la nourriture de l’homme. Sa tige
s'élève souvent à une hauteur de 5 à 6 pieds, ses épis
et ses grains sont plus longs, plus minces et PE eff.
lès que ceux du froment, |
Cette plante, dont les tuyaux sont plus déliés et
plus flexibles que ceux des autres graminées, est
d’une végétalion active et accélérée. Tous les terrains,
même les plus ingrats et les plus arides, lui convien-
nent, et on la voit fructifier avec succès sur des sols
de médiocre qualité. :
Le seigle, parvenant à son état de maturité beau-
coup plus promptement que les autres grains, ne
redoute pas autant l'influence préjudiciable des
chaleurs ou des grandes sécheresses de même qu'il
résiste à un dégré d'intensité de froid qu'ils ne
pour raient pas supporter. 3
‘La culture du seigle a la plus grande M
— 193 —
avec celle du froment ; comme il a besoin d’une
terre préalablement préparée par des labours et
amendée par des engrais, deux labours peuvent or-
dinairement lui suffire, et même quelquefois un
seul, lorsque le végétal auquel il succède, est de la
nature de ceux dont la culture a exigé des sad
et des binotages. |
Les cultivateurs font un sernis de seigle mélangé.
avec le blé pour en obtenir une production qui
prend alors le nom de méteil; mais on ne peut se
dissimuler que cette méthode n’est pas sans incon-
vénient, par la raison que la maturité de chacun de
ces grains ne s'opérant pas et ne pouvant pas s8’o-
pérer en même temps, il en résulte qu’à l’époque
de la fauchaison, l’un est souvent trop mûr et l’autre
pas assez.
Le seigle est une ressource des plus précieuses
pour le cultivateur par la facilité qu'il lui donne de
pouvoir s’en servir comme d'un fourrage vert et
abondant pour ses bestiaux à une époque où aucune
autre plante ne peut en fournir. Cet avantage est
inappréciable, aussi cette culture mérite-t-elle de ne
pas être négligée.
De mème que le blé, il y a deux variétés de seigle,
lun de mars et l’autre de saison. La méthode de les
cultiver, de les semer et de les récoller , est identi-
quement la même que celle que nous avons indi-
quée à l’article froment. Il suffit de s’y reporter , et
nous nous dispenserons d'entrer, à cet égard, dans
des répétitions oiseuses, seulement nous ferons re-
25.
— 194 —
marquer qu’il convient de ne pas attendre, pour fau-
cher le seigle, qu'il soit parvenu à sa plus complète
maturité, parce que ce serait s’exposer à le voir s’é-
grener facilement et par conséquent & à une perte iné-
vitable de grains.
Les semis du seigle de saison s'effectuent ordinai-
rement vers la mi-septembre, l’épi se forme vers la
fin d'avril ou le commencement de mai, la récolte
a souvent lieu quinze jours à trois semaines avant
celle du froment. La paille de seigle étant plus co-
riace et plus flexible que celle des autres graminées,
est souvent employée avec avantage pour servir de
liens.
. Le seigle est particulièrement sujet à une maladie,
connue sous le nom d’ergot , notamment dans les
années où il survient des pluies continuelles qui lui
sont extrêmement nuisibles et préjudiciables ; il
convient, pour l'en préserver, de le soumettre,
comme le froment, à l'opération du chaulage.
3.
De lOrge.
L'orge est un grain pointu et piquant, gros du
milieu, dont l’épi est barbu, il en existe plusieurs
variétés. Les principales sont l'orge proprement dite,
l’escourgeon et la pamelle dont le grain est plus
petit.
L’orge et la salle se plaisent, comme le seigle,
sur toutes les espèces de terrains et profitent égale-
ment sur les terres légères de médiocre qualité,
comme sur les terres fortes. Il n’en est pas de même
— 195 —
de l’escourgeon, qui est un grain d’hiver, ou au-
trement dit de saison. Cette espèce est plus exi-
geante et ne profite que dans des sols substan-
tiels et fertiles, améliorés par de bons engrais et
convenablement défoncés, préparés et ameublis par
le nombre des labours et autres travaux aratoires
nécessaires. L’escourgeon ne craint pas les gélées,
ni les rigueurs de l'hiver, et peut fournir, au prin-
temps, plusieurs coupes de fourrages dont les bêtes
à cornes sont très friandes. La pamelle pousse avec
une rapidité étonnante. Il lui suffit souvent de trois
mois pour parcourir-toutes les périodes de sa végé-
tation et parvenir à sa maturité. Semée ordinaire-
ment en mars, on peut la récolter dans le courant
de juin, maïs il n’y aurait pas d'inconvénient à dif-
férer son ensemencement jusqu’au mois d'avril ; elle
offre alors le précieux avantage de pouvoir remplacer
les seigles et autres grains d’hiver qui n’ont pu être
substitués en automne à une récolte faite trop tar-
divement. | |
L'orge succède avec avantage à la culture des
planles pivotantes sarclées, telles que les betteraves,
les œillettes , les colza, les warats et autres sembla-
bles. Il n’est pas moins profitable. de l’amalgamer
avec le seigle, le trèfle, la luzerne et le sain-foin.
Toutes les orges, comme les autres graminées qui
ont des racines fibreuses , chevelues et déliées qui
embrassent toute Ia surface du sol qui les soutient,
sont épuisantes et absorbent avec intensité les sucs
nutritifs de la terre.
— 196 —
Ce grain étant sujet à la maladie connue sous le
nom du charbon, surtout dans les terrains froids et
humides, il devient utile et profitable de se confor-
mer aux principes d’une bonne culture en Île sou-
mettant avant l’ensemencement à l'opération du
chaulage.
4.
_ De l’Avoine.
L'avoine est une plante dont le cultivateur retire
les plus grands avantages par l’emploi qu'il fait de
ce grain pour nourrir ses chevaux, dont la coopéra-
tion lui est chaqüé jour d’un si grand secours dans
l'exercice de ses travaux.
Gette plante aime, comme le froment, les terres
fortes et substantielles qui ont de la consistance,
mais elle préfère toutefois celles qui sont plus hu-
mides que sèches, parce que la fraicheur est favora-
ble à sa racine. On la voit souvent prospérer avec
succès après le trèfle, la luzerne ou le sainoin,
mais on doit éviter de la faire succéder à une récolte
de grains, pour ne pas s’exposer à voir le sol s’é-
puiser et se couvrir d’une foule de plantes qui ne
peuvent que lui être très préjudiciables.
L'avoine a besoin d’eau, aussi ce qui lui nuit le
plus et la fait languir sur sa tige, c’est la trop grande
sécheresse. L'expérience de cette vérité n'est pas
nouvelle, elle date de loin, puisqu'Olivier de Serres,
le patriarche de notre agriculture, disait de son
temps : les avoines, fèves et pois sont les grains qui
désirent le plus l’eau.
— 197 —
La culture de l'avoine n’exige pas des soins bien
assidus de la part du cultivateur. Dès qu'il a confié
la semence à un terrain convenablement labouré , .
nettoyé et préparé pour la recevoir, il peut espérer
de la voir réussir, pourvu que de trop grandes cha-
leurs ne viennent pas, par leur action dessiccative,
arrêter la marche de la sève et par suite paralyser
la végétation et le développement de la plante. |
Indépendamment de l'avoine commune, on dis-
tingue encore deux autres espèces d'avoine, l’une
dite avoine noire, l’autre dite avoine blanche ou de
Hongrie. L’ensemencement de ces différentes sortes
d'avoine, se fait ordinairement dans le courant de
mars ou d'avril. Il n’est pas indifférent , lorsque la
plante est sortie de terre à une hauteur d'environ
5 ou 4 pouces, de soumettre le terrain à l'opération
du rouleir pour rechausser le pied de la üge, briser
les mottes de terre, rendre le sol plus uni et facihter
le travail du fauchage que l’on pratique ordinaire-
ment le matin et le soir, parce que c’est le moment
oùla paille, humectée par la rosée, est moins Cas-
sante et plus facile à couper. :
Il existe, parmi un grand nombre de cultivateurs,
un usage ou plutôt un préjugé nuisible, contre le-
quel on ne saurait trop s'élever, c’est celui de lais-
ser l’avoine fauchée, pendant une quinzaine de
jours sur le sol, afin que le grain se pénètre, d'hu-
midité et augmente de volume ; c'est ce que vulgai-
rement on appelle avoiner. Cette pratique est d'au-
tant plus vicieuse que la perte de grains qui résulte
— 198 —
nécessairement de l’égrenage que les épis éprouvent
par leur trop long séjour sur la terre , est évidem-
ment bien supérieure au profit imaginaire que l’on
pourrait espérer d’en retirer. Du reste, il est reconnu
que lorsque le grain est à peine battu de quelques
semaines , il reprend son volume ordinaire et na-
turel, de sorte que c’est sans aucune utilité que les
cullivateurs s’exposent aux chances du mauvais temps
qui peut survenir et gâter toute leur récolte.
$ 5.
De l’ensemencement des grains et des avantages qui
résultent de l’emplot du semoir-mécanique.
Il est reconnu que le plus ou le moins d’abon-
dance des récoltes tient principalement à la méthode
de l’ensemencement ; la pratique la plus usitée à cet
égard est celle du semis à lamain; mais quelleque
puisse être l’habileté du semeur à la volée, il est im-
possible que le grain puisse être réparti d'une maniè-
re égaleet proportionnée sur toutes les parties @u sol,
etsouvent il arrive que certaines portions d'un champ
se trouvent trop fournies, lorsque d’autres ne le sont
pas assez; il y a aussi, par suite de cette méthode, très
souvent p2rte d’une partie de la semence qui, res-
tant à découvert sur le sol, ne profite qu'aux insectes
et aux oiseaux, ou périt par l’effet des atteintes qu'elle
reçoit infailliblement de l’intempérie des saisons.
Cela n’a point lieu et n’est point à craindre avec le
semoir-mécanique, aussi ne saurions-nous trop re-
commander l'emploi de cet instrument, non seule-
— 199 —
ment sous le rapport de l’économie de la semence,
du travail et du temps, mais encore sous celui de la
beauté et de la quantité des produits.
Le semoir-mécanique qui répand l’engrais en
poudre sur la semence qu’il verse dans le champ et
qu’il espace en lignes à 8 ou 10 pouces, est un des
instruments qui ont le plus contribué à la perfec-
tion et à l'avancement de la culture; il est connu
depuis plus de vingt ans et son usage s'étend de plus
en plus. Son emploi, disons-nous, procure à la fois
économie de semence, de main-d'œuvre et de temps,
cela est incontestable. En effet, il faut communément
plus de 8 litres de bled pour semer, à la volée, une
mesure de terre, tandis qu'il suffit, de 35 à 40 litres
avec le semoir. Cet instrument sème en un jour trois
fois autant de terre qu'un homme n'en peut semer
à la volée, et il résulte de son emploi que ses pro-
duits sont plus abondants, parce que la terre en re-
çoit un surcroît de façon, et que des sarclages pou-
vant être pratiqués, en temps utile, avec facilité, soit
à la main, soit même à la hoùe à cheval, à cause de
l'espacement des lignes, les mauvaises herbes n’y
peuvent rester en assez grande quantité pour nuire
aux récoltes.
Il est facile d'adapter au semoir-mécanique des
trémies de rechange, au moyen desquelles on peut
procéder à l'ensemencement de toutes les espèces de
grains ou de graines grasses. Ce semoir est réelle-
ment précieux pour la culture des plantes oléagi-
neuses; on obtient en effet par le semis en ligne non-
— 900 —
seulement une économie d’un tiers dans le sarclage
des œillettes, mais aussi plus d’abondance et de ré-
gularité dans la récolte.
Il existe, pour la petite culture, le semoir à Li
instrument fait en forme de brouette, sur les bran-
cards de laquelle est posée la caisse renfermant les
semences,
Ç 6.
| De la maladie des Grains.
On sait que les grains sont sujets à différentes
maladies qui affectent, altèrent et gâtent leurs subs-
tances. Les principales sont vulgairement connues
sous le nom de nielle, de carie, de rouille et de char-
bon; outre ces accidents communs aux céréales, le
seigle est encore particulièrement en proie à une af-
fection spéciale que l’on désigne sous lé nom d’ergot,
parce que le grain qui en est atteint, porte en effet
une espèce d'ergot qui ressemble à celui du coq.
Quant aux causes de ces différentes maladies, on
présume qu'elles sont produites par les brouillards,
les exhalaisons et la malignité des terrains. On re-
marque en effet que ces sortes d'accidents n'arrivent
ordinairement que dans des sols malsains et hu-
mides, et que la vapeur qui s’exhale de ces terrains,
n'affecte et ne corrompt que la partie des tuyaux ou
des épis, qui, d’après le mouvement et la direction
du vent a été plus ou moins exposée à ses atleintes.
On attribue à humidité maligne de certains brouil-
lards, la funeste vertu de pourrir la peau du grain,
de le noircir et d’en altérer la substance. Au surplus,
— 201 —
quelle que puisse être la cause de ces accidents, il
paraît que les meilleurs spécifiques consistent dans
de bons labours et dans des engrais convenable-
ment appropriés aux terrains et aux productions; La
raison en ést facile. à saisir. C’est que la plante
qui aura puisé une bonne nourriture et aéquis plus
de force, résistera beaucoup mieux à l'influence des
Yapeurs malignes, que celle qui serait dans un état
de faiblesse et de débilité. Il en est des plantes
comme de l’espèce humaine dans des temps d'épi-
démié, les personnes robustes sont toujours moins
susceptibles d’être atteintes, que celles dont la santé
est déjà altérée,
L'expérience et l'usage ont aussi consacré plu-
sieurs moyeris préservatifs ou curatifs de la maladie
des grains ; le principal et le plus utile, c’est le
éhaulage. Comme cette pratique ne peut jamais por“
ter préjudice au gra, et qu’elle ne peut que con-
tribuer à activer et stimuler sa germination , nous
ne croyons pas devoir négliger de Îa faire connaître.
Voici cette pratique, Plonger le grain dans des cu-
Yes ou tonneaux remplis d’eau de lessive ordinaire,
blanchie par un lait de chaux, eñ ayarit soin de re-
muer le grain pour qu'il soit bien imbibé : enlever
avec une sorte d'écumoire les faux grains ou les mau-
vaises semences que l’on voit surnager. Puis, après
avoir laissé infuser le grain dans la saumure pendant
quelque temps, le retirer pour le faire sécher et lé
semer ensuite. Tel est L procédé relatif à cette opé-
ration. 1
26.
— 202 —
S 7:
De la moisson ‘ou récolte des Céréales. |
_ Les instruments employés dans le nord de la
France pour opérer la coupe des céréales, sont en
général la faulx, la faucille et la sape des flamands,
sorte de petite faulx que l’on désigne vulgairement
dans nos campagnes sous le nom de Piquoir.
Lorsque les grains sont fauchés, il est d'usage de
les mettre en javelle pour les laisser sécher et les
transporter ensuite dans la grange; mais il arrive
quelquefois qu’avant ou pendant ces opérations, il
survient des vrages ou des pluies qui obligent d’in-
terrompre et de suspendre les travaux. D’un autre
côté, l’intempérie de la saison peut devenir telle et se
prolonger si long-temps qu'il soit impossible de par-
venir à faire sécher le grain, on se trouve dès lors
exposé à le voir germer promptement sur la terre et
à perdre, en un instant, tout ou partie de la récolte,
Pour éviter un semblable préjudice, il convient donc,
sitôt que le grain est fauché, d’en former de suite de
petites meules provisoires, vulgairement appelées
moies , composées d’un certain nombre de gerbes non
liées. Ces gerbes étant ainsi rass emblées et recou-
vertes d’un chaperon de paille en forme de para-
pluie, ne peuvent plus germer , parce que les eaux
pluviales ne faisant que glisser sur les tuyaux et se
séchant facilement à l'air, ne peuvent exercer aucune
action germinative sur le grain. On peut, de cette
manière, attendre avec sécurité un temps plus favo-
rable pour pouvoir engranger. Cette méthode a d’ail-
— 203 —
leurs l’avantage de donner aux épis le temps de
perfectionner la qualité du grain. Il est un soin es-
sentiel qu’il ne faut pas non plus négliger : lorsque
le temps de la fauchaison est arrivé, c’est de s’assurer
que le grain que l'on coupe est à son vrai point de
maturité, parce qu'il est aussi nuisible de le faucher
trop prématurément que trop tardivement. En effet
le blé coupé trop vert est sujet à fermenter, à se
réchauffer , à contracter un mauvais goût et surtout
à se corrompre; d’un autre côté, si on attend trop
long-temps à faueher le seigle, on s'expose à le voir
verser et s'égrener. La meilleure méthode à suivre,
est celle qui consiste à saisir à propos le bon mo-
ment ; c'est celui que la nature indique toujours par
des indices certains qu’il est impossible de ne pas
. Seconnattre à la couleur dorée de la tige et des épis.
CHAPITRE 5.
DE EA CULTURE BES PBINCIPALES PLANTES oLÉa cn usES.
@ 1°,
De FOEillette. |
Cette plante est une des premières qui, dans le
nord de la France, a été employée pour remplacer
les jachères. On peut donc la considérer comme
ayant le plus concouru à leur suppression dans ces
contrées,
Les cultivateurs ne négligent pas, chaque année,
de l’introduire et de l’intercaler dans les assolements.
Hs en connaissent lès heureux effets, ils savent qu’elle
est pour eux une source de richesses, non seulement
par son produit lucratif, mais encore par la facilité
3
— 904 —
qu’elle leur donne de pouvoir remplacer ; au prin-
temps, les productions qui ont pu périr par la ri-
gueur de l’hiver ou les intempéries des saisons.
Les moyens généraux d’assurer le succès de la ré-
colte de cette plante, consiste principalement, comme
la plupart des autres plantes, dans les soins à donner
à la préparation du terpgain où ce végétal doit croître
et fructifier; choisir un sol doux et substantiel, le di-
viser et l’ameablir convenablement par des labours
profonds et de riches engrais sagement appropriés
dans de justes proporlions, bien aplanir et égaliser
la superficie du champ pour faciliter d’autant mieux
la germmation de la semence, qui est extrêmement
fine. Purger, au moyen de plusieurs sarclages, le sal
de toutes herbes parasites et de toutes les plantes qui,
par trop d’abondance et de rapprochement entre
elles, pourraient se gêner et se nuire mutuellement.
Hâter la végétation de la plante par un semis de cen-
dres de houille. Telles sont les pratiques les plus
LS et dont Fe PR chaque ; jour
l’utilité.
Lorsque la plante est parvenue à son état de ma-
turité, ce qu'il est facile de connaître au flétrissement
des feuilles et au dessécliement de la tigé, on arra-
che les plantes de la terre, on les réduit ensuite en
petites boîtes qu'on laisse debout, sur le sol, pour
les faire sécher. On retire de la graine d’œillette, par
l’effet de la pression, une huile très estimée et de fort
bon goût, qui tient le premier rang après l'huile :
d'olive. E s'en fait un commerce considérable dans
— 205 —
les départements du Nord et du Pas-de-Cakais. La
culture de cette plante n’est donc pas moins fava-
rable à l’industrie, qu’elle: n’est utile à l’agriculture,
| Sa
Du Colza.
Le colza est. une plante oléagineuse dont l'utilité et
les bons produits ont, depuis un certain nombre
d'années, rendu la culture presque générale dans le
mord de la France, où elle croît avec abondance et
fertilité, La racine longue et pivotante du colza exige,
comme celle de l’œillette, en sok bien défoncé, mais
surtout ameubli avec le plus grand soin et de ma-
nière que la terre soït rendue bien légère et bien
friable, pour que la racine. puisse y pémétrer facile-
ment et y puiser les sucs et les principes nourriciers
que les engrais doivent lui fournir pour hâter sa vé-
gétation et assurer le succès de sa récolte.
: Quant à la nature du sol convenable & cette plante,
il suflira de faire observer qu’elle se plait sur les
terres fortes, compactes, humides et argileuses, sur
lesquelles on aura eu soin de répandre des fumiers
substantiels, onctueux, abondants en principes vé-
gétatifs ; l'expérience a démontré que les tourteaux
de colza délayés dans l’urine etrépandus comme en-
grais liquide sur le terrain, produisaient le meilleur
effet en rehaussant la fertilité du sol et en activantla
végétation de la plante. El existe deux variétés de
colza, l'une d'hiver, ou autrement dite de saison,
Fautre de printemps, ou demars. Le semis du colza
d'hiver se fait sur la fin de l'été. Lorsque la plante
— 206 —
est levée à une hauteur de 6 ou 7 pouces, on la
transplante dans le courant de septembre ou octo-
bre, sur le terrain qu'on lui destine. Cette opération
a. besoin du concours de plusieurs personnes ; l’une
-_ pour faire, au moyen d’un plantoir, les trous qui doi-
vent recevoir la plante, les autres pour l’y placer.
$ 3.
De la Cameline ou Camomille.
La culture de cette plante n’est point à dédaigner
par les cultivateurs, parce qu’elle est susceptible de
leur procurer des produits d'autant plus avantageux,
qu’elle n'occupe le sol que fort peu de temps. En
effet, il lui suffit souvent d’une période de trois mois
pour parvenir à sa maturité.
. Gette plante se plaît sur tous les terrains, même
sur des sols médiocres, où on: la fait fructifier avan-
tageusement; mais, comme pour toutes les autres
plantes, il est indispensable qu'ils soient convena-
blement ameublis par des labours et améliorés par
des engrais. Sa culture, dans le nord de la France,
ne remonte pas à plus de 30 ans; mais depuis lors,
elle y a pris, d'année en année, plus d'extension, et
elle parait devoir en prendre encore davantage, par
la ressource qu’elle offre au culüvateur de pouvoir,
avec elle, remplacer les récoltes que la gêlée ou l’in-
tempérie de l'hiver a pu faire manquer. Sous ce
rapport elle est précieuse et peut, comme l'æillette,
être utilisée pour remplacer les jachères, puisqu'a-
vec elle le cultivateur trouvera un produit certain là
où le froment et le lin ne lui en donneraient aucun
h = 207 —
pär suite des atteintes d’un hiver rigoureux, Ainsi,
soit comme récolte secondaire , soit comme récolte
” supplétive de celles qui ont pu manquer, soit enfin
comme produit lucratif, la camomille ne peut être
qu’avantageuse et profitable aux cultivateurs qui ont
le bon esprit de la cultiver. Toutefois, nous ne de-
vons pas omettre de faire observer que cette plante
est éminemment épuisante, | à
$ 4.
Du Lin.
La culture du lin est en honneur parmi les culti-
vateurs du nord de la France: elle est pour eux une
source abondante de richesses. Gette plante exige
pour pouvoir prospérer un sol fertile, substantiel et
frais, bien fumé, bien défoncé, ameubli et nettoyé
par de bons labours et dont la surface soit bien apla-
nie et égalisée à l’aide de la herse et du rouloir.
On obtient cependant aussi de bonnes récoltes sur
des terres légères et-froides, mais il est indispensable
qu’elles soient préalablement préparées par de pro-
fonds labours et surtout stimulées par des fumiers
fertilisants et bien consommés.
Les semis du lin se font au printemps, il faut avoir
soin de choisir, pour cette opération, un temps sec
et doux, parce que trop. d'humidité lui serait défa-
vorable. |
Le lin qui se sème en mars et qui porte le nom de
lin de mars, est généralement celui qui donne le plus
de chance de réussite et qui est le plus beau.
Le lin de mai se sème dans les terres froides et
— 208 —
humides qui n’ont pu être séchées et rendues pul-
Yérulantes avant le mois d'avril. Il faut avoir grand
soin de changer la semence chaque année, car le
graine est très sujette à dégérérer. Dans l’assolement
triennal, il faut éviter de semer du lin dans la même
terre plus souvent que tous les six ans.
Le lin réussit souvent à merveille sur un terrain
où l’auront précédé la pomme de terre, la betterave,
le chanvre, le trèfle, et autres plantes qui, par leur
nature, ont la propriété de détruire les racines et les
mauvaises herbes qui nuisent au lin, comme aussi
d'améliorer le sol, non seulement au moyen des la:
bours, sarclages et autres travaux aratoires qu’elles
nécessitent, maïs encore par des résidus fertilisants
qu’elles y abandonnent en le quittant. Cette plante
prélude aussi, de la manière la plus favorable, à la
culture du froment ou de toute autre céréale.
C’est une pratique contraire aux principes d'une
bonne culture, que de faire succéder plusieurs ré-
coltes successives de lin sur le même terrain. Ge se-
rait s’exposer à appauvrir le sol et le rendre infertile ;
tandis qu’il est sans inconvénient d’alterner cette
culture avec d’autres plantes d’une nature moins
épuisante. Il est indispensable , lorsque le lin est
levé, de pratiquer plusieurs sarclages pour purger
le terrain des herbes parasites qui sont très nuisi-
bles à la plante et peuvent porter le plus grand pré-
judice à son développement et à sa végétation.
Lorsque le lin est parvenu à sa maturité, on l'ar-
. rache de la terre et on réunit les brms par poignée,
— 209 --
que l’on couche sur le sol pour les faire séther. Si
la saison est favorable, une quinzaine de jours suff-
sent ordinairement pour opérer la dessiccation.
On retire de la graine de cette plante une hüile
qui est employée à la peinture. Quant à sa tige, elle
fournit une filasse douce et luisante avec laquelle on
fabrique des toiles fort estimées et d’une grande va-
leur. Il s’en fait, dans:le nerd de la France, un com-
merce censidérable.
S-
Du Chanvre: |
. La culture du chanvre a beaucoap de similitade et
d’analogie avec celle du lin: Comme lui, elle exige
et réclame, de la part du cultivateur, la même atten-
tion, les mêmes soins; et les mêmes travaux. L’une
et l’autre de ces plantes sont pete d'un bon
produit.
. Cette plante, qui D oabit os dans
les sols fertiles du nord de la France ; ne doit être
_ confiée qu'aux terres fortes et substantielles, riches
en principes végétatifs, que lindustrie du eultivateur
doit encore rehausser au moyen d’erigrais onetueux
et abondants en sues nourrieiers. Des labours pro-
fonds sont de rigueur pour faciliter à la racine pi-
votante de la tige le moyen de pouvoir bien pénétrer
et s'enfoncer dans la terre pour y-puiser les princi-
pes alimentaires qui lui sont nécessaires. Les autres
travaux aratotres, tels que les hersages et roulages,
ne doivent point non plus être négligés, ct il con-
vient de les effectuer de manière à donner au terrain
27
— 910 —
une surface plane, unie et bien égalisée. Après ces
travaux préliminaires, on procède à l'opération de
la semaille, qui se fait ordinairement dans le cou-
rant de mai et peut même se retarder jusqu’au mois
de juin. Toutefois, 1l importe de choisir, autant que
possible, un temps pluvieux ou humide, susceptible
d'accélérer la germination. Ce soin n’est point in-
différent, la prompte levée de la plante devant in-
fluer puissamment sur le résultat de sa croissance et
de son développement.
Après l’ensemencement, il est utile de faire passer
Kkgèrement la herse sur le champ pour recouvrir
seulement la semence, cette sorte de graine ne de
mandant pas à être beaucoup enterrée. On fait im
médiatement succéder à cette opération, celle du
rouloir , pour raffermir le terrain , y maintenir k
graine et hâter sa germinalion.
Le chanvre réclame aussi, comme les autres _.
tes à racines pivotantes, des sarclages, dont l'utilité
est indispensable pour l’extirpation des herbes qui
peuvent lui nuire, notamment le liseron , qui peut
Jui faire le plus grand tort par sa disposition natu-
relle à s’entortiller autour de ses tiges. Le mode
qu’on emploie pour arracher le chanvre et le faire
sécher, est absolument le même que celui dont on
se sert pour le lin. On fait un emiploi avantageux de
l'huile de chauvre aux arts-et à l'industrie, et la fi-
lasse qu'on retire de sa tige, sert à fabriquer les oor-
dages nécessaires à la marine .et à divers usages
économiques. On ne saurait donc, sous le double
— 914 —
rapport du commerce et de l'agricultüre, trop en-
courager l'extension de cette plante éminemment
| utile. Q NÉ A 7;
CHAPITRE 6. 2
DE LA CULTURE DES PRINCIPALES PLANTES FOURRAGÈRES
ET LÉGUMINEUSES, a
se. Gare # |
De la Pomme de Terre.
La pomme de terre est une plante dont l'utilité
est si importante dans l'économie domestique, qu'on
peut la considérer comme l'une des plus précieuses
que la nature produit. Sur la table du riche comme
sur celle du pauvre, ellé fournit tout à la fois un mets
agréable, substantiel, sain et nourrissant. Considérée
également comme aliment des bestiaux, elle ne rend
pas de moins grands services au cultivateur, en lui
donnant les moyens de fournir aux animaux domes-
tiques qui sont. attachés à l'économie rurale , une
nourriture profitable, que tous recherchent avec
plaisir. Ce précieux tubercule n’est pas difficile sur
le choix du terrain, toutes les espèces de terre pa-
raissent lui convenir, en exceptant toute fois celles
qui sont compactes, froides et aqueuses. Cependant,
il prospère plus favorablement et avec plus de succès
sur les sols légers et pierreux, qu'il affectionne par-
ticulièrement et où ik puise un goût plus savoureux
et une substance plus farineuse que dans tout autre
terrain. Îl est bien entendu, toutefois, que ses pro-
duits ne répondront à l'attente du cultivateur, qu'au-
tant que celui-ci n’aura pas négligé d'exécuter les
— 219 —
travaux aratoires, inséparables de toute bonne cul-
ture. C'est assez dire que des labours devront être .
effectués de manière à bien défoncer le terrain, à le
rendre bien léger, bien friable, et bien net, et que
l'on ne devra pas négliger de le mettre en état, par
des engrais convenables et bien préparés, de pou-
voir fournir à la plante les sucs nourriciers dont elle
a besoin. Les feuilles de la tige étant fort tendres et
sensibles à la gelée, il importe, pour les soustraire
aux atteintes des dernières giboulées printanières,
de ne se livrer à la plantation de la pomme de terre
que dans le courant du mois d'avril, c’est à dire,
lorsque l’on n’a plus à craindre l'effet des dernières
influences de l'hiver. Le mode le plus -usité pour
cette plantation, consiste à couper les grosses pom-
mes de terre en plusieurs morceaux et à les placer
dans le fond des rayons du binot, enlaissant environ
un espace de deux pieds entre les lignes, on recou-
vre ensuite le tout avec la herse. On procède ulté-
rieurement, quand la plante est levée, aux sarclages
nécessaires pour maintenir le terrain dans un état
d’ameublissement et de netteté le plus convenable
au succès de la végétation.
S 2.
De la Betterare. : |
La culture de la betterave a pris, depuis quelques
années, la plus grande extension, à cause de la pro-
priété particulière à cette plante de produire un su-
cre qui rivalise avec celui des Antilles. De nombreux
élablissements se sont rapidement élevés pour la fa-
— 213 —
brication du sucre indigène , ce qui a donné une
nouvelle importance à la betterave. On ne saurait
mieux en faire l’éloge qu'en disant que sa renommée
est maintenant européenne, sous le double rapport
des immenses services qu’elle rend à l'industrie et
de son utilité à l’agriculture.
La betterave exige, pour prospérer, une terre forte
et substantielle, mais il faut, par-dessus tout, que
le sol soit profondément défoncé par les labours et
soumis à des travaux de nature à la mettre dans un
état de netteté et d’ameublissement qui ne laisse
rien à désirer. Il faut aussi que des engrais onctueux
et abondants en principes fécondateurs , aient été
convenablement épars sur le terrain, pour donner
plus de vigueur et d’énergie à la végétation de la
plante. L'expérience et les faits démontrent que la
racine de la betterave a, par sa forme pivotante, la
propriété de pénétrer profondément le sol ; par con-
séquent, de le diviser et de l’ameublir, ce qui pro-
duit, par équipollence, les effets du labourage. La
terre, à laquelle on confie la betterave , se trouve
donc pour ainsi dire labourée d’elle-mème après
les opégtions que nécessitent son sarclage et son
extraction du sol, au moyen de la bèche, à l’époque
de sa maturité ; il n’y a, dès lors, que peu de choses
à faire avec la charruc pour assurer le succès de la
production qui doit lui succéder, il faut donc recon-
naître qu’on trouvera évidemment économie de tra-
vaux, et de temps ct par cela même, économie de
dépenses et de frais sur les opérations préparatoires
— A4 — :
que nécessitera la récnlte du végétal qu'on lui sub-
stituera. Si c'est le froment, cette graminée qui
exige particulièrement un sol bien ameubli, bien dé-
foncé et dans un état de neltelé parfaite, trouvera
la terre de la betterave entièrement propice à sa
végétation ; elle se plaira sur un semblable terrain,
et la récolte heureuse qu’elle offrira au eultivateur,
ne laissera aucune incertitude sur la réalité de l’a-
mélioration dont la betterave aura été la principale
cause. Les utiles services que la betterave rend à
l'agricullure, ne se bornent point encore là; on sait,
en effet, que l'exploitation d’un cultivateur impose
des besoins auxquels il doit toujours pourvoir avec
exaclitude, Or, la nourriture des bestiaux qui, sans
contredit, peut être rangée parmi; le premier de ces
besoins, devient quelquefois, dans des années peu
fertiles, un objet de difficulté et d’embarras par la
rareté et le manque, ou la cherté des fourrages.
Cette pénurie et ces inconvénients ne sont point à
craindre avec la betterave, les produits de sa récolte
viendront toujours au secours des fermiers , et leur
fourniront sous ce rapport des ressources certaines;
ils trouveront en effet dans cette racine un aliment
. suffisant, pour nourrir en hiver la quantité de bes-
tiaux dont leur exploitation exigera l'entretien. Cela
leur sera d'autant plus facile que tous aiment cette
racine et ia mangent avec plaisir. La graine de la
betterave se sème dans le courant du mois de mai,
à l’aide d’un semoir qui la dissémine sur le terrain,
à des distances égales,
— 215 —
5.
Des fèveroles ou WF arats.
- Ea féverole ou fève des champs, est une plante
qui fournit un fourrage eslimé , que les cultivateurs
du Nord dé la France désignent sous le nom de
warats, et qui ést principalement employé par eux
pour la nourriture et la subsistance de leurs che-
vaux. Cette plante, à tige élevée et à racine pivotante,
aime de préférence les terres fortes et argileuses :
surtout celles qui sont meubles et fraiches, et que
lon a pris soin de purger des herbes nuisibles. Elle
possède, comme Îa betterave, la propriété de bien
défoncer, ameublir et améliorer la terre, et par con-
séquent de la préparer de la manière la plus favo-
_ rable au succès de la culture des plantes céréales.
Gette vertu améliorante avait été reconnue par Ob-
vier dé Serres. « Les fèves, a dit ce savant agro-
» nome, engraïssent aussi les terres où elles ont été
» semées ou recuéillies, y laissent quelque vertu
» agréable aux froments qu’on y sème après » ; la
pratique et l'expérience confirment en effet chaque
jour cette opinion du patriarche de notre agricul-
ture. Après avoir-préalablement bien disposé le ter-
rain par des binotages et des hersages effectués
avant l'hiver, et réitérés au printems, on sème la
graine de fèverole au moyen d'un semoir dans les
lignes ou rayons du binot; puis on y fait de nou-
veau passer la herse et le rouloir, pour égaliser la
terre et recouvrir la semence. Le semis en ligne a
l'avantage de procurer une récolte de moitié plus
— 216 —
abondante que celle que l’on retire de l’ensemence-
ment à la volée. Les warats sont aussi le meilleur et le
plus riche produit que le cultivateur puisse espérer de
recueillir sur un défrichement de prairies artifi-
cielles; mais si l’on veut trouver dans ce fourrage la
qualité la plus favorable à la nourriture des bes-
tiaux, il faut avoir soin de le couper avant qu'il ait
atteint son entière malurité.
S 4
. De la Vesce.
La vesec est une plante dont l'utilité est reconnue
par les cultivateurs qui trouvent dans sa culture l’a-
vantage de se procurer pour leurs bestiaux un four-
rage agréable ct très nourrissant qu'ils aiment éga-
lement vert ou sec.Lorsqu'il leur estservi dans l’état
de dessiccation, il les engraisse et les fortifie beau
coup plus ; mais nous devons faire remarquer que
pour parvenir à sa complète maturité, ce végétal
épuise davantage la terre, parce que c’est alors qu’il
y puise avec plus d'intensité, et qu'il absorbe avec
plus d’abondance les sucs nourriciers que le sol
renferme. Toutcfois on peut le ranger au nombre
des plantes qui sont de nature à remplacer les ja-
chères, en préparant favorablement le terrain à la
fructification des céréales.
Le mois de mars est ordinairement celui que l’on
consacre à l’ensemencement de la vesce; mais on
peut encore en semer en mai, ce qui est très avan-
tageux pour les cultivateurs, dont la récolte en trèfle
et cri luzerne a pu être peu abondante. Ils peuvent
— 217 —
alors trouver dans cette plante un supplément à ce
qui peut leur manquer en fourrages d’autres espèces
pour l'alimentation de leurs bestiaux. C'ést une res-
source précieuse qui n’est point à dédaigner.
Quant à la méthode de l’ensemencement, elle
est absolument la même que celle que nous avons
indiquée pour les warats, c’est-à-dire , le semis
en rayons et en lignes, au moyen du semoir; cette
pratique est préférable à tout autre, en ce que cette
culture est non seulement plus hâtive et procure
plus de produits, mais offre aussi une plus grande
économie de semence, de main-d'œuvre et de temps:
La culture de la vesce en mélange avec le seigle
donne aussi un fourrage excellent et abondant juste-
ment estimé des cultivateurs du nord de la France
où 1l est plus particulièrement connu et désigné sous
le nom d’hivernache,
CHAPITRE 3.
DE LA CULTURE DES PRAIRIES ARTIFICIELLES.
6 1°.
Aperçu sur les prairies artificielles en général.
L’utilité des fourrages que les prairies artificielles
fournissent pour la nourriture des bestiaux attachés
à l’économie rurale, est incontestable, Elles sont
atssi l’une des principales bases de l’agriculture.
Soùs ces points de vue elles sont d’une telle impor-
tance pour le cultivateur, qu’elles réclament toute
son attention. 11 a besoin d'engrais pour féconder
ses champs et leur restituer les sucs absorbés par la
28.
— 218 —
production des plantes; mais comment pourrait-il
se les procurer sans bestiaux ? Or, dans quelle fä-
cheuse position ne se trouverait-il pas, si, par l’in-
tempérie des saisons ou par tout autre événement
il se trouvait dans l'impossibilité de pouvoir les
nourrir, par le manque de foin ou des autres four-
rages nécessaires à leur alimentation. Les prairies
artificielles viennent alors à son secours. Ce n'est
point le seut avantage qu'elles lui procurent, elles
contribuent aussi à la fertilisation de ses champs,
par la vertu qu’elles ont d'améliorer les terres, de
les nettoyer, de les ameublir, et de les préparer fa-
vorablement: au succès d'une bonne récolte. Tels
sont en effet les principaux résultats satisfaisants
qu’on peut espérer d'obtenir des prairies artificielles,
en les intercalant avec prudence et discernement
dans les différents assolements.
2.
Du Trèfle.
Le trèfle est une des plantes que l'on peut em-
ployer avec le plus d'utilité et le plus d'avantages
pour remplacer les jachères par les propriétés
qu'elle a de préparer favorablement le sol à la pro-
duction du froment et des autres céréales. La
facile intercalation dans les assolements lui donne
beaucoup de prix et la rend infiniment précieu-
sc: aussi sa culture est-elle justement appréciée
par les cultivateurs, notamment dans le Nord de la
France où elle est très multipliée. Ce fourrage est
en effet d’une ressource précieuse par sa végélalion
— 219 —
hâtive et précoce, qui donne la facilité de le récolter
avant tous les autres, pour servir à l'alimentation
des bestiaux. |
- Cette plante croit avec succès sur les terrains
froids et argileux , parce qu’elle aime la fraicheur
et l'humidité. Ce n’est point à dire qu'elle ne. puisse
pour cela prospérer sur les terres légères et même
sablonneuses, pourvu que le fond de celle-ci ne:
soit pas trop brûlant ni trop desséché; mais il est
nécessaire que des amendements et des engrais con--
venables, joints à des labours profonds et soignés,
soient sagement administrés en temps opportun et
viennent concourir par leur action simultanée à la
fertilité et au succès de cette plante.
Le printemps est l’époque ordinaire de l'ense-
mencement du trèfle ; on le sème aussi quelquefois
en automne, mais cela arrive plus rarement. Quoi
qu'il en soit, dans l’un comme dans l’autre cas, on
relire de grands avantages en le mêlant avec le blé,
l'orge ou l’avoin? , ou en le semant sur des terrains
déjà emblavés de ces différentes céréales. C’est une
méthode qui est avantageuse par les bons effets que
cette plante exerce sur les productions. Le moment
le plus favorable pour faucher le trèfle, eat lorsqu’i}
se trouve dans un état de floraison complète.
Pour démontrer l’heureuse influence que la cul-
ture du trèfle exerce sur l’accroissement du produit
des céréales, qui sont destinées à lui succéder sur le
sol, il suffit de rappeler ce proverbe : belle récolte
de trèfle assure belle récolte de blé. |
— 220 —
Il est assez d'usage de renfouir le trèfle la seconde
année , parce que quoique cette plante soit amélio.-
rante, la terre semble se refuser à la porter trop
souvent, et 1l convient même de laisser un inter-
valle de trois ans, avant d’en resemer dans le même
terrain. .
La Variété, nommée trèfle incarnat ou trèfle an-
glais, commence à être connue et appréciée dans le
Nord de la France. Sa culture est très avantageuse,
sa récolte très hâtive, et la seule coupe que l’on en
obtient donne un fourrage singulièrement abondant.
On fauche en été celui que l’on sème au printemps,
et l’on coupe dans cette dernière saison, celui dont
la graine a été répandue sur le chaume en antomne.
Ce végétal se plait sur les sols légers. Il lui suffit
d'un labour superficiel dans les terrains fermes, et
peut même s'en dispenser, lorsqu'on le confie après
la moisson, à une terre bien ameublie, en ayant
soin toutefois de l’enterrer en faisant passer la
herse deux ou trois fois.
$ 3.
Du Sainfoin.
La variété du sainfoin, qui est le plus générale-
ment cultivée dans le Nord de la France, est celle
qui est connue sous le nom de sainfoin chaud. Gelte
plante, comme le trèfle, offre des avantages pré-
cieux aux cultivateurs par la bonté, l'abondance et
la précocité de son fourrage, et par l’aisance qu’elle
donne à pouvoir remplacer utilement la jachère, en
opérant une notable amélioration sur les sols in-
— QU —.
grats où on l'intercale avec le seigle, l'orge et la pot-.
me de terre. Il est démontré que des terrains rebelles
et improductifs , qui n'étaient susceptibles de pro-
duire que du seigle, sont devenus après une récolte.
de sainfoin les sols les plus propices au succès de la
production du froment. Gette vérité est confirmée
par les assertions de la plupart des agronomes.
Toutefois nous nous contenterons de rapporter l'o-
pinion d'Olivier de Serres et de Duhamel, ces grands
maîtres en agriculture qui toujours parlaient par
expérience. Le premier nous apprend que le sain-
foin vient gaiment en terre maigre et y laisse cer-
taine vertu engraissante à l'utilité des blés qui en-
suite y sont semés ; l’autre affirme qu’il s’accomode
de toute sorte de terrain, à l’exception des terres
marécageuses, et qu'un des avantages qu’on en re-
tire est qu'il met la terre en état de produire ensuite
du froment et du seigle. La facilité que possède le
sainfoin de fructifier avec succés pendant plusieurs
années consécutives sur les sols arides, est princi-
palement dûe à la nature de sa racine qui, par sa
constitution, est disposée à s'étendre et à s’élargir
entre deux terres, plutôt que de pénétrer directe-
ment dans le sol, comme celle de la luzerne qui est
plus pivotante ; il est donc avantageux de se livrer à
la culture du sainfoin, puisqu'il donne les moyens
d'utiliser plusieurs années de suite des terrains in-
grats, et par conséquent défavorables à la produc-
tion des céréales. Voici la méthode à suivre pour
cette culture : pratiquer sur la terre destinée au
.… 999 —
sainfoin des labours et travaux aratôires nécessaires
pour bien défoncer le terrain ; ameublir la terre au
moyen de la herse et du cylindre; :enfin semer en
avril ou en mai, la graine de sainfoin sur avoine,
trèfle, orge ou blé de mars.
$ 4.
De la Luzerne.
La luzerne est une plante qui a tellement d’sna-
logie avec le sainfoin qu’on la confond souvent avec
lui; il y a parfaite similitude entre l’une et l’autre
de ces plantes. Toutefois la tige de la luzerne est
plus haute que celle du sainfoin. Ces deux plantes
sont d’une végétation hâtive et accélérée, et toutes
deux procurent avec abondance un excellent four-
rage pour la nourriture desbestiaux; mais les mêmes
terrains ne leur conviennent pas. La luzerne est
plus difficile que le sainfoin. Elle ne se plait pas
comme lui sur toutes sortes de terrains; au contraire
elle exige, à cause de la longueur de sa racine pivo-
tante, des sols fertiles, bien défoncés etameublis par
des labours profonds. Quant à la méthode à suivre
pour sa culture, elle est exactement la même que
pour le sainfoin. |
S 5.
De la Lupuline.
La lupuline que les cultivateurs du Nord de la
France désignent sous le nom de Minette, est une
plante bisannuelle destinée à servir de fourrage aux
bestiaux ct principalement aux moutons. Elle a sur
— 228 —
la luzerne l'avantage d'offrir moins de danger pour
l'enflure aux animaux qui en font usage. Elle vient
facilement sur les terrains pierreux et se plait sur
les sois argileux marneux; la lupuline se sème
comme le trèfle au printemps avec les avoines, les
orges et autres graminées. On peut le récolter
deux ou trois années de suite.
S 6.
De la Pimprenelle.
La pimprenelle est une plante qui fournit aux
cultivateurs un fourrage que les bœufs et les vaches
mangent avec plaisir et dont les moutons sont sur-
tout fort friands. Elle est peu cultivée dans le Nord
de la France, parce qu’elle y est peu connue. Elle a
cependant des droits à l’attention des agronomes de
ces contrées à cause des avantages qu’elle leur pré-
sente dans l’emploi qu'ils peuvent en faire pour
nourrir leurs bestiaux. Cette plante a non seulement
le mérite de prospérer sur les sols ingrats et arides
où l’on essaierait sans succès de cultiver la luzerne
et le sain-foin, mais encore d'offrir aux bestiaux
pendant les étés les plus secs, un fourrage frais et
succulent par la propriété qu’elle possède de pou-
voir résister aux fortes chaleurs. On voit en effet
ses feuilles conserver encore toute leur verdure alors
même que la plupart des autres plantes languissent
desséchées par les ardeurs du soleil. L'introduction
de cette plante dans la culture de ces contrées se-
raitune innovation heureuse quine pourrait produire
— 22% —
que des résultats satisfaisants ; elle est digne en effet
de prendre rang parmi les autres fourrages, car on
pe peut se dissimuler qu’elle est susceptible de ren-
dre de grands services et d’être d’un utile secours
aux cultivateurs. Elle commence à être justement
appréciée dans le département de la Somme où sa
culture a été essayée et suivie avec succès. Elle y
prendra indubitablement plus d'extension à mesure
que le temps et l’expérience viendront attester ses
bons effets et ses précieuses qualités.
CHAPITRE 8.
DE LA CULTURE DES PRAIRIES NATURELLES ET BES SOINS
QU'ELLES EXIGENT.
Le nom de prairies naturelles emporte avec lui
sa définition. C’est celui que l’on donne aux ter-
rains où l’herbe croit naturellement pour servir de
pâture et de nourriture aux bestiaux.
On distingue plusieurs sortes de prairies natu-
relles dont chacune, selon sa nature, demande et
exige une culture et des soins particuliers. Les
principales sont les prairies grasses, c'est-à-dire,
celles qui sont soumises à l’irrigation, et les prairies
sèches, c’est-à-dire, les prés qui forment les ma-
noirs et vergers.
S 1.
Des prairies grasses.
Il en est des prairies comme des terres laboura-
bles, tous les efforts du cultivateur doivent avoir
— 225 —
pour objet de retirer de sa culture le plus de pro-
duits possibles et en meilleure qualité possible,
pour cela il ne doit négliger aucun des travaux et
des soins dont ses prairies sont susceptibles suivant
leur nature, pour les entretenir et les maintenir
dans le plus parfait état d'amélioration et de con-
servalion. D'un autre côté, la prospérité des bes-
tiaux dépend principalement de la qualité des her-
bages et des fourrages dont elles se nourrissent. IL
imporle donc de purger avec soin les prairies des
herbes et plantes nuisibles qui peuvent exposer les
animaux domestiques à des maladies. Le principal
moyen d’'extirpation des mauvaises herbes consiste
à les arracher, mais quand on n’y peut parvenir en-
tièrement, on fait périr celles qui restent en faisant
faucher au printems là partie où elles croissent et
en y faisant un semis de cendres.
Quant aux autres travaux et soins que réclament
les prairies grasses, voici principalement en quoi
‘ils consistent : |
1° Pratiquer pendant le printemps et dans les
temps de sécheresse les travaux d'irrigation néces-
saires pour activer la végétation des herbes. Cette
opération doit être faite avec prudence et de manière
à ce que les prairies ne conservent que Fhumidité
dont elles ont strictement besoin. Un trop long sé-
jour des eaux leur serait nuisible et altérerait
non seulement la qualité du foin, nrais encore ren-
drait les prairies marécageuses ct les peuplerait
29:
— 296 —
de joncs et de roseaux, inconvénient fâcheux et
préjudice grave qu'il importe surtout d'éviter.
2°, Ne pas laisser les besliaux dans les prairies
lorsque les intempéries de l’automne ont ramolli
le sol pour éviter que par la pression de leurs pieds,
ils n’y forment des trous et ne renfouissent les :
plantes dans la terre.
3. Curer dans la même saison les fossés et les
rigoles d'irrigation et réparer avec soin les avaries
en temps utile afin de rendre les alluvions plus fa-
ciles, et donner aux eaux l’écoulement nécessaire
pour éviter des 'immersions trop prolongées et par
conséquent nuisibles.
4°. Faire la coupe des foins àl’époque de la florai-
son des plantes afin de conserver à la tige et aux
feuilles leur mucilage, c’est-à-dire la partie la plus
nourrissante. Cette pratique a d’ailleurs l’avantage
de procurer au fourrage un parfum et une qualité
qu’ils n’auraient pas si la fauchaison aväit lieu plus
tard et d'augmenter le produit des regains.
5. N'engranger les foins que lorsqu'ils sont par-
faitement secs ct ne les servir aux bestiaux qu'un
mois ou deux après la récolte, pour ne pas les ex-
poser aux dangers des maladies inflammatoires que
pourrait leur occasionner le fourrage qui, selon l'ex-
pression des cultivateurs, n'aurait pas été suflisam-
ment ressué. | |
S 2.
Des prairies sèches.
Les prairies naturelles que l’on désigne sous le
— 227 —
nom de prairies sèches, sont celles où l'herbe ne
s'élève pas à une hauteur suffisante pour pouvoir
être fauchée. Elles ne sont donc utiles qu’à faire pà-
turer les bestiaux, c’est le seul parti que l’on puisse
en tirer.
Ce serait une erreur de penser que l’on doit lais-
ser ces espèces de prairies sans culture et les aban-
donner pour ainsi dire à la nature. Leurconservation
exige aussi des travaux et des soins. Voici ceux que
l'usage indique comme susceptibles d’améliorerleurs
produits :
1°, Pratiquer avec soin l’éxtirpation des plantes
malfaisantes pour conserver au fourrage une qualité
qui ne soit pas de nature à porter le désordre dans
Féconomie animale des bestiaux. Ne pas négliger
de regarnir les vides résultant de cette opération,
en y répandant de la semence au printemps et un
peu de fumier pour empêcher la reproduction des
plantes arrachées.
2°, Lorsqu: le sol est appauvri on doit ranimer sa
vigueur et entretenir sa fertilité en le "recouvrant
d'un demi pouce environ de bonne terre végétale
sur laquelle on fera passer la herse et le rouloir pour
briser les mottes.
5°. Un soin qui n’est pas à négliger c’est de regar-
nir les parties dénudées-d’un pré et les endroits où
Fherbe se trouve trop éclaircie, en y semant dès
graines de trèfle, de luzerne et de foin ramassées
dans les greniers. On peut même opérer cette pra-
üque sur toute l'étendue des prés pour augmenter
— 228 —
la masse de leurs produits. On révivifie un pré qui
vieillit en le renversant avec la bèche ou la pioche,
ou même avec la charrue. On se sert aussi avec avan-
tage, pour cette opération, du rouleay coupant dont
l'usage nous vient des Anglais.
_ | ar S 3. t
De la destruction des taupinières et des herbes parasites.
La taupe est le plus grand ennemi des prairies
naturelles par les dégats qu’elles y occasionnent en
creusant la terre et en y formant des espèces de
bultes ou monticules, qui apportent des obstacles à
l'opération de la fauchaison. Les herbes parasites
ne leur sont pas moins préjudiciables, notamment
la mousse et les plantes à racine pivotante. Il im-
porte donc au cultivateur de mettre tous ses soins
à débarrasser ses prairies de tous ces hôtes aussi in-
commodes que nuisibles.
_ L'étaupinage se fait ordinairemeat dans la saison
du printemps. Cette opération consiste à enlever
avec la houe le dessus des taupinières, et à recou-
vrir les trous au printemps suivant, en ayant soin
de rouler le terrain pour en faire disparaitre les
inégalités, Mais on obtient des résultats plus salis-
faisants et surtout beaucoup plus économiques en
main-d'œuvre et en temps, de l’usage d’un instru-
ment en forme de herse,. que l’on traine sur les
prairies avec des chevaux, et au moyen duquel on
aplanit toutes les buttes ou monticules produites
par le travail des laupes.
— 229 —
Les inconvénients de la mousse sont d’appauvrir
l'herbe des prairies, de nuire à sa végétation et de
la rendre chétive. C’est une des principales sources
de leur dépérissement. Il faut donc faire tous ses
efforts pour en opérer la destruction.On y procède
avec succès, en se servant d’un rateau ou d’une
herse à dents de fer rapprochées les unes des autres.
Cette opération se pratique ordinairement pendant
le temps de la morte saison.
Quant aux plantes à racine pivotante, on se sert
pour les extirper, d’une espèce de petite bèche, au
moyen de laquelle on opère leur extraction.
_ S4 | |
De l'amendement des prairies naturelles.
Le moyen le plus efficace de fertiliser les prairies
naturelles est comme pour les terres, d’y répandre
des engrais et des amendements. Un objet impor-
tant pour le cultivateur est d’avoir des prairies riches
en pâturages, afin de pouvoir élever une plus grande
quantité de besliaux. D'ailleurs, la prospérité des
animaux domestiques est essentiellement liée à la
quantité du. fourrage qui sert à leur alimentation;
or, nul doute qu’il sera toujours plus abondant,
plus nutritif. et plus succulent dans les prairies en-
richies de bonnes fumures, et qui auront reçu des
amendemnts justement appropriés à leur nature.
Tous les engrais et amendements employés pour
les terres, sont également applicables aux prairies,
et y opèrent Îles mêmes cflets, qui sont d’y déposer
— 230 —
des sucs nourriciers, d'activer la végétation , et d’im-
primer au terrain plus de vigueur, d'énergie et de
fertilité. On obtient de bons résultats de l'emploi
des fumiers, de la marne, de la chaux et des cen-
dres de tourbe, de lessive et de houille, en ayant
soin de les approprier à la nature des sols sur les-
quels on se propose de les utiliser. Le limon, que
les irrigations déposent sur les prairies est aussi un
amendement qui leur est très favorable,
Les engrais ont aussi la propriété de eontribuer
à la destruction de la mousse, et sous ce rapport, il
est du plus grand intérêt pour le cultivateur de ne
pas négliger de les répandre sur les prairies pour
les assainir et améliorer leurs produits.
CHAPITRE 0.
Dusoin des animaux domestiques attachés à l’économie
. rurale.
Les animaux domestiques attachés à l’économie
rurale sont , pour ainsi dire, l’une des principales
colonnes de l’agriculture. C’est la force motrice des
exploitations agricoles. Auxiliaires nécessaires et
indispensables de l’agronome , il n’est point sans
eux de culture possible. Les services qu'ils rendent
au cultivateur contribuent puissamment à féconder
ses champs , multiplier ses produits , et par consé-
quent à augmenter son bien-être. Ils doivent donc
être sans cesse l’objet de tous ses soins, de sa sur-
veillance et de sa sollicitude, puisqu'ils sont pour
lui upe source de richesse et de prospérité.
— 231 —
Un fait incontestable en économie rurale, c’est
que la santé, la vigueur et la bonne constitution des
animaux domestiques, sont essentiellement liées à la
nature et à la qualité de leur régime alimentaire. La
nourriture doit toujours être saine et dans le meilleur
état de conservation. La quantité des alimens doit
aussi être sagement proportionnée à l’âge, à l'espèce
et à la constitution des animaux. Il convient de satis-
faire leur appétit sans surcharger leur estomac outre
mesure, pouréviterde produire chez eux le dégoût et
la satiété , et surtout pour prévenir les indigestions
qui en seraient les résultats. La distribution des ali-
ments doit donc être faite sans prodigalité, comme
sans parsimonie, à des heures fixes et bien réglées,
Une abstinence trop prolongée porterait les ani-
maux à se jeter avec tant de précipitation sur leurs
provisions, que l’avidité avec laquelle ils mange-
raient, nuirait au travail de la digestion et les in-
commoderait. Les fourrages peuvent être servis vert
ou secs, ils profitentégalement bien aux bestiaux dans
l’un comme dans l’autre état, pourvu qu'ils soient
de bonne qualité et aient été récoltés pendant un
temps favorable. Il faut avoir soin de nc pas vouloir
surmonter leur répugnance pour une nourriture
altérée par le temps ou imprégnée de poussière. On
aiguise l’appétit des bestiaux en apportant de la va-
riété et du changement dans l'espèce des alimens
qu’on leur distribue. Une méthode utile consiste
aussi à alterner pendant l'hiver, les fourrages secs
avec les végétaux à racines charnues : tels que la
— 252 —
betterave, le navet, la carotte, la pomme de terre et
autres du mème genre. La transition du fourrage
sec au fourrage vert, ne doit pas être brusque, mais
avoir licu par degrés, parce que la nature du four-
rage n'étant pas la même dans l’un ou dans l’autre
_ élat, il importe de disposer insensiblement les ani-
maux à supporter les effets du changement de nour-
rilure. On y parvient en ajoutant chaque jour -au
fourrage sec une portion d'herbe nouvelle, fraiche.
ment recucillie. Le retour au régime d'hiver exige
pareillement des précautions qui consistent à servir.
aux bestiaux des sons farineux légèrement humectés.
On doit préférer, parmi les fourrages verts, le trèfle,
le sainfoin, la luzerne, l’escourgeon et le seigle, mais
il faut se garder de les donner mouillés ou dans un
état d'humidité et de fermentation. On ne doit pas
non plus laisser les troupeaux pâturer l’herbe im-
prégnée de rosée ou de pluie. Enfin, lorsque les ani-
maux se livrent à un travail pénible, assidu et pro-
longé, il convient de leur donner une nourriture
plus forte; c’est en effet un principe généralement
admis, que leur ration doit être augmentée en pro-
portion des services et des travaux que l'en veut
ebtenir d'eux. Telles sont les principales indications
à remplir dans le régime alimentaire à suivre pour
conserver et maintenir la santé et le bon état des
bestiaux. à
La boisson des animaux doit aussi être l'objet
d’une attention particulière de la part du cultiva-
teur. On ne doit leur servir que des eaux pures et
— 233 —
limpides. Les eäux fangeuses, corrompués ou crou-
pissantes, sont insalubres et nuisibles. Leur usage
offre de graves dangers en disposant les bestiaux à
contracter des ‘obstractions et des maladies. Les
eaux provenant de la fonte des neiges ne sont pas
non plus sañs inconvénient. C'est une méthode vi-
cieuse de conduire les bestiaux à l’abreuvoir quand
ils sont échauffés par le travail et surtout lorsqu'ils
se trouvent en état dé transpiration. Il n’est pas
moins dangereux de leur donner à boire des eaux
froides ou trop crues, et de les abreuver aux sources
mêmes. Enfin, il convient en tous temps, de ne
donner que l’eau nécessaire pour désaltérer les bes-
tiaux, sans les laisser se gorger d’une trop grandé
quantité de liquide. | |
: L’habitation des animaux domestiques doit être
saine, commode et bien aérée, Leur santé exige que
le terrein où ils reposent soit sec et autant que pôs-
sible élevé. Ils ne doivent point être irop résserrés
ni gènés dans leurs mouvements. Il faut se garder
de les entasser pour ainsi dire les uns sur les autres
pour leur éviter de se nuire réciproquement. Leur
logement doit être en proportion de leur nombre
pour qu'ils puissent y jouir d’une certaine hberté ct
y respirer à leur aïse et avec facilité. L'air doit étre
renouvelé fréquemment. Le mème air finirait par se
corrompre et nécessairement par altérer la sté des
animaux. Ceux - ci doivent toujours être tnus dans
le meilleur état de propreté possible, ilén doit être
de même des auges, mangcoires etrat4iers destinés
30.
— 23h —
à recevoir leurs provisions. Les fumiers doivent être
enlevés chaque jour avec soin. Les étables et écuries
doivent être nettoyées de manière à ce que les or-
dures des bestiaux ne puissent, par leur séjour, y
établir un foyer de putréfaction. Le repos étant né-
cessaire aux animaux, il faut éviter soigneusement
de les troubler et éloigner d’eux tout ce qui pourrait
les chagriner ou les inquiéter. La tranquillité leur
est nécessaire pour qu'ils puissent se livrer au repos
dont ils ont besoin pour réparer leurs fatigues et
leurs forces épuisées par le travail. Il ne faut pas non
plus négliger les soins de propreté dont les bestiaux
ont besoin chacun suivant son espèce. Il importe
donc que les pansements usités soient faits exacte
ment pour d'autant mieux faciliter la circulation du
sang et surtout pour prévenir les maladies de la
peau. |
La première indication à remplir quand un ani-
mal se trouve atteint d’indisposition, c’est de le sé-
parer des autres et de l’isoler dans une étable pour
qu'il puisse y jouir à l’aise du repos qui lui est né-
cessaire. C’est ensuite de lui administrer les secours
que son état réclame, car il est évident que les ma-
lédies les plus simples dans leur principe peuvent
s'aggraver par la négligence et le défaut de soins au
point d’ôter tout espoir de guérison.
En dénière analyse, quoique les animaux domes-
tiques soitnt en général d’une constitution beaucoup
plus robuste et plus agreste que celle de l’homme,
ils sont néanmnins soumis comme lui à des affections
— 235 —
morbifiques dont la plupart sont dues au défaut de
soins, aux mauvais traitements, et le plus souvent
aux vices du régime alimentaire. Tout propriétaire
attentif doit donc avoir constamment pour règle de
veiller sans cesse à ce que ses préposés ne négligent
rien de ce qui peut contribuer à maintenir la santé
de ses bestiaux. Il suffit, en effet, très souvent, de
quelques précautions hygiéniques pour préserver
les bestiaux d'une foule de maladies.
OBSERVATION
OPÉRATION CÉSARIENNE,
PRATIQUÉE AVEC SUCCES , POUR LA MÈRE ET POUR L ENFANT, A L'HOSPICE
DE LA MATENNITÉ L'ARRAS, LE 24 avaic 4836,
Par A.-R.-P. DUCHIATEAU,
Docteur en Médecine, Chirurgien en chef des hospices d'Arras,
Professeur à l'Ecole de Médecine et à celle de Maternité de la
_ même ville, Chevalier de l'ordre royal de la Légion-d'Hon:-
neur, membre résidant.
Stéphanie Brassart, née et domiciliée à Arras, est
la dernière de six enfants, dont cinq sont morts en
bas-âgce quoique nés d’un père et d’une mère bien
constitués. Elle cst âgée de vingt-deux ans et demi :
sa taille est de quarante-trois pouces et elle est tra-
pue présentant l'aspect d’une rachitique; sa mâchoire
inférieure croise sur la supérieure sans lui donner
unc figure repoussante. Sa colonne vertébrale est
très-convexe sur sa partie antérieure, ses omoplates
se rapprochent beaucoup du bassin, surtout le droit
— 9237 —
qui est plus développé, les clavicules sont très-pliécs,
les avant-bras sont très-convexes sur le bord cubital,
les mains grosses, les cuisses très-courtes, les jambes
très-convexes vers leur partic antérieure. Elle jouis-
sait, à l’époque de son entrée à l’hospice, d’une
bonne santé.
Les renseignements que nous nous sommes pro-
curés, nous ont appris qu’elle avait été réglée à dix-
huit ans abondamment et régulièrement tous les 21
à 24 jours pendant trois jours. Il parattrait qu’elle a
été affectée dans sa jeunesse d’une maladie nerveuse.
Elle exerçait l’état de dentellière depuis sa sortie de
l'enfance. L'ayant vue à l’hospice de la maternité où
elle s'était présentée pour se faire saigner dans le
huitième mois de sa première grossesse, et frappé
de son aspect extérieur, je crus nécessaire de m'as-
sucer par tous les moyens d'investigation de l’art
de l’état du bassin, et j'ai reconnu avec M®*° Delarue,
maitresse sage-femme de cet établissement, que les
crêtes des os des îles étaient placées sur la même
ligne, et qu’il y avait depuis une épine antérieure et
supérieure jusqu’à l’autre huit pouces neuf lignes ;
que l'angle sacro-vertébral se portait vers le pubis
et un peu à droite ; que le détroit supérieur n'avait
que deux pouces dans son diamètre antéro-posté-
rieur. Stéphanie Brassart est revenue à l'hospice le
25 avril, étant au terme de l’accouchement naturel
et se plaignant d’éprouver des douleurs de reins sans
autre phénomène de l’accouchement; mais le 24, à
cinq heures du malin, elle éprouva des douleursplus
— 238 —
fortes, et M*° Delarue reconnut que le travail de
l’enfantement commençait. Les douleurs se succé-.
daient lentement. À six heures , l’orifice de l'utérus.
se présentait dévié à droite et en avant avec une di-
latation de 10 à 12 lignes. Les membranes commen-
caient à bomber, mais aucune partie de l'enfant
n’était accessible au doigt explorateur. Je prescrivis
un Javement et un bain général. Je convoquai en
même temps pour neuf heures tous mes collègues,
de l'Ecole de Médecine et fis préparer tout ce qui
était nécessaire pour l'opération. À leur arrivée , la
position de Stéphanie Brassart n’était pas changée
et le travail étant bien constaté, tous mes collègues
présents ont reconnu avec moi la nécessité d’une
opération immédiate. |
Je la fis transporter dans la salle d'opération , et
en leur présence et celle de MM. les officiers de santé
civils et militaires de l’hospice, et de plus desoixante
élèves de l'Ecole de Médecine, de M"° Delarue et de
nos élèves de la maternité, j’ai fait placer Stéphanie
Brassart dans un lit sur un sommier de crin garni
d'alaises nécessaires, la tête légèrement fléchie en
avant, le corps dans une position horizontale , les.
jambes et les cuisses un peu écartées et les pieds sur
le bout du lit. Ayant introduit une algalie dans la
vessie, je la trouvai entièrement vide. J'étais assisté
de MM. Plichon, Dupuich, Mienné et Lescardé. M.
Plichon était à la droite, M. Dupuich placé entre les
extrémités inférieures et destiné à maintenir la di-
recuon de l'utérus, M. Mienné placé à gauche pour
— 239 —
maintenir l’abdomen; je me plaçai à la gauche de
la malade, les aides ayant des éponges humides ten-
daient les parois de l’abdomen sur l’utérus. Avec un
bistouri convexe sur son tranchant j'ai dirigé mon
incision partant de deux pouces au-dessus du pubis,
se dirigeant sur le trajet de la ligne blanche et en
passant un peu sur la partie gauche, en évitant de
léser l’ombilic, et se terminant à deux pouces et de-
mi au-dessus de l’ombilic. Gette première incision
avait divisé la peau et le tissu cellulaire ; plusieurs
incisions pratiquées dans la même ligne mirent à
découvert les différentes couches aponévrotiques ;
bientôt nous aperçûmes le péritoine sur la partie
supérieure de l’incision, il fut ouvert avec précaution
après l’avoir soulevé à l’aide d’une pince à disséquer;
le fluide péritonéal s’échappa , et avec un bistouri
droit et boutonné guidé par le doigt indicateur, je
divisai cette membrane ainsi que le reste des apo-
névroses, suivant la direction de l’incision primitive.
L'épiploon se présenta d’abord: il était très long et
recouvrait complètement l'utérus et les intestins.
Nous le relevämes; il fut maintenu par M. Mienné
au-dessus de la matrice ainsi que quelques anses
d'intestins grèles, qui s'étaient échappés à la partie
supérieure de l’incision par suite des efforts que la
malade avait faits. Je m’assurai alors de la position
de l'utérus à l'égard de l'ouverture abdominale.
Ayant reconnu que son centre se trouvait dans le
milieu de l’incision des parois de l’abdomen et fixé
par les aides, je fis une incision avec un bistouri lé-
— 20 —
gèrement convexe, et à chaque seclion on voyait les
fibres de la matrice s’écarter à fur et mesure qu’elles
étaient divisées; aussitôt qu’une seclion eut divisé la
face interne de la matrice, il partit de son centre un
jet de sang très noir qui me fit reconnaître que le
placenta se trouvait à l'endroit de l’incision; je di-
Jlatai de suite l’ouverture à l’aide du bistouri bou-
tonné. La partie inférieure de l’incision nous a pré-
senié les membrannes de l'œuf que j’ouvris immé-
diatement, comme je l'avais fait à l'égard du péri-
toine, et les aides prirent les précautions nécessaires
pour que le fluide amniotique ne s’épanchât pas
dans la cavité de l'abdomen. Avec la main droite je
refoulai le placenta en partic détaché du côté droit.
Nous vimes alors l'enfant; il était dans la première
position du sommet de la tête. Je saisis les jambes
avec la main droite et le tronc avec la main gau-
che ; je le dégageai de l'utérus ; il fit entendre aussi-
{ôt son premier cri, et la section du cordon ombilical
étant faite, l'enfant fut remis entre les mains de
M": Delarue. Ilétait du sexe masculin et du poids de
six livres quatre onces. |
Nous attendimes environ trois minutes. Voyant
l'utérus revenir sur lui-mème, je saisis le cordon
ombilical avec la main gauche. J’achevai de le déta-
cher avec la main droite et l’enlevai avec ses mem-
brannes par l’incision, J’enlevai avec soin ct avec la
main tous les caillots et les fluides que ce viscère
renfermait. Le doigt indicateur fut introduit par la
plaie dans le col de l'utérus qui était souple et di-
— 2h1 —
laté du diamètre d’une pièce de cinq francs. M. Du-
puich y introduisit le doigt par-le vagin el il rcjoi-
gnit le mien ; nous acquimes ainsi la certitude que
les fluides n’éprouveraient aucun obstacle pour en
sorbr, mais que le promontoire faisait bien la saillie
qui nous avait déterminés à faire l'opération.
La matrice étant bien coniractée, après avoir lavé
les parties voisines avec une décoction de guimauve,
nous réunimes les bords de la plaie abdominale avec
trois points de suture enchevillés; on avait placé un
séton enduit de cérat à l'angle inférieur de la plaie;
cinq longues bandelettes agglutinatives, placées en-
tre les points de suture, achevaient de maintenir les
bords de la plaie réunis, une compresse fénestrée et
cératée recouvrit toute l’incision. De la charpie,. des
compresses et un bandage de corpsméthodiquement
appliqué, achevaient de compléter le pansement.
_ L'opération entière a duré environ vingt minutes.
Aucune artère n’a été divisée, et Stéphanie a déployé
endant cet espace de temps, ainsi que dans la suite,
Rae de courage et de résignation. Placée en-
suite horizontalement dans un autre lit du même
appartement, on lui administra une potion cal-
mante. (Éau de laitue 4 onces, eau de fleur d’oran-
ger 2 gros, laudanum de Rousseau ro gouttes, sirop
de violettes 2 onces.) | |
Première journée après l'opération. Deux heures
de calme. À midi douleurs aiguës dans la région
iliaque droite. Application de quinze sangsues loco
dolente. Soulagement prononcé. À quatre heures
51.
— 92h2 —
vomissement de matières porracées. Grande agita-
tion. À six heures douleurs vives entre les épau-
les. Pouls donnant cent pulsations par minute, éva-
cuation de lochies par le vagin, face colorée toute
là nuit jusqu’à cinq heures. Délire fugace. Conti-
nuaüon de vomissement. { Potion de Rivière. )
_ Deuxième journée. Vomissement. Pouls fort, vif
et accéléré ; on lève l’appareil le matin; une por-
tion de l’épiploon sortie à l'angle supérieur de la
plaie, on en fait aisément la réduction et on la main-
tient avec une bandelette agglutinative, le ventre est
couvert d’un large cataplasme. Diminution de la
douleur et des vomissements. Deux heures de som-
meil pendant la nuit. Au réveil toux et forte oppres-
sion. Deux saignées dans la matinée. (Eau de gom-
me, looch blanc.)
Troisième journée. Les lochies coulent. Douleurs
abdominales moins vives. L’oppression diminue, la
nuit est calme. Deux heures de sommeil. Au réveil
quatre selles très-fétides. (Lavement de graine de lin
et de têtes de pavots. Cataplasmeémollient renouvellé
de six heures en six heures.) oo
Quatrième journée. Le matin on lève l'appareil,
la suppuration s'établit. On renouvelle les bande-
lettes agglutinatives. (Mème régime, nuit très-calme;
plusieurs heures de sommeil.) |
Cinquième journée. Un peu d’assoupissement.
Douleurs entre les épaules et à la jambe gauche.
(Frictions éthérées. Deux demi-lavements. Injection
— 2h53 —
dans le vagin avecune décoction émolliente, sommeil
dans la nuit.)
. Sixième journée. Goliques, toux, céphalalgie ,
douleurs au côté pendant la nuit. Trois selles de
matières porracées. ( Eau de riz édulcorée avec du
sirop de gomme. Deux demi-lavements. )
Septième journée. Toux, expectoration, désir de:
prendre des aliments. Sommeil de plusieurs heures.
Bien-être général. ( Eau de poulet, ds crèmes au
riz, eau de riz édulcorée. )
Huitième journée: Mème état, même régime.
Neuvième journée. Bien-être général, deux selles,
point de fièvre; désir du café au lait, qu’on satisfait;
crème au riz. On lève l'appareil, on enlève les points
de suture et le séton ; une grande partie de la plaie
est adhérente, la partie inférieure laisse écouler un
peu de pus, surtout dans les accès de toux ; onréap-
plique des losgues bandelettes agglutinatives, et on
recouvre le tout d’un large cataplasme qu'on renou-
velle chaque jour le matin et le soir.
Dixième journée et suivantes jusqu’à sa guérison
qui a eu lieu le vingt-deuxième jour. On a continué
les cataplasmes, on a réprimé les chairs baveuses
avec le nitrate d'argent, et le régime alimentaire a
été augmenté progressivement. Les fonctions avaient
lieu d’une manière naturelle, La gaîté revenait cha-
que jour. Vers le quinzième il y eut œdème général.
Je prescrivis une infusion de pariétaire nitrée et de
vin de Grave. Les urines devinrent plus abondantes,
l'œdème disparut et la guérison fut opérée ; Stépha-
— 2h —
pie commença dès-lors à se lever, se promener dans
les appartements et ensuite dans le jardin de l’éta-
blissement. Soïxante-trois jours après l'opération ,
elle assistait dans un élat de santé parfait à la distri-
bution de prix faite aux élèves sages-femmes de la
maternité, le :5 juin dernier, et elle est sortie le
même jour de l'hospice. L'enfant se porte bien; il a
été placé en nourrice par les soins de l’administra-
tion des hospices, car la mère n’a eu aucune sécré-
tion laiteuse.
NÉCROLOGIE.
DISCOURS
PRONONCÉ LE 928 ocToBRE 1839,
Par M. LUEZ, membre résidant :
AU CUNVYOI FUNEBRE
DE M. LETOMBE,
ARCHITECTE DU DÉPARTEMENT DU PAS-DE-CALAIS,
CHEVALIER DR LA LÉGION D'HONNEUR , MEMBRE RÉSIDANT.
EC ne
Messieurs,
Il y a quatorze mois que la société académique
d'Arras éprouva, pendant l’une de ses séances, une
vive commotion. Elle suspendit ses travaux et ne
s'occupa que de ses alarmes; elle venait d'apprendre
que M. Letombe, l’un de ses membres, était subi-
tement frappé d’une lésion organique qui menaçait
ses jours et qui paraissait trop grave pour être com-
battue par la science humaine.
Depuis ce moment, tous les collègues, et par con-
séquent tous les amis de M. Letombe, ont vécu,
— 2h6 —
comme lui, de ses douleurs et de ses espérances, ils
ont partagé toutes les inquiétudes et toutes les illu-
sions que son état faisait naître alternativement ; et
cette existence si remplie d’impressions différentes,
si péniblement active pour la douleur et pour la
joie, est finie aujourd'hui pour lui comme pour
nous. Pour lui, parce qu’il commence à vivre sons
une condition plus parfaite; pour nous, parce que la
preuve de sa perte rattache à d’autres infirmités le
sentiment de notre existence.
Dans cette séparation, ce n'est pas lui que nous
venons plaindre. Il a sur nous l'avantage d’être
quitte envers la destinée de l’imperfection de cette
vie, et de connaître jusqu’à l’évidence réelle la vé-
rité que nous ne savons où trouver. Lui, qui a tou-
jours vécu de l'amour des sciences et des arts, il
connaît maintenant la source de toutes les perfec-
tions . il comprend toutes les harmonies, il a le se-
cret de toutes les formes, de toutes les lignes, de
toutes les pensées, de toutes les inspirations, oh!
non, ce n'est pas lui que nous devons plaindre;
mais bien nous qui restons dans la nuit des con-
jectures et des recherches, dans l'incertitude des
méditations, et qui de plus avons à le regretter tou- .
jours. ;
Pour comprendre nos regrets, il suffit de savoir
ce qu'il fut. |
Né à Versailles en 1782, Charles Letombe fixa ses
premiers regards sur l’un de nos chefs-d’œurvre d’ar-
chitecture. Ce fut pour lui le premier aliment de
— 92h47 —
son âme. Après avoir amassé les connaissances ma-
thématiques et littéraires qui pouvaient soutenir ses
pas, il entra à l’école d'architecture et s’y fit remar-
quer par ses progrès et ses succès. Quoique jeune
encore, il reçut du gouvernement consulaire une
mission pour l'Allemagne, dans laquelle, il se livra,
huit ans entiers, à des travaux importants. Il passa
ensuite en Hollande, y dirigea pendant trois ans la
partie de l’administration relative à son art, et ne
rentra en France que lorsque l’Europe armée l’y
contraignit, par cette invasion compressive qui allait
renverser la puissance la plusformidable du monde;
mais dans cette nouvelle position, enlevé à ses
” études sur l’architectonique , il ne voulut pas que sa
vie fut stérile pour sa patrie, il prit une part active
en 1814, à la défense de Paris, et ce fut dans cette
nouvelle mission, que son patriotisme s'était donné
spontanément, qu'un éclat d'obus vint le frapper à
la jambe, et donna à son allure cette gène légère
que nous lui avons connue. Cependant la restaura-
tion ne vit en lui que ses talens, elle le nomma ar-
chitecte du département du Pas-de-Calais vers la fin
de 1815, et dans la crainte que cette faveur ne fût
au-dessous de son mérite, elle y joignit la croix
d'honneur qu’il avait méritée en la combattant.
Depuis 1815, Letombe ne nous a point quittés, il
s’est regardé comme né parmi nous, il est devenu
notre compatriote, il a étendu la chaleur de ses affec.
tions à chacun de nous. Il semblait avoir le pressen-
timent que le reste de sa vie nous appartiendrail.
L — 218 —
Nous lui avons quelquefois donné des preuves de
hotre reconnaissance; aujourd’hui nous lui en de-
vons de notre justice. En qualité d'artiste, Letombe
a dû regarder comme un avantage d’être appelé à
l'architectonique civile du Pas-de-Calais, puisque,
indépendamment des travaux nombreux que lui pré-
paraient les différentes villes du département et qu'il
a exécutés avec habileté, :il devait trouver au chef-
lieu un édifice inachevé, qui avait perdu sa première
providence, et qui la redemandaitäun grand talent,
Placé en face du monument de St-Vaast, Letombe
se retrouva devant toutes les images et toutes les idées
de ses premières études. Il avait toujours préféré
l'antique aux plus beaux chef-d’œuvres du moyen-
âge, et c'était à l'antique qu'il devait offrir toutes ses
inspirations, jusqu’à son dernier soupir. La critique
peut dire aujourd'hui de quelle manière il a terminé :
cette grande œuvre, mais avant de juger, elle doit
chercher à connaître les difficultés innombrables
que présentait l’entreprise. S'il les a surmontées en .
grande partie, c’est que dans toutes ses veilles, dans
toutes ses méditations, iln'’a réellement va que l’art,
qu'il lui a sacrifié toutcs les autres considérations,
et c’est bien en effet le trait moral de son caractère.
11 avait trop de désintéressement pour obéir à une
autre puissance. L'art avait un tel empire sur lui,
qu'il lui inspirait un zèle, une ardeur, une activité
imdomptables, qu’il conserva jusqu’à ses derniérs
moments et jusque dans ses plus vives douleurs.
C’est que son âme était aimanie. Letombe a aimé
— 2h19 —
l’art comme il a aimé ses semblables avec constance,
et même avec bonheur. Regardez autour de lui, vous
n'y verrez que des objets d'une tendre et pure affec-
tion, sa douce compagne, ses parents, ses amis, son :
estimable éléve, ses collègues, il avait assez d'amour
pour tous. Ce sentiment était inépuisable dans son
cœur; il aimait jusqu’au péril de protéger nos pro-
priétés contre les ravages de l'incendie.' Vailà l’ar-
tiste, voilà le savant que la société royale d’Arras
perd et regrette; voilà l’homme et le citoyen que les
habitans du Pas-de-Calais et particulièrement ceux
d'Arras, doivent honorer avec nous d’un long sou-
venir.
: M. Letombe fut pendant long-temps capitaine en second de
Ja compagaie des sapeurs-pompiers de la ville d'Arras.
92.
TEMPÉRATURE MOYENNE
DE L'ANNÉE 4835,
ESTIMÉE PAR LA MOYENNE DU MOIS D'OCTOBRE ,
Par M. LARZILLIÈRE, membre résidant.
——ÆEfpnu—
Moyenne des Températures Moyenne de: Températures
du lever du s., de 2 b., maximum et miuimum
Ocroser. et du coucher dus. de 1a journée.
ee 14 13, 9
2 14, 15, 9
3 12, 1 | 7, 8
4. 11 7» 2
5. 11 10, 9
6. 11,1 10, 2
7. 11,7 10, 9
8. 10 | 8, 8
9. 12 12
10. 10 10, 1
11. 6, 5 6, 1
12. 7, 6 7, 9
19. 11,1 10
14. 12,9 15
— 9251 —
Moyenne des Températures Moyenne des Températures
du lever du s., de 2 h., maximum et minimum
Ocrouns. et du coucher dus. de la journée.
19. 9, 6 9» 1
16. 8, 5 24
17. 8, 9 8
18. 5, 6 5.
19.. 5, 5 4, 5
20... 7, 9 7
21. 7, 8 8
22, | 7, 1 6, 4
29. 9; 9. 8, 8
24. 7. 9
29. 11 10
26. 10, 4 50, 7
27, 6, 3 6, 3
28. 9, 9 2, 2
29. 6, 2 9, 4
30. 8, 3 7» 9
31. 7, 9 8, 3
MOYENNE.
Du 1° au 10. 11,7 10, 5
Du 11 au 20. 8, 3 7, 7
Du 21 au 51. 8 7, 8
Moyenne définitive 9, 3 | 8, 7
NOMS DES AUTEURS
QUI ONT OBTENTS AU CONCOURS DES MENTIONS HONOR ABLES.
"4 O0 Ve
La Société a décerné une mention honorable à
M. Victor Cuasé de Cambligneul, pour son mémoire
sur l'Agriculture.
Elle a aussi accordé une mention honorable à
M. Danxuiëre , professeur au collége de Saumur,
auteur du poëme intitulé : La Sœur du Prisonnier.
PROGRAMME
DES SUJETS DE PRIX,
POUR ÊTRE DÉCERNÉS EN 18906.
L'académie d'Arras propose pour prix à décerner
‘en 1836, les sujets suivans :
| MORALE PUBLIQUE.
Exposer l'influence que les associations de tempérance
exerceraient sur les mœurs françaises, et déterminer les
moyens de les organiser.
Prix : Médaille en or de 200 fr.
* ÉCONOMIE PUBLIQUE.
Quels seraient Les avantages industriels quirésulteraient
pour les départemens du nord de la France de la tulture
du mürier et de l'éducation du ver & soie; et quels se-
raient les moyens de les propager ?
Prix : Médaille en or de 200 fr.
AGRICULTURE.
Quelles sont Les causes de la lenteur avec laquelle s'o-
pérent dans plusieurs arrondissemens du département
— 95h —
du Pas-de-Calais, l’extention et le perfectionnement
des cultures ? ;
Prix : Médaille en or de 200 fr.
POÉSIE.
Une pièce de 200 vers au moins sur un sujet dont le
choix est laissé aux concurrens,
Prix : Médaille en or de 200 fr.
CONDITIONS GÉNÉRALES.
Les ouvrages envoyés au concours pour 1836, de-
vront être adressés, franc de port, à M. le secrétaire
perpétuel, et être parvenus avant le 1° juillet, terme
de rigueur,
Les concurrens ne se feront connaître ni directe-
ment, ni indirectement : ils joindront à leur ou-
vrage un billet cacheté qui contiendra leurs noms,
prénoms, qualités et domicile, et indiquera exté-
rieurement l’épigraphe mise en tête de l'ouvrage,
envoyé au concours, afin d'éviter toutes erreurs.
Aux termes du réglement de la Société royale, .
on ne fera l'ouverture que des billets applicables
aux ouvrages couronnés honorablement, et elle aura
lieu en séance publique ; les autres billets seront
brûlés sans être ouverts.
La Société ne rendra aucun des ouvrages qui lui
auront été adressés.
Les membres résidans et honoraires sont seuls
exclus du concours.
Hansaviize, président.
T. Connie, secrétaire perpétuel,
Liste
DES MEMBRES RÉSIDANS,
Le Lait Royal d' Ans,
Au 1‘° Janvier 1836,
PAR ORDRE DE RÉCEPTION.
—"D@D——
MM.
PRÉSIDENT.
HarBaviLre , conseiller de préfecture.
CrANCELIER.
A de UE DL en à
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL.
Connie, président du tribunal civil.
| VICE - CHANCELIER.
LAMARLE, ing’. au corps royal des ponts-et-chaussées.
| ARCUIVISTE.
Bizzer, avocat, membre du conseil général.
SECRÉTAIRE-ADJOINT.
BRÉGEAUT, pharmarien , professeur à l’école secondaire
de médecine.
_
ARCUIVISTE-ADJOINT.
Cot1x (Maurice), négt., membre du conseil municipal.
MEMBRES RÉSIDANS.
Baron d'HerziNcourT, propriétaire.
Ducuareau, docteur-médecin.
B. J. Lazarr, propriétaire.
Cresrez-Deurisse, fabricant de sucre indigène.
TRELLIER DE SARS, propriétaire.
Lepucq, juge de paix. | |
Rarreneau De Lise, ingn' en chef des ponts-et-chaus.
Léon D'HerLincourT, propriétaire.
Dupourr,”"maire d'Arras.
F. Decrorce, rédacteur en chef du Progrès.
Dassonvizze, docteur en médecine.
Lepuca, avocat.
AuDisERT, professeur.
Cn. WaRTELLE, propriétaire. .
-Luez, avocat.
LarziLLIÈRE, professeur.
THIBAULT, avoué.
Servarrus, colonel de la gendarmerie. oo
Esnaur, propriétaire, membre du conseil municipal.
DorLENCOURT, jeune. avocat.
Cosre-Cresrez, fabricant de sucre indigène.
RES
ERRAT 4.
£ Page 179, ligne 11, au lieu de l'honneur, lisez : l’homme des
champs.— Page 213, ligne 10, au lieu de nature à la mettre, lisez :
de nature à le mettre. — Page 218 , ligne 23, au lieu à la, lisez :
à sa. — Page 223, ligne 5 , on peul le récolter , lisez : on peu la
récolter. |
D >
Pages.
Discours d'ouverture. . . . . . . . . Dép eouT
Rapport sur le concours d'agriculture . . . . . RE
Fable. ( L’épi de blé et le bluet). . . . . . . .. 31
Économie publique (de l'éclairage au Gaz). . . . 34
Fable. (le pauvre et Île trésor). . . . .. . . .. 45
Rapport sur les remplacemens militaires. . . .. 49
Mémoire sur les remplacemens militaires . . . . 58
Rapport sur le concours de poésie. . . .. Hire 97
La sœur du Prisonnier. . . . . . .. ss... 105
Les derniers momens d’une jeune fille . . . . . . 111
Rapport sur le projet de canal d’Arras à Boulogne. 125
Manuel élémentaire d'agriculture . . . . .. + 160
Observation d’une opération césarienne. . . .. 236
Nécrologie in ss susmersbéustes 245
Température moyenne de l’année 1835. . ... 250
Noms des auteurs qui ont obtenu au concours
des mentions honorables . . ......... 253
Programme des sujets de prix pour être décernés
en 1090: série ties es es... 253
Liste des Membres composant la Société royale |
AAFTASS 5 1 6255 et — 255
Arras. — J. DEcEoRGE , Imprimeur.
(4, 413
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